Anne-Marie Beaudoin-Bégin : Touche pas à mon français québécois

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La norme, les règles de grammaire et tout le tralala, elle connaît ça sur le bout des doigts. C’est une linguiste et c’est aussi une prof d’université. Pourtant, Anne-Marie Beaudoin-Bégin n’est pas une puriste de la langue française. C’est tout le contraire. L’auteure de La langue rapaillée. Combattre l’insécurité linguistique des Québécois aimerait d’ailleurs qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec les « t’es pas bon en français », « ça existe pas ce mot-là » et autres attaques sournoises contre le français parlé au Québec. Son essai est rafraîchissant, mordant et, surtout, décomplexant à souhait!

« Arrête de dire que tu n’es pas bon en français! Tu ne maîtrises pas les règles de l’écrit, mais ça ne veut pas dire pour autant que tu n’es pas bon en français. » Ces deux phrases, elle les répète souvent à ses étudiants, souvent déconcertés par cette remarque inattendue. « Les gens pensent que la langue française ce n’est que ce qu’il y a dans les ouvrages de référence » et ça la fait bien rire (ça la fâche aussi, en vérité). « Quoi répondre quand tu te fais dire : “Ce mot-là n’est pas français”? C’est quelle langue, alors, si ce n’est pas du français? » Son essai, elle le destine à ceux, justement, qui en ont assez de se faire reprendre et qui finissent par se sentir complexés, insécures [tiens, un mot qui « n’existe pas »] de ne pas parler un « bon » français. Comme si le français parlé au Québec n’avait pas droit à son identité propre. Comme si n’était français que le français de France, et, attention, encore faut-il qu’il soit colligé noir sur blanc dans un sacro-saint dictionnaire : pas d’entrée, pas d’identité. Il est grand le « no man’s land » de la langue française.

Puristes droit devant!
On vous entend penser tout haut, mais, non, Anne-Marie Beaudoin-Bégin ne croit pas qu’il faille parler (et surtout pas écrire) n’importe comment. Cette sympathique défenderesse de la loi 101 reconnaît l’importance d’un registre soigné, en lui redonnant toutefois la place qu’il devrait avoir, soit celle des « grandes » occasions. Dans certaines circonstances, la cravate est de mise. Dans le confort de son foyer, on peut très bien rester en pyjama. Dans un cas comme dans l’autre, on porte des vêtements. Des exemples comme celui-ci, la linguiste variationniste en a plusieurs en réserve. Et elle les sert aux lecteurs avec humour au fil de son argumentation bien trempée qui n’a pas peur de déconstruire les idées reçues ni d’écorcher au passage quelques personnalités connues qui se prononcent sur la langue. Car si elle accepte de jouer le jeu et de se conformer aux « livres de règlements » (elle ne laisse rien passer sur les copies d’examen de ses étudiants, prenez-en bonne note), elle n’en est pas moins critique vis-à-vis des ouvrages de référence qui présentent pratiquement tous une vision péjorative du français québécois.

Au chroniqueur culturel du magazine L’actualité André Ducharme – qui a reproché au groupe musical Garoche ta sacoche d’avoir « mal » orthographié le mot garrocher, en se basant sur le Dictionnaire de la langue québécoise –, elle rétorque dans son livre : « D’emblée, je soulignerai le fait qu’utiliser l’insignifiant ouvrage de Léandre Bergeron comme source linguistique sur le français québécois pour formuler une critique est, en soi, insignifiant. […] J’inviterais mes lecteurs qui ont cet ouvrage en main à consulter l’entrée étudiant en lettres, qui est défini par “homosexuel”, et plotte(qui, à mon humble avis, est le mot le plus vulgaire du français québécois), qui est défini par “femme”, sans marque d’usage, quelle qu’elle soit. » Dans les dents, comme on dit.

La professeure de l’Université Laval a également des reproches à adresser au Multidictionnaire de la langue française de Marie-Éva de Villers : « C’est probablement l’ouvrage qui m’enrage le plus, parce qu’il est approuvé par le ministère de l’Éducation. Il est dans les écoles, pourtant l’auteure dit des menteries! C’est un bon dictionnaire de difficultés, mais toutes ses remarques – entre autres – à propos du reste de la francophonie, c’est horrible! Ça mine la vision du français québécois, comme si nous étions en parallèle de la francophonie, du reste du monde! » Bref, il faut être culotté selon elle pour prétendre que partout ailleurs on parle français de la même manière, de la manière hexagonale, cela va s’en dire.

Insécurité, une fois, deux fois…
Il y a beaucoup de faits intéressants dans la petite plaquette d’une centaine de pages écrite par Mme Beaudoin-Bégin. L’un de ces faits consiste à rappeler que le français québécois mène en parallèle non pas un, mais bien deux combats linguistiques : l’un pour la légitimité de sa variété vis-à-vis de la France, l’autre contre l’assimilation anglaise. Celle qui a brillamment rapaillé, puis retravaillé, des textes de son blogue En tout cas pour son ouvrage croit que « l’alignement sur le français hexagonal pour se défendre contre l’assimilation », n’a pas été positif, loin de là. Enfin, vous devrez lire l’essai par vous-même pour bien saisir tous les subtilités et aboutissants de son argumentaire.

« Ce n’est pas en empruntant des mots anglais qu’on se met en danger. Une langue disparaît quand on arrête de la parler, ou plus précisément quand on arrête de la transmettre; quand on pense que nos enfants ne seront plus heureux avec. Le français québécois va être en danger quand les gens ne vont plus vouloir le parler. Et une des raisons pour laquelle on veut parler une autre langue, c’est parce qu’on est écœuré de se faire dire qu’on ne parle pas bien français. » Qu’on laisse le registre familier tranquille, à la fin, clame-t-elle haut et fort. Peut-être les gens seront-ils plus enclins à prendre soin de leur registre soigné, s’ils ont un espace où s’épanouir sans contraintes, où ils seront fiers de leur français québécois. Peut-être même qu’un jour, alors, il sera possible de s’affranchir des ouvrages de référence de l’Hexagone et de créer un « vrai » dictionnaire qui rendrait compte de l’identité linguistique québécoise, un dictionnaire où le mot « performer », entre autres, ne serait plus une « forme inexistante ».

Photo : © Tommaso R. Donnarumma

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