L'initiative Les libraires conseillent répond à la demande des lecteurs avides de suggestions. Chaque mois, un comité formé d’une quinzaine de libraires établit, après moult discussions passionnées et passionnantes, une sélection de cinq livres. Essais, BD, romans jeunesse ou pour adultes, d’ici comme d’ailleurs, ces cinq livres sont mis de l’avant dans les librairies membres de notre réseau. Cette initiative est une belle occasion de promouvoir des livres jugés particulièrement remarquables, ainsi que de valoriser le rôle primordial de votre libraire. Voici la sélection de juin :


Un beau désastre
Christine Eddie (Alto)

Le petit M.-J. est abandonné par sa mère dès sa naissance. Il est confié à sa tante Célia, une passionnée d’astrologie qui habite dans un quartier défavorisé, et qui est certaine que sa sœur viendra éventuellement récupérer l’enfant. Elle doit se rendre à l’évidence : ce ne sera pas le cas. M.-J. grandit auprès d’elle et c’est un enfant hors du commun qui est très conscient de l’injustice sociale et de tous les problèmes que connaît la planète. L’été de ses 16 ans, il développe ses talents de graffeur en dessinant des murs fleuris chez les gens du quartier. C’est également à ce moment qu’il tombe amoureux. Ce roman se savoure comme un petit bonbon. On est charmé par l’écriture toujours juste de Christine Eddie ainsi que par la belle solidarité dépeinte dans l’univers de M.-J.
Véronique Tremblay, librairie Vaugeois (Québec)

 


Les crapauds sourds de Berlin
Simon Lambert (Hamac)

Parvenir à traquer l’inédit du « désir dressé » d’un homme hétérosexuel pétri de pornographie et collectionneur de trophée horizontal, avec le « plus inentamé des sérieux », c’est le défi relevé avec panache et sensibilité par l’auteur et critique de théâtre Simon Lambert. Les crapauds sourds de Berlin, à grand renfort de formules franches et de réflexions amples, nous entraîne sur le terrain désenchanté d’un homme qui à force de concevoir la « belle femme » comme une épiphanie à consommer, s’est étiolé dans un marasme existentiel implacable. « Viens crisser des roches sur ce que je suis ». Qui plus est, Simon Lambert multiplie les parallèles pertinents avec la révolution manquée de Rosa Luxembourg, décortique la société occidentale pré-crash de 2008 en utilisant comme prisme d’analyse le célèbre ouvrage de Francis Fukuyama La fin de l’histoire et le dernier homme et décrit la ville de Québec comme une cité en cours de dislocation nous offrant ainsi de formidables moments de lyrisme crépusculaire. « Ville courbattue à l’aqueduc usée, pleine de candidats au pairage qui occupent le social à coups d’articles partagés sur la chimie du bonheur, avec peut-être comme moi leur libido dispersée […] ».
Olivier Boisvert, librairie Gallimard (Montréal)

 


L’accoucheuse de Scots Bay
Ami McKay (Prise de parole)

Au début du siècle dernier, le village côtier de Scots Bay, en Nouvelle-Écosse, vit à son propre rythme. C’est M’ame B., la guérisseuse du village, qui s’occupe des accouchements à l´aide de plantes et du savoir ancestral qu’elle lègue peu à peu à Dora, son apprentie. Lorsqu’un médecin s’installe tout près et ouvre sa clinique obstétrique, le monde moderne se heurte à des traditions bien ancrées. Fraîchement mariée, Dora devra composer avec cette nouvelle réalité et défendre ses convictions. On plonge ici dans un univers très intime, où la maternité est le dernier rempart de ces femmes qui ont bien peu de prise sur le quotidien. La plume d’Ami Mckay est colorée et rythmée, et à travers son récit passionnant, on ressent sa vive admiration pour celles qui ont façonné l’histoire.
Chantal Fontaine, librairie Moderne (Saint-Jean-sur-Richelieu)

 


For Today, I Am a Boy
Kim Fu (Héliotrope)

En dehors de son père, Peter Huang est le seul garçon de sa famille. Élevé par sa mère et ses sœurs, il se rend assez vite compte que le monde des hommes non seulement lui est étranger, mais lui est tout bonnement inaccessible. Il ne fait pas partie de cet univers. Entre les mesquineries garçonnières de l’enfance, la cruauté de ses compagnons de jeu, leurs fascinations torrides ou leurs bravades et les injonctions paternelles à se comporter en homme, la sensibilité de Peter est mise à rude épreuve. Sa vision des choses et des gens se forge néanmoins, douloureusement. Juan Chaun, « roi puissant », n’est pas et ne peut pas être cet héritier que son père appelle de tous ses vœux. Car Peter ne se sent pas à sa place dans ce corps de garçon qui pourtant est bel et bien le sien. La confusion et les tourments qui l’accablent dans sa quête d’identité sont des éléments capitaux de ce premier livre de l’autrice canadienne Kim Fu, qui réussit toutefois à faire primer le romanesque sur le propos en conférant à son personnage une densité et un drame aux proportions littéraires d’une rare intensité. Sans que ne soit banalisée la transsexualité, son insertion au sein d’un roman d’une ampleur dépassant largement le simple cadre de la conscientisation est une façon aussi habile que salutaire d’aborder cette épineuse question.
Philippe Fortin, librairie Marie-Laura (Jonquière)

 


Trop-plein
Martin Talbot (Stanké)

Un homme décide de faire le ménage dans ses souvenirs à la veille de son 43e anniversaire, l’âge auquel son père est décédé. 43 moments qui se révèlent, autour du thème de la nostalgie, mais aussi, il y a une sorte de remise en question, une sorte d’exploration intime autour de sa vie et ces petits événements marquants qui forgent une personne.

Martin Talbot plonge tête première dans la fiction avec ce premier livre sensible, touchant et écrit d’une main légèrement tremblante par l’émotion qu’évoquent ces souvenirs. Ce roman se savoure rapidement, mais demeure en tête pendant quelque temps… comme un doux souvenir. Je suis impatient de lire autre chose de cet auteur!
Billy Robinson, librairie de Verdun (Montréal)