La censure vue par les écrivains : Jacques Goldstyn

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Pour un illustrateur, la censure frappe-t-elle de la même façon que pour un auteur? Quelle forme prend-elle?

Je serais tenté de dire qu’il n’y a pas de censure en illustration au Canada. La censure, en illustration, c’est quand un gouvernement ou une autorité décide d’empêcher la parution d’un dessin. Elle existe dans la plupart des pays du monde : en Chine, au Vietnam, en Iran, au Laos, en Égypte, en Malaisie, au Belarus, etc. Des caricaturistes y sont condamnés et parfois torturés pour avoir égratigné le pouvoir en place. Dans les pays où existe une tradition de liberté de presse, un dessin « controversé » ne sera pas publié au départ. Chez nous, les journaux, les magazines, les manuels scolaires, les publications destinées à la jeunesse suivent déjà une ligne de pensée de laquelle ils ne dérogent jamais.

Sous prétexte de ne pas s’aliéner une minorité de leur lectorat ou de perdre une subvention gouvernementale, certains décideront de ne jamais publier des dessins. Dans le doute, mieux vaut s’abstenir : telle est la règle en vigueur. En revanche, dans nos pays, on compte de nombreux médias alternatifs qui diffuseront avec plaisir ces dessins jugés subversifs.

Je viens de terminer les illustrations d’un livre inspiré par l’action d’Amnistie internationale, intitulé Le prisonnier sans frontières. C’est une histoire sans paroles pour enfants de 6 à 106 ans qui raconte les malheurs d’un prisonnier d’opinion. Durant un moment de désespoir, le condamné se met à dessiner des souvenirs heureux sur le mur crasseux de sa cellule. Il se représente sa petite fille et lui se baladant à la campagne. Ils cueillent des pommes et se baignent dans un étang. Des scènes de bonheur disparu.

Mon éditeur canadien-anglais m’a alors demandé de remplacer cette scène de baignade, parce qu’elle laissait sous-entendre que le papa et sa petite fille étaient nus comme des vers. Mon éditeur québécois et moi sommes tombés des nues. Pas une seconde, en dessinant cette scène, le port du maillot de bain ou la notion de nudité m’avait effleuré l’esprit. Cette pudibonderie de mes compatriotes de Toronto ne m’a pas fâché. Au contraire, j’en ai éclaté de rire. J’ai eu l’impression d’être replongé à la prude époque victorienne. Et ça m’a fait réfléchir sur la censure. Finalement, on n’a pas besoin d’envoyer des dessins au fin fond de l’Afghanistan ou de l’Arabie saoudite pour provoquer des démangeaisons chez un éventuel censeur. Le choc des cultures existe même chez nous, juste dans notre cour arrière.

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