Le roman historique jeunesse, quel genre ennuyeux! Du moins, c’est ce que beaucoup de jeunes lecteurs semblent croire depuis quelques années, associant « l’Histoire » à leurs cours sur les premiers colons de la Nouvelle-France. Beaucoup de romans jeunesse à connotation historique s’inspirent de l’époque médiévale et de ses légendes, peuplées de chevaliers, de magiciens ou encore de dragons, sans pour autant en représenter la réalité historique. Comment imaginer une histoire palpitante sans ces trois éléments de fantasy classiques? Pourtant, nous avons bien des exemples d’épopées historiques écrites pour les jeunes qui ne font que très peu, voire pas du tout, appel à des éléments de ce genre et qui sont tout aussi intéressants. En voici quatre qui méritent leur place sous les projecteurs : Les chroniques de l’érable et du cerisier de Camille Monceaux (Gallimard Jeunesse), Projet Bluebird de Sharon Cameron (Gallimard Jeunesse), La plus grande de Davide Morosinotto (L’école des loisirs) et Terres vikings d’Élodie Tirel (Éditions Michel Quintin).

Les chroniques de l’érable et du cerisier fut une découverte surprenante pour moi. L’auteure, grande admiratrice de la culture japonaise, fait montre, tout au long de son histoire, d’un réel souci à respecter cette culture qu’elle invoque à travers les aventures d’Ichiro, protagoniste de sa série. Cette minutie se retrouve non seulement dans la description qui entoure l’intrigue, mais aussi dans la personnalité de son personnage principal. Loin de nous embourber dans un essai sur la culture japonaise, elle nous invite à rêver de samouraï plutôt que de chevalier, d’acteur de théâtre plutôt que de magicien et d’intrigue politique plutôt que de dragon. C’est avec un talent indéniable que nous sommes transportés dans une autre époque où les légendes sont presque vivantes, mais ne dépassent jamais les limites du possible.

Projet Bluebird, quant à lui, est beaucoup plus proche de notre époque et s’attarde à une période historique dont tous ont entendu parler à plus d’une reprise: la Seconde Guerre mondiale. L’auteure aborde ce sujet difficile d’une façon novatrice toutefois, en ne fixant pas son intrigue durant le conflit, mais tout juste après. La protagoniste, Eva, jeune femme élevée dans l’idéologie nazie, se retrouve aux États-Unis avec sa sœur dans l’espoir de se venger de celui qui a trahi sa famille. De page en page, l’intrigue nous agrippe avec ferveur, nous laissant voir comment une jeune femme qui a tout perdu peut prendre son destin en main dans un monde changé par les horreurs de la guerre. L’auteure a également pris soin d’ajouter à la fin de son roman des sources bibliographiques et des citations de ces sources qu’elle a utilisées pour arriver à ce résultat phénoménal, laissant le loisir aux lecteurs curieux de se documenter plus en profondeur sur l’après-guerre.

La plus grande est probablement le livre de cette liste qui se rapproche le plus de ce qu’on peut qualifier de « fantaisiste », mais avec une certaine nuance. Nous avons ici affaire à ce que je qualifierais de narration biographique romancée de la célèbre pirate Ching Shih, une femme qui a terrorisé les mers de Chine au début du XIXe siècle. Son histoire est relatée à travers l’incarnation de Yi Shi, jeune orpheline qui rêve de se libérer de sa condition d’esclave et qui y parvient en devenant pirate. L’histoire s’échelonne en faisant des bonds dans le temps, ce qui nous permet de suivre l’évolution du personnage, mais aussi d’une partie au moins de la civilisation chinoise. Là où l’auteure frôle la fantasy, c’est en incluant des éléments de kung-fu, que Yi Shi pratique avec brio, et qui lui donne des capacités qu’on peut qualifier de surhumaines. Je ne colle toutefois pas une étiquette fantaisiste à ces capacités : après tout, qui n’a jamais été épaté par les prouesses physiques de pratiquants du kung-fu aujourd’hui? L’auteure exagère certains exploits, mais son récit n’en demeure pas moins une fenêtre fascinante sur une période historique que nous n’enseignons que trop peu en Amérique du Nord et qui gagne à être mieux connue.

Finalement, Terres vikings d’Élodie Tirel a été dès les premières pages un coup de cœur pour moi. Encore une fois, nous avons la chance d’avoir une auteure qui a le souci de présenter les faits de manière la plus juste possible sur la société islandaise aux alentours de l’an 1000, sans que ce souci rende le récit proposé ennuyant. Deux jumeaux doivent s’adapter à une nouvelle réalité lorsque le père, frustré de voir les chrétiens envahir de plus en plus l’Islande, décide de s’exiler avec sa famille au Groenland, récemment colonisé. Pour ce faire, ils doivent autant se soumettre à leur communauté qu’en défier les us et coutumes, tout en composant avec la diversité de leurs intérêts. Alors que Tysvald rêve de conquêtes et d’aventures, Liv sait que son avenir sera celui d’une guérisseuse et peut-être même d’une voyante. Ce qui m’a le plus attirée dans ce roman, c’est la description minutieuse des croyances de ces Scandinaves et, surtout, le choc culturel encouru par l’arrivée de plus en plus forte des chrétiens. Les impacts de cette colonisation religieuse sont bien connus des historiens, mais qu’en est-il de nos jeunes lecteurs?

Bref, le roman historique jeunesse connaît un renouveau qui nous permet de sortir un peu du cadre médiéviste qui a bercé notre enfance. Sans discréditer les histoires romanesques que nous connaissons tous, ces auteurs nouveau genre qui parviennent à rendre un cours d’histoire sur le Japon, les États-Unis, la Chine impériale et le Groenland intéressant méritent tous une attention particulière!

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