Julie Flett, autrice et illustratrice crie-métisse, bâtit des ponts entre les cultures autochtones et canadienne. Elle le fait afin que ses acquis et sa langue unissent les peuples, relient les générations et brillent grâce à la littérature. Des dix-sept livres qu’elle a illustrés, sept sont jusqu’à maintenant traduits en français et plusieurs ont remporté de prestigieux prix en littérature jeunesse, dont le GG, le prix TD et le prix Christie Harris.

Tout le monde joue : Kimêtawânaw est son plus récent ouvrage traduit, par Fanny Britt, aux éditions de La Pastèque : un album pour la jeunesse où l’on voit des renards sentir, des chouettes chanter, des lynx se bécoter, des bélugas frétiller et aussi des enfants jouer, eux aussi. Les illustrations sont présentées avec douceur, dans une technique bien représentative du travail de Flett qui consiste à l’utilisation de découpes numériques, de textures aux pastels et à l’aquarelle et de couleurs chaudes, terreuses. Pour expliquer ce qui anime les pages de son histoire, l’autrice évoque, en fin d’ouvrage, le concept de wâhkôhtowin : « Que ce soit en courant et en gambadant dans l’herbe ou en dévalant la rue ou en observant les créatures d’un ruisseau, nous sommes tous liés à ce qui nous entoure, dans une relation de soin et de bienveillance envers les autres. En langue crie, on appelle ça wâhkôhtowin. »

Cette mention vient juste après un lexique de noms d’animaux traduits en cri, lexique qui assurément attisera la curiosité et l’éveil à une autre culture par cette porte d’entrée qu’est la langue. « Notre langue est connectée à nos visions du monde, à la façon de wâhkôhtowin », nous explique l’autrice en entrevue. Julie Flett nous livre également que ses grands-parents étaient multilingues, mais qu’ils n’ont pas enseigné leurs langues autochtones à leurs enfants. « Juste avant le décès de mon grand-père, je lui ai demandé s’il voulait bien me parler en cri et il l’a fait. Nous étions au téléphone et j’ai été surprise : il parlait si naturellement et, pourtant, j’avais à peine posé la question; comme s’il n’attendait que cela. Il luttait alors contre la maladie d’Alzheimer, mais n’avait aucun problème à se souvenir du cri — c’est donc à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à réfléchir à ce que signifie perdre notre langue maternelle dans nos familles. » Ainsi, perdre une langue, c’est perdre une vision du monde, soutient-elle. « Pour les enfants qui ne sont pas cris, l’apprentissage de notre langue est une façon de les initier à nos visions du monde. En tant qu’auteure et artiste, c’est quelque chose que je peux partager avec les enfants. »

Bien que son travail formel soit en constante évolution et qu’il ait passablement évolué au fil des ans, Julie Flett demeure une autodidacte de l’illustration : « J’ai étudié les arts plastiques, le cinéma et les textiles. Je pense qu’étudier les beaux-arts a eu l’avantage de m’aider à comprendre ce qui était nécessaire pour m’ancrer dans un projet. » C’est sa sœur, d’ailleurs, qui travaillait pour Theytus Books, l’un des premiers éditeurs autochtones au Canada, qui lui a offert son tout premier contrat d’illustration alors qu’elle était tournée vers l’art conceptuel. Depuis, elle n’en démord pas et elle se fait un point d’honneur de faire rayonner la culture, et la langue, crie et métisse. Chaque lecteur qui lui dit s’être identifié à un personnage, avoir reconnu son enfance, avoir retrouvé des éléments de la culture de ses grands-parents ou avoir appris sur la culture autochtone lui confirme que ces ponts créés, il importe de les bâtir.

Illustration tirée de Tout le monde joue (La Pastèque) : © Julie Flett

Quatre livres de Julie Flett à découvrir

Les libellules cerfs-volant/Pimithaagansa
Écrit par Tomson Highway (trad. Mishka Lavigne, Prise de parole)
Cet album en français et en cri met en scène Joe et Cody, deux jeunes qui profitent de l’été manitobain pour se lier d’amitié avec des libellules. En attachant délicatement un fil autour d’elles, ils les transforment en cerf-volant dont les ailes leur font découvrir les alentours. Onirique et poétique, cet album est un voyage à bien des niveaux.

 

Mon amie Agnès
Écrit par Julie Flett (trad. Fanny Britt, La Pastèque)
L’amitié intergénérationnelle et égalitaire entre une petite fille et sa voisine est au cœur de cet album lumineux. En suivant les saisons, les lecteurs vivront avec ces deux personnages une année de beauté et d’émotions, d’éclosion et de repos. Apprivoiser la nature et l’autre : oui, il y a là un petit quelque chose qui rappelle wâhkôhtowin!

 

Quand on était seuls
Écrit par David Alexander Robertson (trad. Diane Lavoie, Des Plaines)
Cet ouvrage propose huit tableaux et autant de dialogues où une grand-mère, Nókom, raconte à sa petite-fille l’histoire derrière l’annihilation de son identité et de sa culture par les pensionnats autochtones. Si le récit est dur, il se dresse en hommage à la résistance et parle de courage. Les lecteurs, tout comme la petite du livre, en apprendront plus sur les vêtements traditionnels, le port des nattes, la langue et les liens familiaux grâce à cet habile partage de la mémoire.

 

Ligne de trappe
Écrit par David Alexander Robertson (trad. Arnaud Bessière, Scholastic)
Une histoire de retour aux sources, un récit livré par le Moshom (grand-père) à son petit-fils qui relate son enfance sur la ligne de trappe, lieu sauvage où l’harmonie se faufile entre l’homme et la nature. Avec des mots en cri glissés ici et là, on découvre la vie dans la communauté telle qu’elle était jadis, et son empreinte laissée. Les illustrations de Julie Flett y sont un hommage aux grands espaces et aux coutumes autochtones. Notez que ce livre, dans sa version originale anglophone, a remporté le Prix du Gouverneur général en novembre dernier.

Photo : © Courtney Molyneaux

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