L'initiative Les libraires conseillent répond à la demande des lecteurs avides de suggestions. Chaque mois, un comité formé d’une quinzaine de libraires établit, après moult discussions passionnées et passionnantes, une sélection de cinq livres. Essais, BD, romans jeunesse ou pour adultes, d’ici comme d’ailleurs, ces cinq livres sont mis de l’avant dans les librairies membres de notre réseau. Cette initiative est une belle occasion de promouvoir des livres jugés particulièrement remarquables, ainsi que de valoriser le rôle primordial de votre libraire. Voici la sélection de mai. Un lot réunissant les cinq livres de la sélection sera tiré le 1er juin 2022 à 13h. Il sera possible de participer au concours dans notre infolettre du 6 mai prochain. Pour vous abonner à notre infolettre, suivez ce lien.

Mâchoires
Monica Ojeba (Gallimard)

Miss Clara est professeure, mais n’apprécie guère les jeunes filles issues de l’élite guatémaltèque à qui elle enseigne. D’ailleurs, elle a kidnappé l’une d’entre elles, Fernanda, qu’elle cache au creux d’une forêt. Mónica Ojeda nous plonge au cœur de rituels d’adolescentes éprises d’horreur et de sadisme, poussant les relations féminines dans leurs extrêmes. Avec sa prose chaude et incarnée, elle nous invite dans un récit troublant, auréolé d’une folie malsaine, aux allures de thriller psychologique. Une lecture brute, charnelle et dérangeante, dont la morsure nous hante jusqu’à la dernière page.
Chantal Fontaine, Librairie Moderne (Saint-Jean-sur-Richelieu)

 

Blackwater T.1 : La crue
Michael McDowell (Alto)

L’été s’en vient (du moins, l’espérons-nous encore!) et l’un des formats de prédilection pour tous les grands lecteurs de ce monde est le format poche. Alto nous réserve pour ce mois de mai une sortie des plus enthousiasmantes de la traduction de la série Blackwater de Michael McDowell avec les deux premiers volumes (six tomes au total). Coup de cœur immédiat à la vue de ces couvertures superbes et embossées, un format qui tient dans toutes les poches et un contenu qui annonce une série à couper le souffle, dans la lignée des romans mystérieux, un brin angoissant avec ce personnage venu de nulle part qu’est Elinor Dammert. L’histoire qui se déroule en 1919 en Alabama nous présente des familles plus vraies que nature dont la routine, déjà chamboulée par une crue extraordinaire qui inonde la ville, gravitera de plus en plus autour d’Elinor, pour le meilleur et, qui sait, sûrement le pire. Voilà, crème solaire, lunettes de soleil et Blackwater, été, nous voilà!
Shannon Desbiens, Librairie Les Bouquinistes (Chicoutimi)

 

Le vieux monde derrière nous
Olivier Kemeid (Leméac)

Après avoir sillonné les sept mers en compagnie de l’aventurier Peter Tangvald, les rêveries du dramaturge solitaire nous poussent cette fois-ci à prendre de multiples tournants en épingle à vive allure sur la Vespa du paternel. Chevauchant la phrase indomptée du génial Kemeid, nous voilà sur les traces d’un jeune égypto-québécois en cavale sur le Vieux Continent. Là où Tangvald pigeait allégrement dans le répertoire antique et tragique, Le vieux monde derrière nous préfère jazzer avec l’Histoire et la politique. Gil Kemeid persiste à surfer les grands courants qui agitent l’époque sans jamais y tremper ne serait-ce que le bout de l’orteil. La révolution, très peu pour lui, merci. Pendant que la jeunesse de 68 déboulonne le Vieux Monde et ses affidés, que Franco aligne les récalcitrants contre un mur qui commence à peine à se fissurer, que les blindés piétinent la douceur du printemps et que les colonels confisquent la démocratie à son berceau, le jeune étudiant en architecture fait le plein d’images d’Épinal en rêvassant à une jolie fleur de lys rencontrée à l’Expo 67. La phrase altière, souveraine, coule impétueusement entre les rocs esquissés par les cartes postales exhumées du père, rappelant l’adresse de Krasznahorkai et l’esprit de Magris. Un grand livre aussi dense que drôle, profond que virtuose.
Thomas Dupont-Buist, Librairie Gallimard (Montréal)

 

Musique
Stéfanie Tremblay (La Peuplade)

Vingt-cinq ans à se regarder photographier la vie, la sienne et celle de ceux qui en ont fait le sel. Un regard amoureusement porté, teinté du rose des lèvres de l’enfance en allée comme de la sépia des nostalgies désenchantées dont tout un chacun se berce au sortir de puériles, mais poignantes remembrances. Une pointe de tristesse navrée, soupçon de mélancolie adolescente rageusement, voire courageusement ravalée, bannie du terroir de l’asphalte du punk, mais surtout la joie brute des fulgurances vivaces propres aux expériences qui définissent, par leur intensité et le moment où elles adviennent, la personnalité d’une jeunesse fugace qui passe toujours trop vite. Un premier recueil époustouflant.
Philippe Fortin, Librairie Marie-Laura (Jonquière)

 

Courbure de la terre
Jonas Fortier (L’Oie de Cravan)

Courbure de la terre. C’est fort à propos que Jonas Fortier tire le titre de son plus récent recueil de ces vers d’Henri Michaux : « On sent la courbure de la terre. On a désormais les cheveux qui ondulent naturellement. » Pratiquement chaque vers que l’œil effleure semble habité par un souffle, une invitation à s’élever pour mieux surplomber le monde; même « l’eau coule vers le haut soleil » tandis que le « vent maritime/ accroche les mouettes / comme des assiettes creuses au-dessus des vagues ». Nous avons ici affaire à une poésie qui redonne primauté au langage du rêve et à sa combinatoire surréaliste.

On aurait toutefois tort de résumer ce livre à une poétique aérienne qui ne serait que légèreté. Les considérations terrestres apparaissent de-ci de-là au fil des poèmes, comme pour nous rappeler l’angoisse de la chute et de la solitude devant ce vide qui vient avec les hauteurs :

Quelque chose crie dans la ville
quelque chose au niveau des arbres
en levant les yeux je découvre
mon corps dans les hauteurs
ascensions
redescentes
je suis hors de contrôle là-haut
et paralysé de honte en bas

Par sa contemplation désinvolte et la mélancolie de son regard sur les petites choses du quotidien, Courbure de la terre est le recueil idéal pour accompagner les jours de pluie et les soirs de pleine lune.
Gabriel Guérin, Librairie Pantoute (Québec)