Comme chaque année, l’équipe de la revue Les libraires ainsi que celle de la coopérative Les libraires ont sélectionné les meilleurs livres lus au cours de l’année. Le choix s’avère toujours difficile puisque nous lisons beaucoup de bons livres. Parmi nos lectures de 2019, nous avons quand même réussi à déterminer nos livres préférés. Les voici!

 

Les lectures de Maud Lemieux
Coordonnatrice au développement institutionnel

Sabrina
Nick Drnaso (Presque lune)
J’ai failli ne pas ouvrir cette BD parce que le dessin ne m’attirait pas du tout. Puis, ma curiosité l’a emporté et c’est tant mieux, puisque rares sont les livres qui m’ont fait l’effet que cette BD a eu sur moi. Après la disparition de Sabrina, son copain, désemparé, trouve support et refuge chez un ami de longue date dont la vie de famille est sur la glace. Ironie, malaise et génie sont au rendez-vous entre ces deux hommes esseulés, traumatisés, en perte de repères. Le texte de Drnaso est subtil, le dessin est angoissant et le mélange des deux est vraiment puissant.

 

Nomadland
Jessica Bruder (Globe)
La nonfiction me plaît depuis plusieurs années et les livres publiés aux éditions Globe sont souvent dans ma mire. J’ai particulièrement apprécié à quel point la journaliste Jessica Bruder est pleinement investie dans ce reportage, un récit qui prend la forme de portraits inusités, touchants, révoltants de gens qui, à défaut de pouvoir accéder à leur retraite, vont troquer maison et confort pour vivre dans des vans et se trouver des boulots saisonniers, souvent dans les entrepôts d’Amazon. À plus d’une reprise, elle sillonne les États-Unis pour rencontrer et même vivre avec ces Américains de classe moyenne dont la vie a complètement été bouleversée par la crise économique de 2008. Elle nous montre alors que ce qui peut sembler être la fin du monde est souvent plutôt une occasion pour l’être humain de se réinventer. Il se trace derrière son récit un puissant questionnement sur le capitalisme et l’individualité des sociétés en Amérique du Nord.

 

Le drap blanc
Céline Huyghebaert (Le Quartanier)
Il y avait tout pour me plaire dans ce premier livre de l’artiste Céline Huyghebaert. Après le décès de son père, l’auteure tente de tracer un portrait juste et fidèle de son père tout en décortiquant les étapes de son deuil. En équilibre entre émotion et distance, elle fouille dans ses souvenirs, questionne les gens qui l’ont côtoyé, se remet en question dans un style original, en mélangeant les genres, ce qui rend sa quête, bien que toute personnelle, profonde et universelle.

 

Mon année de repos et de détente
Ottessa Mosfegh (Fayard)
Une femme privilégiée et fraîchement diplômée en arts de l’Université de Columbia décide de combattre son ennui et de plonger, à l’aide d’une multitude de médicaments, dans un sommeil profond pendant une année entière. Entre rêve et réalité, cet audacieux roman m’a autant fait rire qu’il m’a rendue mal à l’aise. L’incapacité de « vivre éveillée » et d’interagir avec son entourage de la protagoniste ouvre la porte autant à des situations ironiques qu’à une profonde désillusion. Une plongée drôle et intelligente dans l’individualisme, le matérialisme, la richesse et l’ennui, qui m’a habitée longtemps.

 

Une femme en contre-jour
Gaëlle Josse (Noir sur Blanc)
Je n’avais jamais entendu parler de Vivian Maier, photographe inconnue de son vivant, femme au parcours hors du commun. Gaëlle Josse réussit à raconter le récit de cette femme sans juger et en restant toujours en retrait pour laisser cours au fil ténu de cette vie vécue en discrétion et en solitude. Critiquée ou encensée depuis sa mort en 2009, cette nourrice autodidacte qui s’attarde à faire des portraits inusités et vrais des New-Yorkais qu’elle croise m’a émue et fascinée du début à la fin de ce court récit.

 

 

Les lectures d’Isabelle Beaulieu
Rédactrice et créatrice de contenu

 

Fais ta guerre, fais ta joie
Robert Lalonde (Boréal)
Je ne m’habituerai jamais aux mots assoiffés de ce prophète d’émerveillement qu’est Robert Lalonde. Lui seul sait décrire avec autant de précision exaltée ce qui se trouve au fond et par-delà les choses. Dans ce carnet où il ne cesse encore de voir, de lire et d’écrire, il s’acharne à décrypter les gestes de son père quand celui-ci se mettait à la peinture et qu’il tentait, comme le fils le fera plus tard avec les mots, de saisir le monde en sachant qu’au mieux il ne pourrait qu’approcher son ineffable mystère. Écrit à la deuxième personne du pluriel, le récit de Lalonde emprunte en quelque sorte au « vieux style » pour incarner la voix qui guide nos intuitions vers l’indomptable envie de créer.

 

Les retranchées
Fanny Britt (Atelier 10)
En onze textes, l’auteure déplie différentes facettes de la famille et remet en question des présupposés qui déforment la réalité et nous confinent à habiter un espace étriqué. La brave Fanny Britt fait la peau au concept de « mère idéale » en revendiquant son droit aux doutes et à l’imperfection. Elle met en boîte les raccourcis au sujet de l’avortement, s’essaie à élever des garçons heureux et solidaires, franchit le tabou de la femme sans enfant. Elle met sur la balance le poids du quotidien avec celui de l’amour qui déborde, ajoutant à cela quelques poignées de culpabilité qui seront bon an mal an diluées par la beauté, par la bonté.

 

Un
Salomé Assor (Poètes de brousse)
En un seul long souffle d’une centaine de pages, une femme se rompt à la solitude en s’adressant à Monsieur, un interlocuteur imaginaire à qui elle livre les fils décousus de sa pensée. Incantatoire, jubilatoire, désespéré, comique, absurde, ce monologue parle du vide qui ne se remplit jamais, de la candeur qui n’a d’autres moyens que l’espoir, de la frustration du langage qui peine à tenir ses promesses en ne sachant nommer qu’approximativement, de la liberté qui est toujours à reconquérir, de la condition humaine, quoi. Ce premier roman contourne les conventions pour nous faire entendre une nouvelle voix indéniablement puissante.

 

Les manifestations
Patrick Nicol (Le Quartanier)

La vie de Paul Desrosiers manque d’amplitude. Sa femme est devenue son ex, sa fille maintenant adolescente est de plus en plus difficile à saisir, sa mère a la mémoire qui s’égare et son travail lui semble inutile. Mais le temps fait son œuvre et apportera quelques surprises dans l’existence de Paul, dont André Dubon qui dégage confiance et robustesse et qui l’entraînera dans une intrigue où l’art et les messages du passé donneront un sens différent aux choses qui l’entourent. En parallèle, nous serons invités dans la quête des surréalistes qui cherchent entre les strates de la conscience de nouvelles perceptions et des esprits nous apparaîtront lors de séances de spiritisme que pratiquaient Victor Hugo et les siens. Rien que ça!

 

La Minotaure
Mariève Maréchal (Triptyque)
Ce récit fragmenté puise à même les souvenirs d’une enfance explosée par la violence psychologique d’un père. Loin du règlement de compte, il creuse surtout les fondements de l’identité qui sont constamment refoulés par l’imposition de règles qui rend difficile l’affirmation de soi, d’autant plus quand notre genre ne correspond pas aux standards dominants. C’est cette traversée vers un non-être, que l’auteure aura à défricher jusque dans le langage et qui se trouve au confluent de la féminité et de la masculinité, qui est relatée dans ce livre qui ne ressemble superbement qu’à lui-même.

 

 

Les lectures de Josée-Anne Paradis
Rédactrice en chef revue Les libraires

 

Roux clair naturel
Fanie Demeule (Hamac)

Un petit livre qu’on attrape du bout des doigts sans savoir qu’on s’en trouvera complètement happée, sans penser qu’il recèlera une telle profondeur. La narratrice est une fabulatrice née. Et c’est dans cette aspérité de sa personnalité qu’on en découvre la vulnérabilité, la souffrance, la faiblesse. Ça raconte l’histoire d’une jeune femme qui se fait dire, par l’homme qu’elle vient de rencontrer, mais avec qui elle souhaite partager sa vie : « C’est la plus belle couleur que j’ai jamais vue ». Et tout déboule du moment où elle réplique « Merci. C’est ma couleur naturelle ». Alors qu’il n’y a rien de plus faux. Avec une prose fine et un rythme toujours soutenu, cette œuvre d’inspiration autofictionnelle se lit comme un thriller, nous gardant en haleine pour savoir jusqu’où elle ira dans ses mensonges, jusqu’où elle pourra renier ce qui la constitue réellement.  

 

Le tendon et l’os
Anne-Marie Desmeules (L’Hexagone)

Avec une sauvagerie qu’on accole peu souvent à la maternité, Anne-Marie Desmeules met en scène la relation amour-haine que peut ressentir une mère pour son enfant, sujet tabou s’il en est un. Dans ce récit poétique très ancré dans le quotidien, on a l’impression que la narratrice est prise au piège par le petit bout d’enfant qui ne fait qu’exister autour d’elle. Il y a alors une violence dans le ton qu’on lit rarement. Mais cette sourde lourdeur qui pèse sur une mère qui décrit la relation avec son fils comme « un engrenage de nœuds, de silencieuses impossibilités » est également traversée de mots qui scintillent parmi la noirceur de ce texte. « Indissociable / il a toujours besoin de moi / et ça me désespère // ces rêves auxquels je renonce / ce corps qui ne m’appartient plus / si au moins je pouvais l’emmener avec moi // mais il me fait honte / à montrer à tout le monde / à quel point // Je suis incapable ».

 

Ma maison
Astrid Desbordes et Pauline Martin (Albin Michel Jeunesse)

Il y a parfois des albums jeunesse qu’on ouvre et dans lesquels on a envie de se perdre, longtemps. Dont on a envie de retourner encore et encore les pages pour replonger dans l’univers illustré proposé. Ma maison m’a fait cet effet. C’est l’histoire toute simple d’un petit garçon, Archibald, qui nous parle de sa demeure : quand elle lui paraît grande la nuit, toute petite le jour quand il veut y jouer au ballon. Quand elle accueille des gens, ou quand il s’y blottit juste en famille. Il fait aussi l’inventaire de celle de ses amis – différents lieux (ville, campagne), différents styles (bricolée, vieille, etc.) – sans pourtant la comparer. Puis il revient à sa maison, pour nous dire candidement qu’importe la demeure, ce sont les gens qui l’habitent qui font qu’on l’apprécie. Un album tout simple, dans les illustrations comme dans le texte, mais tellement vrai, puissant et réconfortant!

 

Zéro douze
Marie Chouinard (Les éditions du passage)
J’ai une grande admiration pour la danseuse et chorégraphe Marie Chouinard, mais surtout pour l’artiste qu’elle est, au-delà de sa discipline. J’avais donc un a priori fort positif sur ce livre, récit libre en vers, petites saynètes de la tendresse de l’enfance. Marie Chouinard nous fait revivre ses souvenirs, alors qu’elle avait entre 0 et 12 ans (d’où le titre), nous fait plonger dans un monde où l’insouciance se bute aux grandes réalités, où la pureté côtoie le comique et où la puissante poésie des images qu’elles recréent pour son lecteur nous enveloppe de douceur. Il n’y a rien de transcendant ou d’agréablement dérangeant dans ce livre, contrairement à son œuvre dansée, mais c’est un tendre bonheur que d’y plonger.   

 

Edison : La fascinante plongée d’une souris au fond de l’océan
Torben Kuhlmann (NordSud)
Œuvre graphique exceptionnelle, cet album – que je n’ose qualifier de « jeunesse » – dévoile le talent incontestable de Torben Kuhlmann. Plusieurs doubles pages entièrement dédiées aux illustrations démontrent d’ailleurs sa maîtrise des clairs-obscurs. Et au grand bonheur du lecteur, son histoire est du niveau de ses illustrations : elle débute à l’Université des Souris – dissimulée derrière les étagères d’une librairie –  alors qu’un souriceau et son professeur construisent un vaisseau qui sondera les profondeurs marines, en quête d’un véritable trésor. Cette prouesse artistique est une ode magnifique et subtile à Thomas Edison. Il y a d’ailleurs un petit quelque chose chez cet artiste qui me rappelle Stéphane Poulin.

Les lectures d’Alexandra Mignault
Adjointe à la rédaction revue Les libraires 

 

Habiller le cœur
Michèle Plomer (Marchand de feuilles)
À 70 ans, Monique, la mère de Michèle, laisse tout tomber pour partir dans le Nord, à Puvirnituq, où elle travaille à la DPJ et s’intègre rapidement à la communauté. Monique poursuit son rêve et cette décision est à l’image de sa vie : elle ne fait rien comme les autres. Pendant qu’elle tente d’écrire un roman, Michèle raconte avec tendresse la vie de cette mère pas ordinaire, parfois difficile à suivre, une personne pétillante, entêtée, entière, menée par une belle folie et un amour pour la vie. C’est une vraie héroïne de roman qui se déploie dans cette œuvre sensible, touchante, vibrante et généreuse.   

 

Pour mémoire : Petits miracles et cailloux blancs
Dominique Fortier et Rafaële Germain (Alto)
« Cet ouvrage est un répertoire de miracles fragiles et minuscules que nous avons choisi de garder comme on conserve les fleurs entre les pages d’un livre pour pouvoir continuer à les admirer en hiver – une manière d’antidote au cynisme, à l’absurde, au découragement qui nous assaillent du dedans comme du dehors. Un tout petit acte de résistance. » Cette proposition ne pouvait que m’attirer. Et ce livre a rempli ses promesses. Les deux écrivaines s’écrivent pour saisir des moments épars, pour ne pas les oublier, pour les cristalliser. Au fil des mots, elles se dévoilent et saisissent l’essentiel de leur vie. J’aurais pu continuer longtemps à les lire, ayant justement envie de capturer cette lecture, ce moment de grâce.

 

Une fille pas trop poussiéreuse
Matthieu Simard (Stanké)
Après Les écrivements, Matthieu Simard propose un roman tragi-comique sur la fin du monde entremêlant douceur et mélancolie, beauté et cruauté. L’auteur se met en scène dans un monde postapocalyptique dans lequel il se trouve seul après une séparation, en plus d’être isolé chez lui, prisonnier sous la poussière qui a tout enseveli. Que reste-t-il quand il ne reste plus rien? Quand il sort enfin de chez lui, Matthieu part à la recherche de l’amour, mais les femmes qu’il rencontre meurent les unes après les autres. 

 

Oshima
Serge Lamothe (Alto)
En 2043, la crise vécue par la civilisation s’accentue alors que la planète se trouve plongée dans le silence et le noir quand Internet et tous les systèmes électriques et électroniques s’éteignent. On assiste à l’effondrement global des réseaux. Malgré cette situation chaotique, Akamaru, un jeune Eurasien qui habite Paris, entreprend un voyage périlleux pour retrouver son île natale, Oshima, à la recherche de ses origines et de son histoire. Envoûtant, profond et sensible, ce roman futuriste de Serge Lamothe explore les méandres insondables de l’existence.

 

Oyana
Éric Plamondon (Quidam éditeur)
Oyana, une Basque qui s’est exilée au Québec pour survivre, retourne dans son pays natal après la dissolution de l’ETA, une organisation terroriste basque. De retour après plus d’une vingtaine d’années, elle replonge dans son passé, en quête d’elle-même, essayant de démêler ce qui appartient à son histoire et à celle de son pays, les deux histoires étant intrinsèquement liées. Comme dans Taqawan, Éric Plamondon entremêle la petite et la grande histoire avec finesse et échafaude un roman saisissant.

 

 

Et nous ajoutons à cette liste, ces cinq livres qui trônent sur nos tables de chevet, mais que nous n’avons pas encore eu l’occasion de terminer, parce que si le temps nous l’avait permis, ces ouvrages auraient assurément fait partie de nos lectures préférées de l’année. 

 

 
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