On ne va pas se mentir : au Québec, on la connaît encore peu, la littérature jeunesse acadienne. Et pourtant, elle est ici et là, tantôt sans en porter le sceau, tantôt cachée entre les rayons, tantôt mise de l’avant par d’indéfectibles libraires curieux. La revue Les libraires est allée à la rencontre d’une bibliothécaire scolaire du Nouveau-Brunswick, d’une auteure qui a des airs de fée ainsi que d’une maison d’édition — Bouton d’or Acadie — qui a pignon sur rue depuis vingt-cinq ans, afin de dresser un petit tour d’horizon d’une littérature jeunesse acadienne riche, protéiforme et, à n’en pas douter, à lire!

« Ce n’est pas juste un phénomène de petites capines et de musique à bouche, la littérature acadienne! » : Marie Cadieux, directrice générale chez Bouton d’or Acadie, ne pourrait être plus claire et plus imagée. Nous la joignons alors qu’elle revient tout juste du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, en France, auquel elle participe depuis quelques années. Là-bas, comme au Québec d’ailleurs, la littérature acadienne demeure mésestimée, sauf pour certaines régions plus sensibles à son existence en raison de leur vocation, de leurs liens historiques ou de leurs échanges universitaires avec le Nouveau-Brunswick. Optimiste, Marie Cadieux soutient que l’essor des Acadiens sur le plan national, voire international, dans les autres disciplines artistiques — en musique et au théâtre, notamment — lui laisse croire qu’un jour, ce sera au tour de la littérature jeunesse de briller.

Illustration : © Nathasha Pilotte

Une maison ouverte
C’est en 1996 que Marguerite Maillet et Judith Hamel ont mis sur pied les éditions Bouton d’or Acadie. En 25 ans, la maison a publié plus de 87 auteurs et plus de 64 illustrateurs, dont une grande majorité provenant de l’Acadie, mais pas uniquement. Bouton d’or Acadie s’inscrit dans un grand mouvement de la francophonie, nous explique Marie Cadieux. Ainsi, bien qu’elle donne priorité aux auteurs acadiens, la maison ouvre ses portes aux auteurs de toutes les provinces : « On reçoit beaucoup de propositions d’auteurs québécois. Je crois que c’est parce qu’ils savent que l’on ose, que nos collections ne sont pas figées », explique Marie Cadieux. On note donc, en guise d’exemple, qu’Angèle Delaunois — auteure mais aussi éditrice chez L’Isatis — y signait tout récemment La nouvelle vie de Madame Bouteille.

« On veut faire avancer la réflexion », explique Marie, qui souhaite publier des œuvres contemporaines qui reflètent l’état des lieux du monde actuel. Et depuis les quinze dernières années, sa maison s’est intéressée à une multitude de sujets variés. Car si Bouton d’or Acadie porte ses racines à même sa dénomination, elle ne fait pas que dans les sujets acadiens : « Ce n’est pas la première bougie d’allumage qui fait qu’on choisit de publier ou non un texte, nous explique Marie. Et c’est super comme ça. C’est le livre, c’est l’œuvre, c’est la voix qui importent. Mais quelques sujets reviennent sous la plume des auteurs acadiens, car, veut, veut pas, leur quotidien imprègne leur texte comme tout autre auteur : la mer, la pêche, etc. » On pense alors au récent Cléo matelot de Jeanne Mour et Émilie Leduc, qui raconte l’histoire d’une fillette qui grandit avec le rêve de prendre le large à bord d’un voilier. Aussi, comme nous l’explique la directrice, si l’Acadie n’est pas toujours le sujet central, le lien avec elle oriente leur sensibilité et nourrit leurs décisions éditoriales. Par exemple, dans Sous mon lit, de Chantal Duguay Mallet et Danica Brine, l’équipe s’assure que les peluches qui y figurent sont des animaux faisant partie de la faune atlantique et de la forêt acadienne : un éperlan, un pékan, un homard, etc.

Et la déportation, en parle-t-on encore? « On en a parlé beaucoup, mais peut-être pas assez, car plusieurs ne comprennent pas encore comment ça se fait qu’il y ait des Acadiens partout, jusqu’en Louisiane par exemple. » Sur le sujet, tous ceux avec qui Les libraires s’est entretenue sont unanimes : il faut absolument lire La butte à Pétard, de Diane Carmel Léger — auteure incontournable et prolifique de l’Acadie — qui raconte comment deux jeunes tentent de fuir la déportation de 1755 en apprenant à survivre avec leur grand-père, cachés en forêt.

Le défi des minorités
Si faire rayonner la littérature acadienne est un défi, le faire pour la littérature jeunesse en est tout un autre. Alors, lorsque les deux sont réunis, il faut beaucoup de persévérance pour percer, il faut jouer du coude pour se retrouver visible dans les librairies canadiennes hors Acadie. Au bout du fil, Marie Cadieux déplore que les chaînes médiatiques nationales fassent preuve d’un peu trop de québécocentrisme lorsque vient le temps de diffuser les bons coups en littérature jeunesse, mais souligne cependant que les médias, radiophoniques comme écrits, du Nouveau-Brunswick sont quant à eux réellement à l’écoute : « Nous sommes souvent interviewés, les éditeurs comme les auteurs, pour présenter nos nouveautés, à un point tel où ça rend jaloux les éditeurs québécois! On est très soutenus par nos médias, lesquels portent d’ailleurs un regard qui valorise le travail en littérature jeunesse. »

Mireille Mercure, directrice de la bibliothèque scolaire et publique Le Cormoran, à Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, souligne qu’en Acadie comme ailleurs, un des défis majeurs est d’intéresser les garçons à la lecture. Pour ce faire, la bibliothèque mise beaucoup sur les documentaires. C’est d’ailleurs l’une des deux catégories — l’autre étant le roman — du Prix littéraire Hackmatack, dont elle est la présidente du comité. Ce prix, qui fait rayonner la littérature jeunesse francophone du Canada (dont le jury met un soin particulier à sélectionner des ouvrages issus de milieux linguistiques minoritaires), a ceci de particulier que ce sont les jeunes eux-mêmes qui couronnent les gagnants. Parmi les auteurs encensés, Mme Mercure en souligne trois qu’elle affectionne particulièrement : Cindy Roy (nous y reviendrons…), Diane Carmel Léger et Denis Boucher — lequel est d’ailleurs invité, chaque année, au salon du livre qu’ils organisent à la bibliothèque et qui fait toujours fureur avec sa série mettant en scène trois jeunes, surnommés « Les trois mousquetaires », et dont les aventures les plus populaires sont Le monstre du lac Baker, L’Île-au-Crâne de Shédiac et Les soucoupes de la Péninsule.

« Le Nouveau-Brunswick est reconnu pour son grand programme d’inclusion scolaire, tient à mentionner Marie Cadieux. Des colloques à l’international vantent le système scolaire primaire du Nouveau-Brunswick à ce sujet. […] Le fait qu’on soit minoritaire fait en sorte qu’on est obligés de vivre avec l’autre », offre-t-elle comme explication. Depuis des lunes, Bouton d’or Acadie aborde des sujets qui sont sur le bout des lèvres de l’édition actuelle au Québec. Par exemple, la maison a lancé une collection en 2003 sur les littératures autochtones acadiennes intitulée « Wabanaki », qui regroupe des contes et des histoires issues des Premières Nations du Canada atlantique, soit les Mi’kmaq et les Wolastoqiyik. Huit titres figurent actuellement à son catalogue, auquel s’ajoute un titre de la division pour adultes — Mouton noir Acadie —, Ce n’était pas nous les sauvages de Daniel N. Paul, dont la maison est très fière.

Autres exemples d’ouvrages ouverts à la diversité : Ils sont… (Michel Thériault et Magali Ben) sur un couple homosexuel âgé; Mère(s) et monde (Sanita Fejzić et Alisa Arsenault) qui met en scène une femme homosexuelle dont on refuse le statut de mère, car elle n’a pas porté l’enfant; Tommy Tempête (Audrey Long et Jean-Luc Trudel) qui raconte comment un petit garçon autiste communique par la langue des signes avec les autres; ou encore les albums collectifs mettant en scène Jacoby, un chien thérapeute (inspiré d’un vrai canidé acadien!) qui aide les enfants avec leur anxiété.

Impossible de parler de minorités sans aborder le sujet du chiac, cette variété du français acadien, et de sa place dans la littérature jeunesse acadienne. « L’Acadie, ce n’est pas que Moncton et le Sud-Est, il y a une immense richesse. La fascination pour le chiac est intéressante dans la création, mais pas comme objet de distinction, exprime la directrice de la maison. Dans un milieu où l’anglais est partout, un des défis, c’est l’assimilation. Les références — au cinéma ou à la télévision, entre autres —, c’est très américain ou anglo-canadien. Le travail autour de la langue est donc important, et encore plus pour les jeunes. » Marie Cadieux mentionne d’emblée que la fondatrice de la maison aurait été réticente à y faire une place dans ses livres. Mais, de plus en plus, on en retrouve un peu, avec parcimonie et toujours avec une justification éditoriale. Par exemple, dans les ouvrages destinés aux premiers lecteurs, c’est le français normatif — sans chiac, donc — qui sera privilégié. Par contre, dans les livres pour les plus âgés, on retrouve certains mots de vocabulaire ou tournures de phrases associés au chiac, principalement dans les dialogues. Marie Cadieux souligne également la parution de B pour Bayou et du Pit à Papa, où il y a une utilisation de mots acadiens qui sont en train de tomber dans l’oubli : « Là, on utilise le chiac sans se gêner! On lira par exemple “amarrer ses souliers” au lieu de les “lacer”. »

Une digne fée de l’Acadie

Photo de Cindy Roy : © Rachelle Richard-Léger

L’Acadie possède ses frontières, et c’est justement pour s’en affranchir mais sans jamais les dénigrer que Cindy Roy, auteure, enseignante et consultante en pédagogie basée à Dieppe, a choisi de publier pour sa part dans une maison d’édition québécoise. « Bouton d’or Acadie est une maison que je trouve géniale. Je présentais souvent à mes élèves des auteurs acadiens qui y publiaient. Et quand j’ai voulu envoyer mon manuscrit, ça m’a passé par la tête de l’envoyer chez Bouton d’or, mais il y avait une petite voix qui me disait : “Oui, t’es capable! Mais qu’est-ce qui arriverait si tu étais publiée dans une maison qui te fait encore plus tripper? Tu n’as rien à perdre!” Comme c’est ce que j’essayais de montrer aux jeunes d’ici, de croire en soi et en ses rêves, j’ai osé. »

C’est donc chez Boomerang que la pétillante Cindy Roy fera ses premiers pas comme auteure (avec une série mettant en vedette le personnage de Féeli Tout), après avoir passé treize ans à enseigner au primaire, où toute sa pédagogie découlait d’albums jeunesse. « Que ce soit une rencontre d’information aux parents, une rencontre avec les profs, je commençais toujours en lisant un album! » La lecture, elle en faisait ainsi autant sa passion que son métier.

« J’ai commencé en racontant les histoires des auteurs qui ne souhaitaient pas les lire eux-mêmes devant les foules, dans les salons. Puis, la directrice du Salon du livre de la péninsule acadienne m’a proposé de revenir l’année suivante déguisée en personnage et d’être la marraine de l’événement. » Elle y est donc retournée, et c’est là, en 2012, qu’a pris vie Féeli Tout, une fée conteuse qui va à la rencontre des enfants dans les salons, les écoles, les garderies, les bibliothèques et les librairies, et ce, du Nouveau-Brunswick au Yukon, en passant par toutes les provinces du Canada afin de leur faire découvrir la littérature jeunesse francophone. Car cette fée comprend très bien à quel point il est important de faire des animations dans des régions où les gens ont moins de chance que d’autres d’être mis en contact avec la littérature. Et elle a plus d’un tour dans son sac pour engager la curiosité des jeunes, à commencer par sa tenue : une jupe faite de pages… tirées directement d’un roman de Dominique Demers! « Ça me permet d’aborder une auteure de plus, quand je parle aux enfants! »

Néanmoins, il y a un triste constat en Acadie autour de la littérature jeunesse, que Marie Cadieux, Mireille Mercure et Cindy Roy ont toutes soulevé : les auteurs acadiens, voire québécois, sont peu connus, au détriment de certains auteurs populaires américains traduits. C’est que les enfants connaissent ce qu’on dépose entre leurs mains. La loi 51 (qui protège la chaîne du livre au Québec) n’a pas d’équivalent dans la province voisine et les éditeurs peuvent ainsi vendre directement aux enfants, notamment en distribuant des catalogues aux élèves dans les écoles. En soi, la pratique n’est pas problématique; elle stimule la lecture. Seulement, cela amoindrit la diversité des titres avec lesquels les jeunes sont en contact. C’est pourquoi des prescripteurs comme Cindy Roy ou le Prix littéraire Hackmatack sont d’une grande richesse et d’une importance primordiale. L’auteure souligne que lorsqu’elle demande aux enfants de lui nommer un auteur, bien souvent, le seul qu’ils connaissent est Robert Munsch : « Mais maintenant, ils se souviennent de ceux présentés par Féeli Tout! », se réjouit-elle, mentionnant que son travail de médiation, elle le fait également pour les professeurs, qui sont en première ligne pour faire découvrir aux enfants une diversité d’auteurs et d’illustrateurs. Son travail semble porter ses fruits, puisqu’elle souligne que sur 100 animations, 100 groupes nommaient l’auteur américain lorsqu’elle leur demandait de citer un écrivain. Maintenant, ils connaissent des auteurs de chez eux, des auteurs franco-canadiens, et même des auteurs français — Mario Ramos et Michaël Escoffier notamment.

De la fierté et des possibilités
La fierté de venir de l’Acadie est au cœur de la démarche de Bouton d’or Acadie ainsi que de celle de Cindy Roy. « Pour moi, dit cette dernière, c’est vraiment important de présenter des artistes d’ici, de montrer aux gens d’ici qu’on est capables de faire de grandes choses même si on vient d’une place grosse de même au Nouveau-Brunswick. Si moi je suis capable de faire ça, eux aussi sont capables. C’est important de leur montrer que les livres, c’est quelqu’un qui les a écrits, comme moi, comme eux, que c’est quelqu’un qui a un message à livrer. »

« Si l’on souhaite préserver sa langue et sa culture, je suis persuadée qu’il faut aller vers les jeunes et, pour les toucher directement, rien n’est plus efficace que de leur raconter des histoires », abonde dans le même sens que Cindy Roy la populaire auteure Diane Carmel Léger, en entrevue pour Lurelu (hiver 2022) sous la plume de la journaliste Sophie Marsolais.

D’ailleurs, Cindy Roy nous livre une anecdote savoureuse en ce sens : lorsqu’elle enseignait en maternelle, les lettres et les sons étaient imagés dans sa classe par des artistes. Pour apprendre le son « an », les élèves découvraient donc Antonine Maillet — la plus grande inspiration de Cindy Roy. Lorsque cette dernière découvre que madame Maillet a aussi écrit un album pour la jeunesse, elle saisit l’occasion de le lire à ses élèves. Pour le 81e anniversaire de l’auteure, ils lui écrivent et entament ainsi une correspondance avec la grande dame des lettres acadiennes. « C’était pour montrer aux élèves que lorsqu’on fait quelque chose avec notre cœur, tout est possible. Je voulais leur montrer qu’Antonine, c’était une mamie comme une autre et que nous aussi on était capables de faire de grandes choses. En fait, c’est Antonine qui avait dit à un moment donné “Les possibles sont infinis”, et cette citation était même écrite sur nos placards! » Un an plus tard, alors que Cindy Roy était dans un salon du livre, elle s’étonnait de ne voir que des têtes grises qui écoutaient Antonine Maillet présenter son roman L’albatros, quand tout à coup, elle a vu l’une de ses anciennes élèves, maintenant âgée de 6 ans, qui déambulait dans le salon en mangeant son popcorn. En passant devant la présentation, la petite s’était exclamée « Oh! Antonine! » et s’était assise pour écouter cette mamie avec qui elle avait correspondu un an auparavant, tout en continuant, attentive aux mots, à déguster son popcorn…

Visiblement, pour faire connaître la littérature acadienne, il suffit d’en parler à nos jeunes, non?

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