Eliette Abécassis : Polars et passions

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Peu d'écrivains peuvent se targuer d'alterner l'élégance entre l'espace intimiste du roman (Clandestin, La Répudiée,) et la séduisante érudition des enquêtes théologiques (Qumran, Le Trésor du temple) comme Eliette Abécassis. Révélée à 27 ans avec Qumran, un « thriller messianique », elle s'est toujours sentie à l'aise dans les deux registres. Rencontre avec une touche-à-tout.

Depuis sa publication en 1980, Le Nom de la rose d’Umberto Eco n’a cessé d’être cité en exemple lorsque vient le temps de décrire le mélange des romans historique et policier. La sempiternelle comparaison a peut-être enfin trouvé son sens en 1997 avec Qumran, un succès international vendu à plus de 100 000 exemplaires, dont un premier volume d’une adaptation en bande dessinée du roman, intitulé Le Rouleau du Messie et signé par Makyo et Gémine, a aussi été publié (Glénat, 2002). Dans son premier best-seller, Abécassis mélangeait adroitement les éléments classiques de l’enquête policière et la recherche du véritable sens des manuscrits de la Mer Morte, l’un des plus intrigants mystères de l’ère chrétienne. En ses propres termes, elle décrit ce genre que plusieurs tentent de reproduire mais que peu parviennent à rendre crédible : « C’est la réhabilitation de l’histoire et de l’intrigue dans le roman contemporain. En France, le nouveau roman a promu l’idée qu’il fallait écrire des romans sans histoire. Je crois que le roman a beaucoup perdu avec cette théorie ; aujourd’hui, nous publions des journaux intimes, ou des pensées d’auteurs, qui ne sont pas très intéressants. Avec le polar métaphysique ou messianique, on s’inscrit dans un cadre collectif et non individuel, un cadre initiatique pour la Bible, par exemple, ou les Évangiles. La  » narrativité  » de la connaissance, comme le dit Umberto Eco, est une bonne voie pour le roman. C’est lui au fond, qui a inventé le polar métaphysique, et qui, du même coup, a redonné ses lettres de noblesse à un genre alors considéré comme mineur. »

Qumran et sa suite, Le Trésor du temple, forment les deux premiers volets d’une série où s’entremêlent légendes, fables et faits authentiques issus du fond des âges qui ont pour sujets la vérité sur la vie de Jésus, les agissements des Templiers ou ceux de la secte des Assassins. Aux prises avec tous ces mystères, Ary Cohen, un jeune Juif religieux, doit affronter mille dangers pour que la vérité éclate enfin au grand jour. Ces deux livres ont su s’attacher un large public grâce à leur surprenante érudition, qui ne vient certes pas toute seule : « Au départ, j’ai une idée de ce que je veux faire, mais j’ai besoin de traverser une période de recherche assez longue pour y arriver. Qumran et Le Trésor du temple ont demandé chacun un an d’études intensives dans les bibliothèques ou sur Internet », affirme Abécassis. Les lecteurs seront heureux d’apprendre que l’écrivaine travaille présentement à l’écriture de La Dernière Tribu, troisième épisode de la série : « C’est un volet complètement différent des deux autres car l’intrigue se situe au Japon, en Chine et au Tibet. On assistera à la confrontation du judaïsme et du bouddhisme. »

Et si les romans policiers ne vous interpellent guère, peut-être serez vous plutôt attiré par la réédition, revue et augmentée, de Petite métaphysique du meurtre, un essai sur le Mal qui bouscule bien des conventions en nous incitant à jeter un regard neuf sur cette épineuse question. Eliette Abécassis avoue d’ailleurs que cet opuscule d’une centaine de pages entretient quelques liens avec ses romans d’inspiration policière : « Le roman est une sublimation, une transformation du Mal en autre chose : une œuvre qui va faire sens. Je crois que le roman policier opère cette transmutation parce qu’il parle en premier lieu du Mal. »

Vous n’êtes pas encore convaincus ? Alors plongez dans la lecture de Clandestin, une fiction éclairée à propos de deux inconnus qui se rencontrent dans un train. Ce récit s’inscrit dans la lignée des romans plus sensibles d’Abécassis, comme La Répudiée et Mon père, et ce sans pour autant trahir l’héritage du polar, qui lui emprunte ses images et sa rigoureuse architecture. « Parfois, on croit qu’on perd son temps, alors qu’on est en train de gagner sa vie », nous rappelle Abécassis. Roman doux-amer sur la dérive des sentiments, Clandestin est l’œuvre d’une artiste réceptive aux dures nuances du paysage amoureux actuel. La production de la romancière, qui a tout de même écrit cinq livres en cinq ans, a donc de quoi plaire à une étonnante variété de lecteurs.

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