Grandes histoires pour petites mains

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La saison littéraire du printemps s’achève. Les nouveautés se feront bientôt moins nombreuses et les lecteurs pourront enfin prendre le temps de savourer les œuvres qu’ils mettent de côté depuis le début de l’année. En littérature jeunesse, le printemps a été particulièrement riche. Rarement avons-nous vu, en une seule saison, une production d’albums d’aussi belle qualité. En voici cinq à lire avec les petits tout au long de l’été.

Histoires d’été
Pour plonger au cœur de la belle saison, rien de mieux qu’une excursion à la mer. Sautons d’abord dans l’océan pour retrouver Hector, une pieuvre qui n’a qu’un rêve : jouer du piano. Mais au pays des poulpes géants, la vie n’est pas une rigolade. Il faut développer le froncement des sourcils et la sévérité du regard. N’écoutant que son cœur, Hector fuit vers le Grand e Part. En compagnie d’un musicien, il apprend que « la musique éclaire les intempéries du cœur ». De retour parmi les siens, il sème l’émoi grâce à son talent. « La musique est dangereuse, elle nous défronce les sourcils! », hurlent certaines pieuvres. « Au contraire, elle va nous rendre meilleures! », répliquent les autres. La petite pieuvre qui voulait jouer du piano (La Bagnole)est d’une richesse infinie. Sur le plan des thèmes, Wajdi Mouawad exploite avec délicatesse divers sujets, dont le conformisme, la différence, la peur, la poursuite de ses rêves et la transformation intérieure. Cet album est également d’une grande beauté. Sur les pages immenses, Stéphane Jorisch peint mille et une teintes de bleu et de vert, ainsi que des créatures marines toutes plus intrigantes les unes que les autres. Un album à lire et à relire pour se faire du bien.

Pour sentir le vent du large, entrons maintenant dans les pages du livre Le bateau de fortune (Sarbacane) où un ours, une chèvre et un renard arrivent sur la dune pour passer un après-midi à la mer. Mais l’ours a tout oublié à la maison : serviettes, maillots de bain, pelles, seaux et ballon. La journée semble fichue jusqu’à ce que l’ours propose de construire un bateau. Voilà que la chèvre et le renard recueillent des algues, des bouts de bois et des coquillages. Lorsque le bateau de fortune est terminé, l’ours le dépose à la surface de l’eau. « Où va-t-il? », demande la chèvre. « Il faut imaginer », répond l’ours. Valorisant le travail d’équipe et la créativité, cet album joliment illustré par Stéphane Poulin fait s’arrêter le temps. En plus de nous transporter sur le rivage, il enseigne une belle leçon aux enfants : il est possible de s’amuser avec peu de choses.

Histoire de création
Si l’imagination et la créativité sont exploitées dans Le bateau de fortune, ces deux sujets sont au cœur de Un million de questions! (Dominique et compagnie). « Est-ce que tu mets un chat dans tous tes livres? », « Est-ce que Stella, c’est toi quand tu étais petite? », « Es-tu capable de dessiner un cheval? », « Quel est ton livre préféré? », « D’où viennent tes idées? », « Combien de livres écris-tu en une journée? » Voilà quelques-unes des questions qui ont été posées par des enfants à l’auteure et illustratrice Marie-Louise Gay lors d’animations. De manière ludique et farfelue, elle répond à toutes ces questions dans cet album où le processus de création est mis de l’avant et expliqué en images et en mots : « Je secoue mes idées comme des petits pruniers. Je les mets à l’envers. Je les remets à l’endroit. Je les observe à la loupe et parfois je les regarde s’envoler par la fenêtre comme des oiseaux fous. » À la fois instructif et rigolo, Un million de questions! éveillera petits et grands et leur donnera envie de passer l’été à inventer des histoires.

Histoires de sentiments
Pour faire une bonne histoire, il faut des émotions. Et il y en a toute une gamme dans Rosalie entre chien et chat (Dominique et compagnie). Depuis que ses parents sont séparés, Rosalie se sent coupable d’aimer également son père et sa mère. C’est que ces derniers, s’ils se sont jadis aimés à la folie, se détestent maintenant comme chien et chat. Prise entre « l’homme de sa vie » avec qui elle ferait toutes les folies et « la femme de sa vie » avec qui elle grimperait toutes les échelles, Rosalie exprime bien ses sentiments : « J’ai deux maisons, mais juste un cœur. Mes parents cohabitent dedans. […] Je ne veux pas savoir qui a raison, qui a tort. Je veux seulement les aimer librement. Très fort et très haut, tout le temps. » Grâce à des mots judicieusement choisis, Mélanie Perreault réussit à traduire le déchirement intérieur qui accable tout enfant dont les parents se séparent. De son côté, Marion Arbona a déployé beaucoup de rose et de rouge dans cet album criant d’amour. Elle a aussi bien rendu la relation qu’entretiennent les parents en les dessinant sous la forme d’un chien et d’un chat. Un livre essentiel pour les familles qui éclatent.

La saison du printemps se termine de belle manière avec l’arrivée de Ma plus belle victoire (Québec Amérique). Tout commence un matin, au lac. Mathieu court, pieds nus dans l’herbe. Tout à coup, pour la première fois de sa vie, il rencontre la Peur. « Elle avait pris la forme d’une couleuvre. J’ai crié très fort. La couleuvre s’est enfuie, mais la Peur venait de s’entortiller derrière mon nombril. » Petit à petit, la Peur dans le ventre de Mathieu s’efface. Mais elle revient lors d’un accident. Puis lors d’un orage. Puis tout le temps. Pour la faire fuir, Mathieu court comme un fou et essaye de la noyer en buvant beaucoup d’eau. Rien à faire, la Peur lui colle au ventre. Dans ce roman illustré de grand format, Gilles Tibo dépeint avec une précision à couper le souffle le chemin sournois qu’emprunte la peur pour se terrer une place au plus profond de nous. Ne laissant ni son personnage ni son lecteur sans solution, il propose deux manières de combattre la peur : la parole et l’écriture. Quant à Geneviève Després, elle a efficacement illustré non seulement les peurs de Mathieu, mais celles qui assaillent la majorité des gens. Un livre puissant. Bonnes lectures d’été!

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