Dans une lettre ouverte traitant des prix littéraires et de l’omniprésence du roman parue dans Le Devoir du 17 août dernier, le libraire Benoît Desmarais soulignait « la place de plus en plus réduite accordée à la littérature dans les médias ». Je n’ai pu m’empêcher d’être surprise en lisant cette affirmation. Je suis une éternelle optimiste, certes, mais il me semble que le livre est très présent dans l’espace médiatique au Québec. Bien sûr, outre La librairie francophone et Plus on est de fous, plus on lit!, deux émissions culturelles d’ICI Radio-Canada Première faisant la part belle à la littérature, nous ne retrouvons plus d’émission entièrement consacrée aux livres aux heures de grande écoute à la télévision. Toutefois, est-ce que cela signifie pour autant que le livre est absent des médias? De mon côté, je reçois chaque jour des demandes de clients à la recherche d’un livre dont ils ont entendu parler dans un média ou un autre. Mon constat est que le livre n’est peut-être plus le pivot d’une émission y étant dévoué, mais fait malgré tout partie intégrante de nos vies et de notre espace médiatique. Ainsi, on reçoit des auteurs dans des émissions de variétés, une personnalité connue parle de son dernier coup de cœur en entrevue, un autre cite une phrase motivante lue dans tel ou tel bouquin. Les livres sont désormais partout autour de nous, ce qui est, à mes yeux, un grand signe de vitalité.

Au-delà de ces prescripteurs que sont les médias, il ne faut pas sous-estimer l’importance grandissante des communautés de lecteurs présentes sur les réseaux sociaux. Des sites consacrés aux livres tels Goodreads, Babelio et quialu.ca sont des sources d’inspiration populaires et non négligeables. En effet, si une lectrice avec un profil semblable au mien encense un roman, c’est certain que j’aurai envie de le lire à mon tour. Même chose pour les publications sur Instagram, Facebook et TikTok. Pas besoin de chercher bien longtemps pour trouver des comptes auxquels s’abonner pour faire le plein de bonnes suggestions de lecture.

C’est d’ailleurs de plus en plus par ces réseaux-là qu’émergent des phénomènes littéraires. C’est entre autres le cas de Valérie Perrin. Méconnue au Québec jusqu’à tout récemment, l’autrice française ne profite pas d’une grande couverture médiatique de notre côté de l’Atlantique, pas plus qu’elle n’est la chouchou des libraires. Force est de constater toutefois que les lecteurs en ont entendu parler, puisque ses livres se vendent. Devant l’augmentation des demandes pour les livres de cette autrice, certains libraires — dont moi — se sont laissé tenter, sans le regretter!

Les lecteurs trouvent donc une variété de sources d’inspiration pour choisir leur prochaine lecture. Bien entendu, ces suggestions sont souvent populaires, et cela peut faire frémir la part d’élitisme qui sommeille chez certains d’entre nous. Pourtant, un livre qui a du succès peut aussi être la preuve qu’il s’agit d’un texte avec une portée universelle, qui rejoint un vaste public tout en favorisant la réflexion et l’empathie. C’est le cas notamment de succès commerciaux tels que celui qu’a connu la série L’amie prodigieuse de l’autrice italienne Elena Ferrante ou encore Kukum de Michel Jean. En tant que libraire, ne pas souhaiter le succès d’un livre me semble plutôt contre-productif! Bien sûr, l’aspect économique est omniprésent, mais la notion de partage est aussi très importante. Je rêve que tout le monde lise mon dernier coup de cœur et j’espère toujours voir un roman que j’ai adoré devenir un succès, puisque cela signifie que d’autres connaîtront la même belle expérience de lecture que moi.

Travailler en librairie me donne un accès direct aux lecteurs, ceux qui lisent par curiosité et par passion. Ça me permet de garder un pied dans la réalité, celle des lecteurs du quotidien qui ne font pas partie d’un comité éditorial, qui ne sont pas auteurs, ni professeurs de littérature ou critiques littéraires. Des lecteurs qui ne sont pas uniquement influencés par les réputations, les bonnes critiques ou les prix littéraires. Avant d’être libraire, j’aimais entrer dans une bibliothèque municipale ou une librairie pour choisir un livre au hasard, guidée par le titre, le look de la couverture, le résumé. Quel plaisir que de découvrir un ouvrage de cette façon! J’aimais aussi éplucher les blogues littéraires, les listes de 100 livres à lire avant de mourir, les listes préliminaires des prix littéraires, etc. Ainsi, au moment de faire un choix, les influences sont vastes et multiples. Et c’est ce qui est fascinant dans la littérature. La possibilité de choisir à l’aveugle, ou encore de se laisser influencer et guider pour amasser toujours plus de suggestions, parce que nous, lecteurs, ne sommes jamais rassasiés!

Enfin, il y a aussi le libraire qui, s’il fait bien son boulot, saura mettre le bon livre entre les bonnes mains. Avec l’aide des représentants, des éditeurs et des autres précieux acteurs de la chaîne du livre qui nous aident à découvrir des perles, les libraires savent devenir des dénicheurs de livres incontournables. Et quand la magie opère, ça peut faire des miracles. Au-delà des critiques, des prix littéraires et des algorithmes, qui augmentent sans aucun doute la découvrabilité d’une œuvre, il y a l’émotion que génère une lecture qui nous touche. Un libraire peut, en étant à l’écoute du lecteur, trouver le livre qui arrivera au moment opportun. Celui qui apaise un deuil ou qui fait voyager, celui qui crée des liens et qui incite au partage, celui qui redonne le goût de lire chaque jour. Bref, le livre qui ouvrira un monde de possibles.

Cela dit, il est important d’inclure les lecteurs dans l’échange. Les livres existent pour eux, et au-delà de l’espace médiatique traditionnel, l’échange avec les lecteurs sur les réseaux sociaux et en librairie permet d’avoir plusieurs angles de vue sur un même livre, d’avoir une diversité d’opinions. Les critiques conventionnelles dans les médias sont certes importantes, mais avoir le regard d’un lecteur sur une œuvre, son avis émotif, nous rattache à ce qui touche vraiment les gens.

 

Audrey Martel
Audrey Martel est titulaire d’une maîtrise en études québécoises. Libraire depuis huit ans, elle devient copropriétaire de la librairie l’Exèdre à Trois-Rivières en avril 2016 et remporte le prix d’excellence de l’Association des libraires du Québec en 2017. Très impliquée dans son milieu, elle a longtemps siégé à divers conseils d’administration en plus de contribuer à la vie culturelle de sa région en animant des rencontres d’auteurs, des clubs de lecture et en signant des chroniques sur différentes plateformes littéraires.

Photo : © Audrey Martel

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