En attendant août

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Août. Pour plusieurs, c’est un moment de farniente. On enfile les lectures. On les accompagne de guimauves grillées ou de mojitos parfumés. On récolte des bleuets, on pagaie sur les rives d’un lac, on regarde les enfants grimacer en croquant un morceau de rhubarbe. Août est une belle période.

Août 2013 ne fera pas exception. Elle pourrait même devenir une saison marquante pour le milieu du livre québécois. En fait, elle devra l’être afin d’assurer le maintien d’un écosystème livresque solide et la subsistance d’une nécessaire bibliodiversité. Dès le 19 août, l’Assemblée nationale tiendra une Commission parlementaire sur la règlementation du prix de vente. Il s’agit d’un exercice démocratique important, crucial, auquel des groupes de tous les horizons participeront. Comme Danièle Simpson, présidente de l’Union des écrivaines et des écrivains du Québec, l’a déclaré au moment de l’annonce, « nous sommes clairement dans une période charnière, et c’est en grande partie ce qui explique la nécessité de cette commission ».

La règlementation proposée par le milieu du livre, et mise en place dans la moitié des pays de l’OCDE, cherche à encadrer les guerres commerciales liées à la vente de nouveautés. Elle vise à assurer le maintien d’un vaste réseau de librairies aux quatre coins de la province, des plus petites villes comme Gaspé aux plus grandes comme Québec. La mesure, simple, consiste à limiter à 10% les rabais possibles, et ce, pendant les neuf premiers mois suivant la publication d’une nouveauté.

Écrivains, éditeurs, distributeurs, libraires, bibliothécaires, c’est un milieu en entier qui vibre pour une cause commune. Ne reste plus qu’à faire savoir aux lecteurs les raisons justifiant une telle mesure. Car c’est d’abord pour eux que cette commission, cette règlementation est plus que jamais essentielle.

Donc, pourquoi devriez-vous, lecteurs du libraire, soutenir cette règlementation? Parce que sans elle, le marché du livre sera dominé par trois joueurs qui en viendront à imposer des conditions où le lecteur ne pourra qu’être perdant. Parce que vous souhaitez continuer à lire une production riche, diversifiée, originale. Parce que le prix des livres en librairie ne changera aucunement, la règlementation ne touchant que quelques rares best-sellers soldés par les grandes surfaces pour persuader les lecteurs à acheter à plein prix une cartouche d’encre beaucoup trop chère. Parce que plusieurs librairies disparaîtront, ce qui diminuera grandement l’accessibilité du livre sur l’ensemble du territoire. Parce que le livre est un produit culturel et mérite d’être défendu sur toutes les tribunes. Parce que les libraires ont le droit de se battre à armes égales contre des géants du commerce de détail et que nous ne voulons pas que notre identité soit à la merci de grands groupes étrangers. Parce que le livre est l’industrie culturelle la plus importante (oui, bien davantage que le cinéma ou la musique) avec un volume d’affaires annuel de près de 800 M$ et 12 000 emplois. Parce que la promotion de la lecture, dans une société où 49% des gens ont des difficultés de lecture, passe par des lieux où le livre vit.

Au Canada anglais, un éditeur ne publiera pas un livre si Chapters-Indigo ne lui donne pas son aval. Imaginez dans quelle dynamique nous nous trouverions si un ou deux groupes, étrangers de surcroît, boycottait un livre, un auteur, un éditeur. C’est à la liberté d’expression qu’on touche ici. C’est à la définition même de notre identité collective. C’est à la défense de voix marginales, de contestataires, de livres moins grand public. La littérature ne se réduit pas à une liste des vingt meilleurs vendeurs (dès que l’engouement descend, ses best-sellers sont rapidement retirés des tablettes des grandes surfaces et il est seulement possible d’y avoir accès en librairie). Elle déborde de richesses qu’un service-conseil de qualité et gratuit fait rayonner, qu’une visite en librairie permet de côtoyer. Et pour qu’elle s’incarne réellement, le milieu du livre doit être fort, résilient.

Je vous invite à visiter le site Noslivresajusteprix.com, qui vous présentera une série d’explications complémentaires, ainsi qu’à découvrir les nombreuses personnalités soutenant l’initiative (Michel Tremblay, Dany Laferrière, Kim Thúy, Patrick Senécal, Guy A. Lepage, Stéphan Bureau, etc.).

Personne n’est naïf. La règlementation ne règlera pas tout. La librairie devra mener d’autres luttes. Mais celle-ci n’est pas vaine. Elle demeure un premier pas nécessaire. Août sera une belle période, avec ou sans guimauves grillées

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