La toute récente réédition d’Elle et nous sous le titre Atuk, elle et nous, sa participation au recueil de nouvelles Wapke de même que l’étonnante seconde vie de son roman Kukum concourent à ramener la figure de l’écrivain qu’est Michel Jean au cœur de l’actualité littéraire. Après un peu plus d’une décennie, presque autant de livres publiés et un succès populaire indéniable, il aura toutefois fallu le prix France-Québec pour que le secret bien gardé de sa valeur s’évente enfin. Entretien.

Michel Jean n’est pas de ceux qui écrivent pour obtenir des prix. Il avoue plutôt écrire pour son peuple, « pour que notre histoire existe quelque part », ajoute-t-il. Celui que l’obtention du prix France-Québec a à la fois surpris et flatté est aussi très fier de voir Kukum auréolé d’une reconnaissance officielle : « En France, personne ne me connaissait, j’étais un nobody. Le prix a été attribué selon la qualité du texte et c’est là ce qui m’importe le plus dans tout ça. » Au fil du récit romanesque d’Almanda Siméon, rare femme blanche à avoir « pris le bois » – par amour qui plus est! –, le livre évoque tout un pan de l’histoire du XXe siècle : la fin du nomadisme et la sédentarisation forcée des Autochtones y apparaissent comme les dommages collatéraux d’un monde où la mainmise des entreprises sur les populations est implicitement justifiée par l’implacable marche du progrès.

Bon an mal an, l’œuvre de Michel Jean a su trouver un lectorat aussi nombreux que varié, ce qui est d’autant plus rare et digne de mention que celle-ci aborde le plus souvent des thématiques et des enjeux qui ne sont ni faciles ni consensuels. Le succès européen de Kukum constitue d’ailleurs à son avis « la preuve que les histoires traitant des peuples autochtones sont universelles et peuvent intéresser un public outre-Atlantique. C’est pas juste des histoires d’Indiens, c’est des vraies histoires et c’est capable de rejoindre un public large ». Cette remarque illustre bien l’attitude de l’auteur quant à la teneur autochtone de ses livres. Avec son approche décomplexée, Michel Jean bâtît une œuvre romanesque qui évite le piège de l’essentialisme tout en se gardant bien de ne prêcher qu’à des convertis, ce qui ne l’empêche pourtant pas de mettre en évidence les immondices d’une histoire autochtone souvent peu ou mal connue du public.

Ce parti-pris pour la fiction n’est toutefois pas tout à fait innocent. Par l’usage de divers procédés littéraires, la fiction, souvent, favorise l’identification du lecteur aux personnages dont il suit les péripéties, pleure les peines et partage les joies. Par la mise en scène d’histoires inspirées de faits réels, les romans de Michel Jean, en s’adressant plus directement au cœur du lecteur que ne le peuvent les meilleurs essais, deviennent ainsi de formidables vecteurs de sensibilisation. « Personnellement, moi, l’histoire de ma famille, je ne pense pas que ce soit assez important pour en faire des livres. C’est juste que je me sers de ça pour raconter une autre histoire. J’utilise les faits pour rappeler aux gens que ce qui s’est passé est arrivé à du vrai monde, et j’essaie de leur faire ressentir pour qu’ils le comprennent au lieu de leur expliquer pour qu’ils le sachent. »

Personnaliser l’histoire autochtone au sein de romans en mettant l’accent sur l’humanité de personnages auxquels tout un chacun peut s’identifier, voilà le pari que fait l’auteur pour ce qui est d’encourager les mentalités à changer : « Au contraire d’un débat où chacun reste le plus souvent campé sur ses positions, la puissance de la littérature, à travers des histoires que les gens ressentent, c’est qu’elle est capable de les amener à voir les choses autrement. »

Questionné à savoir s’il a l’impression que les choses évoluent dans le bon sens, il répond que c’est par de petits détails qu’on peut s’apercevoir que oui : « À l’époque de la parution d’Elle et nous, en 2012, j’étais fermé à l’idée de donner un titre en innu au livre. Je croyais que si tel était le cas, beaucoup de gens ne le liraient pas simplement à cause de ça. Pour Kukum, la question ne s’est même pas posée. » Si la situation des Autochtones continue de le préoccuper, Michel Jean estime toutefois que l’intérêt de l’Europe pour ces questions forcera tôt ou tard le Canada à revoir ses propres politiques : « Ce n’est pas le côté folklorique de tout ça qui les intéresse, à l’étranger. C’est vraiment la question de l’autodétermination des peuples, le sort qui est réservé aux Autochtones, ce que les gouvernements en font. Ça va finir par rattraper le Canada. »

L’homme de lettres considère que la littérature autochtone est encore jeune et que son évolution se fera au rythme de celle des communautés qui la portent. Qu’elle ne peut pas vraiment se fixer. Il est d’ailleurs heureux de la présence de nombreux nouveaux auteurs au sein du recueil de nouvelles Wapke, où il signe aussi un texte. Pionnier d’un nouvel essor et rare romancier autochtone grand public, Michel Jean poursuit une œuvre lucide empreinte d’empathie.


Photo : © Julien Faugère

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