La guerre peut revêtir différentes formes, allant de l’Occupation aux petites batailles du quotidien. Les quatre albums présentés explorent avec une grande variété de tons la thématique du combat, petit ou grand.

Première incursion de Pascal Girard dans le catalogue de La Pastèque en 2008, l’album Paresse, dont le premier tirage est épuisé depuis longtemps, a enfin droit à une splendide réédition. À l’origine publiée en ligne sous la forme d’un strip quotidien sur une période de sept mois et vingt-quatre jours, cette BD racontait le quotidien de l’alter ego de son auteur, truffé de petites lâchetés. Girard y jette les bases du genre « autobidongraphique » (une distorsion du genre autobiographique où le réel et la fiction se confondent sans que le lecteur puisse vraiment départager le tout) qu’il utilisera dans Conventum et La collectionneuse.

Déjà, le titre est un bon indicateur. Girard se joue de nous dès le départ. Le strip quotidien est assurément le format le plus exigeant et contraignant du médium de la bande dessinée. Demandez aux auteurs québécois Daniel Shelton (Ben est publié dans plusieurs journaux depuis vingt et un ans) et Boum (Boumeries est publié en ligne dans les deux langues officielles chaque jour depuis plus de huit ans) pour voir. Il faut du talent, être en verve chaque jour et animer un univers de papier, dont les assises sont indiscutablement solides. De plus, l’artiste bonifie chacune de ses rééditions d’une planche inédite en guise de préface. Paresse, vous dites?

L’artiste s’amuse à se dépeindre sous les traits d’un homme veule — paresse, assurément! — qui fuit toute responsabilité, qui espionne la voisine exhibitionniste sous le regard de son amoureuse, qui trouve toutes les raisons du monde pour ne pas aller courir ni dessiner. Ce Pascal est l’incarnation d’un Charlie Brown adulte dont la vie n’est qu’une interminable joute de football. Chaque jour est un combat, en somme. L’auteur joue à ce point avec la réalité que son avatar croise le personnage Paul de Michel Rabagliati, donnant lieu à une hilarante vignette. Le lecteur s’entiche pourtant de ce grand gaillard fainéant du fait qu’il miroite nos propres travers et couardises.

Relire Paresse aujourd’hui nous permet rétroactivement d’entrevoir les germes des albums à venir, mais aussi d’assister à la construction d’un auteur phénoménal qui maîtrise déjà le genre comédique doux-amer. Chapeau aux éditions de La Pastèque de rééditer et rapatrier le corpus d’un des secrets les mieux gardés du 9e art québécois.

Résistance
Fort du succès de la série Le Spirou de… permettant à différents auteurs d’explorer le personnage hors de sa continuité en album — dont celui extraordinaire d’Émile Bravo campant l’action lors de la Seconde Guerre mondiale —, les éditions Dupuis lancent un nouveau chantier consacré à Pacôme Hégésippe Adélard Ladislas, comte de Champignac, scientifique inventif apparu sous la plume de Jijé et André Franquin dans une aventure de Spirou et Fantasio intitulée Il y a un sorcier à Champignac publiée en 1950. Ce premier tome d’une série que l’on espère longue campe l’action en pleine Seconde Guerre alors qu’un fougueux Champignac et Alan Turing font équipe afin de briser le code d’Enigma créé par les nazis. Quelle ingénieuse idée que de doter le sympathique savant d’une jeunesse, l’insérant du coup dans les coulisses de l’Histoire.

Ségrégation
Ce grand classique de la littérature américaine de la romancière Harper Lee publié en 1960, porté à l’écran deux ans plus tard par Robert Mulligan, est magnifiquement adapté en bande dessinée. Ce poignant récit, lauréat d’un prix Pulitzer, se déroule dans une ville fictive du sud des États-Unis des années 30, alors qu’un avocat humaniste se porte à la défense d’un jeune Afro-Américain accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Le troublant portrait de cette société ségrégationniste, observé par le truchement des deux enfants du héros, trouve écho plus que jamais dans ce monde divisé qu’est le nôtre. Il faut beaucoup de courage pour se battre contre la bêtise humaine, surtout lorsque l’on connaît d’avance l’issue de la joute. Cet album nous rappelle de ne jamais baisser les bras.

Émancipation
Alors que l’ouest sauvage est sur le point de basculer dans l’ère industrielle, la jeune Emily arrive par train au Colorado afin d’épouser Benjamin Cartrige, fuyant le destin de prostituée tracé par sa mère. Manque de bol, l’aspirant époux décède entre-temps. Laissée à elle-même, elle décide de reprendre les rênes de sa destinée, ce qui s’avère être un fabuleux anachronisme pour une femme de cette époque. Malgré l’utilisation d’armes masculines, son esprit aiguisé prévaut sur les vulgaires colts. Laurent Astier propose un western haletant et brutal qui respecte les codes du genre dans un premier temps pour ensuite s’en dégager.

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