Lever le voile ?

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Alors que la « crise du voile » fait rage en France, que nous vivons toujours aux rythmes de l'après 11 septembre et que les politiques néolibérales continuent d'accroître la pauvreté et l'exclusion, les femmes sont de plus en plus nombreuses à élever la voix. Elles dénoncent haut et fort, et noir sur blanc, injustices, inégalités, atrocités. En France, de plus en plus de livres écrits par de jeunes femmes issues de l'immigration arabo-musulmane se publient.

La situation des Français d’origine arabo-musulmane inquiète. Une combinaison de politiques néolibérales et d’intégrisme musulman les confine à l’exclusion à l’intérieur de cités faites de tours de béton en décrépitude. Les banlieues françaises ne sont pas les endroits les plus sécuritaires. Désillusionnés, recalés au lycée, sans travail, sans avenir ni horizon, les jeunes garçons d’origine étrangère, surtout arabe, se retrouvent en bandes dans les cages d’escalier, les parcs, les stationnements. La délinquance s’installe vite, puis devient plus importante. Pendant ce temps, ils érigent et imposent leurs lois à tout le quartier à commencer par les femmes.

L’omerta, plus question

Dans Ni putes ni soumises, Fadela Amara, présidente des Maisons des potes (organisations communautaires luttant contre le racisme) dresse un portrait des banlieues françaises où elle a grandi. Si tout n’était pas rose dans les années 80, « la dérive des quartiers vers le ghetto » est sans comparaison avec ce qui prévaut aujourd’hui et depuis les années 90. Amara dénonce les violences auxquelles sont de plus en plus soumises les filles des quartiers. Tournantes : viols collectifs où le garçon fait passer sa petite amie d’un pote à l’autre. Mises à l’amende : passages à tabac pour toutes sortes de raisons dont l’habillement. Meurtres : comme celui de Sohane, brûlée vive par son copain en 2002. Ainsi, si la militante explique et analyse les causes de la délinquance des garçons, dont sont finalement victimes les jeunes filles, elle n’excuse rien. Bien au contraire. Elle lève le voile sur l’enfer des adolescentes des banlieues françaises soumises à un régime de terreur.

C’est ainsi qu’avec une poignée d’autres « beurettes », elle lance un mouvement qui prendra la forme d’une « Marche des femmes contre les ghettos et pour l’égalité ». Parties de Marseille, une poignée de jeunes femmes arriveront sur Paris au nombre de 30 000, des hommes à leurs côtés. C’est aussi cette aventure incroyable qui nous est racontée par l’auteure, avec précision, lucidité, calme. Mais avec tout autant de cœur, de rage, de sensibilité et de révolte. Si Fadela Amara décrie ce dont elle est témoin, d’autres osent maintenant décrire ces mêmes horreurs dont elles n’ont pas été témoins, mais victimes. C’est le cas de Samira Bellil dont la réédition, en livre de poche, de Dans l’enfer des tournantes, vient de paraître. Samira a été violée trois fois à l’âge de 14 et 17 ans. À chaque fois ce sont des viols collectifs. On a peine à croire que de telles horreurs peuvent se perpétrer dans un pays comme la France au XXIe siècle. Mais il ne s’agit pas d’un phénomène isolé. À ce drame déjà incroyable et incommensurable s’ajoute l’incompréhension du milieu familial, l’incompétence et la négligence des services publics : enseignants, avocats, travailleurs sociaux. Quatorze ans d’enfer, d’enfermement. Bien plus que n’en auront jamais pris ses agresseurs.

Derrière le voile

D’autres témoignages sont parus sur la situation vécue par les jeunes filles des banlieues françaises. Au même moment, l’attention se concentre sur le port du voile par quelques jeunes filles dans les lycées français. Dans les années 80, Amara était contre l’interdiction, mais aujourd’hui, elle a changé d’avis : « Car l’école n’a pas su leur transmettre les outils d’émancipation leur permettant de se définir dans l’espace commun que nous partageons, chacun avec ses spécificités, dans le respect de la laïcité. »

On comprend que la violence des garçons des quartiers est autant le fait de l’exclusion sociale et économique de la République que celui de l’influence des groupes islamiques qui sillonnent les cités à la recherche de nouvelles recrues. La militante nous parle de « dérive obscurantiste » et souligne que « l’affaire du voile est l’illustration la plus visible et symptomatique de cette dérive ». En d’autres termes, de jeunes Françaises sont forcées de porter le voile par les courants intégristes, par aliénation, mais aussi par peur « car de fait, celles qui portent le voile ne sont jamais importunées par les garçons, qui baissent la tête devant elles : voilées, elles deviennent à leurs yeux intouchables », déclare Amara.

Mais le mot clé est, ici, laïcité. C’est elle que l’on veut protéger, bien plus que l’aliénation des femmes à une domination masculine sur des bases religieuses. Et voilà que Chahdortt Djavann s’insurge. Dans un ouvrage d’à peine 47 pages, elle nous crie Bas les voiles ! L’auteure est une Française d’origine iranienne, qui pendant 10 ans (de 13 à 23 ans) a dû porter le voile pour cause de révolution islamique. « C’était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle », nous prévient-elle d’entrée de jeu. Sans doute. Mais peut-on véritablement comparer l’Iran et la France ? L’auteure nous rappelle les véritables fondements de la Charia, la loi islamique. En gros, la femme est coupable d’être femme, d’avoir un corps et une sexualité de femme. Coupable aussi des envies et des pulsions sexuelles des hommes. Voilà la véritable raison du foulard islamique et de ses corollaires, tels le chador et la burka.

Mais je ne suis pas d’accord avec l’auteure lorsqu’elle affirme qu’il faut en France aller jusqu’à l’interdiction du voile à l’école. Quelques jeunes filles portant le voile dans les lycées ne menacent ni la laïcité ni la République. Elles sont en fait les seules à être menacées d’aliénation, d’endoctrinement, de soumission, d’obscurantisme. C’est ce que fait remarquer Philippe Lazar dans un court texte documenté, où il rappelle que sur les quelques milliers de musulmans en France, seulement 10 % sont pratiquants, et que le phénomène de « recrudescence » du port du voile ne concerne qu’une poignée de jeunes filles, plus ou moins une dizaine. L’auteur propose une redéfinition de la laïcité, d’où le titre, Autrement dit laïque, en mettant de l’avant le modèle nord-américain du multiculturalisme. La réflexion vaut le détour. Le rappel de l’histoire de la laïcité et de ses lois en France n’est pas dénué d’intérêt. L’ouvrage pose à tout le moins d’intéressantes questions sur l’intégration des immigrants, notamment ceux d’origine arabo-musulmane.

Le débat qui sévit en France autour du voile et de la laïcité ne devrait pas nous laisser indifférents. Le contexte québécois n’est certes pas le même, mais notre société rencontre tout autant de grands défis quant à l’intégration des nouveaux arrivants. Une intégration qu’il ne faut pas confondre avec assimilation, prévient Philippe Lazar. Ce qui devrait sans doute nous rappeler quelque chose.

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Ni putes ni soumises, Fadela Amara, La Découverte, 22,95 $
Dans l’enfer des tournantes, Samira Bellil, Folio, 9,95 $
Bas les voiles ! , Chahdortt Djavann, Gallimard, coll. NRF, 8,95 $
Autrement dit laïque, Philippe Lazar, Liana Levi, coll. Opinion, 24,95 $

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