Cela fait quinze ans que Sébastien Diaz fait de la télévision. On peut le voir depuis 2019 animer la quotidienne On va se le dire à Radio-Canada où il échange avec divers invités sur des sujets d’actualité. Il est aussi réalisateur, entre autres de la série web Terreur 404, courtes capsules entraînant les personnages dans des contextes terrifiants. Ce printemps, il propose un premier livre de fiction avec Ils finiront bien par t’avoir (Québec Amérique), un titre qui résume la menace qui sourd derrière chaque nouvelle, mais qui peut également faire office d’avertissement au lecteur qui risque de ne pas ressortir indemne de son périple.

Même s’il s’y consacre moins qu’il le souhaiterait, travail et famille occupant déjà bien ses journées, Sébastien Diaz destine à la lecture une bonne part de son horaire. Il conserve dans sa grande bibliothèque, classée minutieusement par genre et par ordre alphabétique, tous les livres qu’il lit, même ceux remontant à l’époque du secondaire. Pour lui, ils représentent le tracé de son évolution, une vue d’ensemble de sa vie marquée de points de repère. « Au primaire, j’étais le bon vieux cliché de la tronche, avoue-t-il. Je me rappelle avoir supplié ma mère de m’abonner à “J’aime lire” et je les collectionnais, c’était comme mes Pokémon à moi. » Ils se les échangeaient entre amis après de farouches marchandages, spéculant sur la valeur des titres. Très tôt, il se découvre une affection particulière pour les enquêtes avec la série Notdog de Sylvie Desrosiers, ensuite avec Sherlock Holmes dont, aux dires de notre invité, il devient vite obsédé. À son premier voyage à Londres, il n’a pas manqué de se rendre au 221B Baker Street, l’appartement du célèbre détective érigé en musée.

Délicieuse épouvante
Un tournant un peu plus effroyable s’amorce à l’adolescence; le premier livre qu’il achètera avec son argent de poche est Misery de Stephen King, suivi de Simetierre du même auteur, seul titre qui lui fait encore vraiment peur à ce jour. Parce que les situations sont près du quotidien, elles apparaissent d’autant plus menaçantes quand les événements prennent une mauvaise tournure. Son intérêt pour la littérature américaine se démarque, avec les auteurs Cormac McCarthy, à l’œuvre très filmique, et Richard Matheson, expert dans l’art de « laisser le lecteur dans le trouble » avec ses chutes surprenantes. Dans une autre catégorie, Sébastien Diaz affirme être un grand admirateur du bédéiste Guy Delisle, estimant que Chroniques de Jérusalem devrait être inscrite sur la liste des lectures obligatoires à l’école. « On a beau lire des centaines d’articles et des essais sur ce qui se passe dans le monde, j’ai toujours l’impression de mieux comprendre grâce à Guy Delisle », annonce-t-il.

Sébastien Diaz dit avoir un TOC pour certains livres. Il détient par exemple plusieurs ouvrages issus d’une collection spécialisée en synthétiseurs pour public averti, collection qui dévoile des informations sur l’impact sociologique de ces instruments, aborde les questions de genre, modulaire ou analogue, etc. « Regarder des films, écouter de la musique et lire des livres influencent beaucoup la mise en scène de ma propre vie », explique-t-il en admettant volontiers tenir un petit quelque chose de l’univers fantaisiste d’Alexandre Jardin. La lecture des Histoires analogues du musicien Michel-Olivier Gasse comble son côté mélomane et l’a ému jusqu’aux larmes, comme si cet assemblage de textes sur des chansons et des albums qui ont transformé la vie de l’auteur avait été écrit précisément pour lui. Par ailleurs, pour étendre son enthousiasme, il donne plusieurs fois le livre en cadeau. Et pour satisfaire le cinéphile en lui, il ne manque pas de vanter Cinéma spéculations de Tarantino, des observations du grand réalisateur sur les films des années 1970 racontées avec l’élan et les détours de l’esprit spécifiques à la conversation, nous donnant le sentiment d’être en train de prendre un verre avec l’artiste. Un tête-à-tête qu’il aimerait aussi avoir avec Patti Smith, icône du punk rock américain, dont il a lu tous les livres. Il ne refuserait pas non plus la compagnie de Hunter S. Thompson, grand auteur psychédélique — un personnage en soi — et père du journalisme gonzo, qui se caractérise par l’emploi d’un style très personnel et subjectif.

S’aventurer dans le dédale
De toute évidence, les essais de toutes sortes alimentent la curiosité insatiable de l’animateur, mais la fiction n’est pas laissée pour compte. Il décide même de la prendre à bras-le-corps puisque dernièrement, Sébastien Diaz a fait paraître Ils finiront bien par t’avoir, un recueil de nouvelles d’horreur qui réaffirme son amour du genre et de la forme brève et qu’il avait envie d’entreprendre depuis belle lurette. « C’est vraiment pour moi un saut dans le vide, ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé de sortir à ce point-là de ma zone de confort, partage l’auteur. Je disais souvent à ma blonde : “Bon, je retourne dans le labyrinthe”. » Il explique qu’en télé, le travail se fait en équipe, mais que dans l’écriture, quand tu es devant un obstacle, tu es seul à pouvoir en venir à bout et à chercher l’issue. C’est mission accomplie! Il en résulte un livre dont les récits sont liés par un fil rouge et qui, page après page, parviennent à relancer le suspense. « Je pense que c’est une écriture très cinématographique, exprime-t-il. J’ai mis beaucoup de temps à essayer d’imager ce qui se passait. » Contrairement à la scénarisation, toute l’action et le rendu reposent sur les mots, ce qui a demandé une période d’adaptation pour le réalisateur qui a fini par trouver son erre d’aller et a réussi à inventer des univers inquiétants qui misent sur l’état d’alerte du lecteur.

Parmi les bonnes découvertes de lectures réalisées assez récemment, Sébastien Diaz a été subjugué par Mukbang de l’autrice Fanie Demeule, où une influenceuse se filme alors qu’elle tente d’engloutir la plus grande quantité d’aliments gras possible, un concept qui existe vraiment, attirant un nombre important de spectateurs. « C’est comme un mélange de critique sociale, de comédie hyper noire foncée et de fantastique, résume notre libraire d’un jour à propos de ce livre. C’est une belle réflexion sur la course aux clics, à la popularité, à vouloir absolument être remarqué, quitte à se blesser, à se tuer. » Il souligne la singularité et l’audace de ce roman qui s’accompagne de codes QR menant à des liens qui complémentent la lecture. Un autre livre jouant avec la frontière du réel et du surnaturel, À la maison de Myriam Vincent, a ébranlé notre invité. Conviant cette fois les thèmes de la maternité et de la souffrance psychologique, ce roman, ainsi que celui de Demeule, possède, de l’avis de Sébastien Diaz, un souffle très moderne. Petit traité sur le racisme de Dany Laferrière vient pareillement aiguillonner l’esprit de l’animateur, qui le recommande notamment à tous ceux qui nous gouvernent. « Il y a quelque chose d’engageant dans le rituel de la lecture », note-t-il. D’abord parce qu’il prend du temps, denrée rare de nos jours, ensuite parce que ça demande un effort, ça oblige parfois à revisiter nos émotions, revoir nos idées et nos façons d’envisager les choses. Mais ce que ça offre en retour, la découverte, le réconfort, l’ouverture, l’étonnement, vaut amplement les moments qu’on y consacre.

Photo : © Jocelyn Michel

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