Stéfani Meunier: Ceux qui restent

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Avec On ne rentre jamais à la maison (Boréal), Stéfani Meunier se laisse porter sur la vague de l’intangible, de la mémoire et des sens. Grâce à son écriture en finesse qui n’empêche cependant pas le ressac de s’abattre sur ses personnages, elle nous entraîne dans un univers foisonnant de souvenirs, où le mystère et les rêves règnent en maître. Un roman d’ambiance où la marée de sensations berce habilement les pages.

Stéfani Meunier, née à Montréal en 1971, s’est fait remarquer en 2007 pour Ce n’est pas une façon de dire adieu, puis pour Et je te demanderai la mer, paru l’année suivante. Dans On ne rentre jamais à la maison, elle raconte l’histoire de Charlie, fillette excentrique que le triangle des Bermudes, les vagues scélérates et autres phénomènes inexpliqués fascinent. Ce n’est cependant pas la voix de Charlie qu’elle emprunte, mais bien celle de Pierre-Paul –­ son meilleur ami hautement attaché à sa maison, qu’il croit magique –, ainsi que celle de Clara, la sœur de Charlie, qui n’aura connue de son aînée qu’une photo affichée sur le mur et l’amer goût de la disparition. Entretien avec celle qui, de main de maître, parle de ce qu’on laisse, inévitablement, derrière nous, de tout ce qui reste en mémoire et crée cette chose envoûtante qu’on appelle nostalgie.

 

Il est difficile d’apposer une étiquette à ce roman : c’est un livre à la fois sur l’amitié, sur la disparition, sur le passé qu’on traîne lourdement derrière soi. En quoi ces trois thématiques vous sont-elles chères?

Ces trois thèmes me semblent étroitement liés dans le roman. Je n’y parle pas de l’amitié qui traverse le temps, celle qu’on bâtit, qu’on cultive et qui finit par être comme une vieille veste qu’on aime, malgré les défauts de l’usure, parce qu’elle est familière et rassurante. Je parle de l’amitié de l’enfance, la première, cette amitié fulgurante qui se rapproche de l’amour en un mélange de fascination et d’envie. Je parle d’une amitié vouée à disparaître, comme le fait la passion. Je parle en fait de la première fois, cette première fois que nous essayons de revivre, toute notre vie. Mais le passé n’existe plus et ne peut être ressuscité. Ces thématiques font partie de mes obsessions, de ces choses que j’aborde toujours dans mes livres sans nécessairement le vouloir. Je n’aime pas les adieux, alors j’ai tendance à m’enraciner dans les lieux, les relations. J’ai la nostalgie facile. Probablement que ça teinte beaucoup mes histoires.

 

Vous utilisez deux narrateurs pour ce roman. L’un ayant vécu la disparition de Charlie, sa meilleure amie (Pierre-Paul), l’autre, la sœur de Charlie, n’ayant jamais connue la disparue, mais subissant fortement le poids de son absence (Clara). Pourquoi avoir choisi ces deux voix, au « Je », plutôt qu’une narration au « Il »?

Je n’aime pas beaucoup la narration à la troisième personne, car elle implique une objectivité en laquelle je ne crois pas. Tout est subjectif. Dans notre vie, il n’y a pas de « il » qui raconte et commente nos actes et nos réflexions. Il n’y a que le « je ». La troisième personne impose une certaine distance. Je préfère me glisser dans la tête de mes personnages plutôt que de les regarder de loin. J’aime jouer à être l’autre, surtout quand cet autre ne me ressemble apparemment pas. J’aime beaucoup, par exemple, incarner un homme. J’ai l’impression que ça m’aide à écrire plus librement. J’ai moins peur que mes proches me cherchent dans mes personnages.

 

L’un des trois personnages, Pierre-Paul, Charlie ou Clara, contient-il un peu de vous ? Si oui, lequel? En quoi vous ressemble-t-il?

Pierre-Paul et Clara me ressemblent beaucoup. J’ai le manque de confiance de Clara, ses inquiétudes et ses peurs, surtout en ce qui concerne la maternité. J’avais, lorsque j’étais jeune, la même envie d’être quelqu’un d’autre. Le désir d’être quelqu’un d’autre et le sentiment d’être un imposteur dans sa propre vie sont aussi très présents dans mon premier roman, L’Étrangère. Mes personnages se sentent souvent étrangers, c’est pour cette raison qu’ils s’attachent beaucoup aux lieux. Ils ont besoin de s’ancrer. 

Je partage également beaucoup de choses avec Pierre-Paul, puisque je lui ai donné plusieurs de mes souvenirs d’enfance, dont la maison de l’avenue Lorne. Je lui ai prêté mes sens, d’une certaine façon, des souvenirs d’odeurs, de couleurs et de textures.

Charlie ne me ressemble pas, mais elle est le genre de personne plus vraie que nature que j’aurais aimé être.

 

Charlie est un personnage hautement attachant. Dès le début, sa curiosité pour les éléments étranges est fascinante. Le triangle des Bermudes, les vagues scélérates, la magie : êtes-vous également fascinée par ces phénomènes inexpliqués?

Les phénomènes inexpliqués me fascinent, mais je suis particulièrement sceptique. Je crois que tout peut s’expliquer scientifiquement. Je suis, en ce sens, beaucoup plus proche de Clara que de Charlie.

Je voulais, au départ, écrire un roman fantastique. Je me suis rendu compte assez vite que j’en étais incapable. Mais le livre traite de l’enfance et la fascination pour l’inexplicable est propre à l’enfance. Tous les enfants aiment le mystère, et le mystère est devenu un thème important du roman.

 

Une grande place est accordée à la musique dans vos romans. La musique est-elle aussi importante pour vous que pour vos personnages? En quoi fait-elle partie de votre processus créatif?

La musique est mon premier amour. J’aurais tellement aimé chanter. J’adore écrire, je ne pourrais pas ne pas écrire, mais il y a une toute petite partie de moi qui est déçue de ne pas avoir eu le talent nécessaire pour vivre ma vocation première. Je mets de la musique dans mes romans, souvent, des extraits de chansons, c’est plus fort que moi, parfois j’aime tellement certaines chansons que je voudrais les faire connaître à mes lecteurs. Je mets de la musique lorsque j’écris et il y a toujours une chanson à l’origine, si ce n’est de l’idée de l’histoire, du moins d’une certaine ambiance. Chaque livre a eu sa chanson. Pour On ne rentre jamais à la maison, c’était Me and Mr Jones d’Amy Winehouse. Il y a eu Volcano de Damien Rice pour Et je te demanderai la mer et Famous Blue Raincoat de Leonard Cohen pour Ce n’est pas une façon de dire adieu. Le personnage de L’Étrangère rêve d’être LA chanteuse et cette chanteuse, pour moi, c’est Monique Leyrac, dont la voix me hantera toujours.

 

Vous avez travaillé comme barmaid et comme commis de dépanneur. Comment êtes-vous devenue écrivaine?

J’ai toujours aimé écrire, même petite. Même avant de savoir écrire je noircissais des pages de gribouillis qui imitaient l’écriture. J’ai pensé en faire mon métier à l’âge de 13 ans. Et j’ai étudié en littérature. Je dirais que je suis devenue écrivaine en lisant et en écrivant. Il n’y a pas d’autres façons.

 

« On ne rentre jamais à la maison » : le titre de votre ouvrage sous-entend qu’il est impossible de retourner dans le passé, dans notre enfance, aussi ardemment pourrait-on le souhaiter. Vous avez déjà dit en entrevue que la maison de l’avenue Lorne – celle de Pierre-Paul, celle où il a vu Charlie pour la toute dernière fois – est la maison de votre enfance, celle que vous avez habitée durant trois ans. Croyez-vous néanmoins que l’écriture de ce livre vous a permis de retourner, le temps de quelques pages, dans cet univers qu’était votre maison de la rue de Lorne? Comment expliquez-vous que ces souvenirs (la texture de la poignée de porte, par exemple) restent si frais à votre mémoire?

Je peux difficilement expliquer pourquoi cette maison m’a marquée à ce point. Je revois cette maison régulièrement, en rêve. Je rêve à l’atmosphère de la maison plus qu’à la maison elle-même, en fait, et je revis ce sentiment d’être réellement chez moi qui m’habitait à l’époque et qui se retrouve rarement à l’âge adulte. Probablement que ce sentiment est propre à l’enfance, à une enfance heureuse.

J’ai la chance d’avoir beaucoup de souvenirs de mon enfance, c’est un grand atout pour écrire, je crois, c’est la matière première de l’écrivain.

 

Êtes-vous une grande lectrice? Si oui, quels livres vous ont marqués récemment? Qui sont vos auteurs modèles?

Bien sûr, je lis beaucoup. J’aime la prose très poétique d’Alessandro Baricco, le réalisme cru de Philippe Djian. Je suis une fan finie de Stephen King.

 

Avez-vous d’autres projets d’écriture en cours?

Oui, j’ai commencé un autre roman. C’est l’histoire d’un homme et de sa fille, tous deux marqués par la maladie mentale dont souffre la mère.  L’enfance et l’identité seront encore des thèmes très importants.

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