Connue au départ sous le nom L’art de s’apprivoiser, pour plus tard se mettre à utiliser davantage l’acronyme AdA, cette maison d’édition québécoise – dont les bureaux sont situés à Varennes – a été mise sur pied en 1992. Tout a commencé quand François Doucet, son fondateur, est parti sur les routes du Québec pour faire le tour des librairies (allant jusqu’à dormir dans sa voiture!) avec, en main, le troisième livre qu’il avait écrit et qu’il n’arrivait pas à faire publier. Près de trente ans plus tard, non seulement AdA existe-t-elle encore, mais elle constitue une entreprise prospère qui publie deux cent cinquante livres par année.

La rencontre est franche, sympathique et sans détour inutile. La conversation se dirige naturellement vers son but en abordant le sujet qui rassemble les trois comparses; ainsi, François Doucet, son fils Nycolas et Rodéric Chabot parlent d’emblée du plaisir qu’ils ont à publier des livres et à propager l’émerveillement que ceux-ci suscitent. D’autant plus qu’une grande nouvelle qu’ils désirent nous dévoiler en primeur les amène, à l’évidence, à éprouver un supplément d’enthousiasme : « Depuis le mois d’octobre, on a les droits d’Amos Daragon, de Bryan Perro, au Canada et en Europe francophone », lance Rodéric Chabot, qui dirigera la collection « Thyco » (dans laquelle figurera la série). Cette saga fantastique jeunesse, constituée de douze livres publiés à l’origine en 2003, s’est écoulée à plus de deux millions cinq cent mille exemplaires. En la rééditant, les éditions AdA viendront offrir à une nouvelle génération l’occasion de découvrir ces livres d’aventure, qui verront également le jour sous forme de dessins animés à l’antenne d’ICI Radio-Canada à compter de septembre prochain. Une pièce de théâtre à grand déploiement tirée du septième tome sera aussi jouée à Shawinigan à l’été. Les trois premiers tomes d’Amos Daragon, version AdA, sortiront en septembre, en même temps que la série animée.

Cela va tout à fait dans le sens des changements amorcés du côté de la maison d’édition il y a environ trois ans. « Avant, les livres des éditions AdA étaient en grande majorité des achats de droits de traduction, explique Nycolas Doucet. Dernièrement, on a fait un virage cent pour cent québécois. On voulait augmenter la qualité de ce qu’on faisait et créer du contenu plus adapté à notre lectorat. » C’est pourquoi Rodéric Chabot, fondateur des éditions Espoir en canne – devenues depuis une collection au sein d’AdA –, a récemment fait son entrée dans la boîte. La structure en place lui permettra de publier davantage, tandis que la maison bénéficiera quant à elle du talent de ses auteurs. La collection « Les contes interdits », dirigée par les auteurs Simon Rousseau et Louis-Pier Sicard, fait partie de cet important renouveau. Celle-ci aura aussi droit à sa version audio, un format en vogue qu’AdA investit depuis quinze ans déjà grâce à l’éditeur Louis Lachance aux commandes avec ses ouvrages spirituels. Il s’agira toutefois de la première incursion du genre dans la fiction pour la maison d’édition. Enfin, Matthieu Fortin vient compléter l’équipe des éditeurs d’AdA; l’homme est responsable des livres axés sur la croissance personnelle, un sujet fort prisé des lecteurs.

Bloquer la rue avec une vieille Lincoln
D’ailleurs, AdA cherche avant tout à plaire à son lectorat. « Moi, je suis mass market; je ne m’en cache pas, je suis là pour le peuple et pas pour les intellectuels, affirme François Doucet. Je suis là pour que tout le monde prenne un livre dans ses mains et se développe. » Il faut rappeler qu’à ses débuts, AdA se spécialisait exclusivement dans les livres de croissance personnelle. Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard qu’est parue « Diadème », première série jeunesse fantastique de l’éditeur. « Lire, c’est l’art de s’apprivoiser; c’est l’art de se connaître, d’aller plus profondément à l’intérieur de soi, poursuit François Doucet. Ce n’est pas de subir quelque chose comme avec la télévision : c’est vraiment travailler son imaginaire. C’est ça, la beauté d’un livre. » Nycolas Doucet est par ailleurs très conscient de la nécessité de se renouveler sans cesse dans un domaine où l’offre augmente constamment : « Le milieu du livre est vraiment en transformation, dit-il. Avec la taille qu’on a, ce qui est difficile, c’est d’aller chercher tout le temps de nouvelles idées qui créeront une nouvelle vague. Mais c’est aussi ce qui est plaisant dans le métier d’éditeur. » Et la créativité ne manque surtout pas avec toutes les bonnes têtes qu’on trouve au sein des éditions AdA. L’un des derniers-nés de la maison, la série « Héros fusion », en est la preuve. Roman d’aventure jeunesse, il intègre aussi un jeu de société qui inclut dix cartes à collectionner. Certes, le succès n’est jamais garanti… mais avec l’expérience vient aussi l’intuition, estime François Doucet. Ensuite, c’est le marché qui décide. Parce qu’il n’aura pas été suffisamment mis en valeur sur les tablettes, parce qu’il aura trouvé moins d’intérêt chez les lecteurs ou parce que le contexte social aura réduit la visibilité et l’attention mises sur lui, un livre est également soumis à des aléas conjoncturels. Il est donc impossible de tout prévoir, mais chaque situation est matière à apprentissage, souligne François Doucet.

L’âge considérable de la maison entraîne inévitablement avec lui son lot d’anecdotes. Pour AdA, celles-ci se sont d’ailleurs présentées dès le début. Après avoir dormi dans son automobile pour présenter et distribuer son premier livre, Doucet père a publié Je mange avec la nature, de Colombe Plante, une naturopathe qu’il a consultée en vue de mieux s’alimenter. Lors d’une de ses visites, voyant que la femme se démenait avec ses feuilles éparpillées un peu partout, il lui a suggéré de rassembler le tout et de faire un livre de ses recettes végétariennes. « Quand on a fait le lancement du livre, je ne savais pas que Colombe était la cuisinière de Julie Snyder dans ce temps-là, raconte l’éditeur. Le fait marquant, c’est qu’il est venu sept cents personnes au lancement! [Peu d’auteurs québécois peuvent se targuer aujourd’hui d’atteindre même la centaine d’invités…] On avait fait ça dans un auditorium, et il y avait mon père qui bloquait la rue avec sa vieille Lincoln, parce qu’on ne pouvait plus prendre personne! » Par ailleurs, Colombe Plante a vite fait de devenir une amie de la famille, devenant même la marraine de Nycolas!

Ce vent de renouveau qui propulse la maison vers de nouveaux horizons apporte une solide assise lui assurant cohésion et équilibre. « La belle synergie qu’il y a présentement à AdA, c’est la sagesse des plus vieux et la jeunesse qui nous pousse, souligne François Doucet. C’est à nous d’être à l’écoute de ce que veulent lire les jeunes, et non de choisir pour eux ce dont on pense qu’ils ont besoin. Ça fait toute la différence. » Si l’on questionne justement le patriarche pour savoir de quelle réalisation il est le plus fier, il répond qu’il n’y a aucun bon coup qui remplace l’apport unique de chacun des collaborateurs de l’équipe et, surtout, le bonheur tout personnel qu’il a à travailler avec deux de ses enfants. « Pour moi, c’est ça, la beauté d’AdA. Ça grandit de l’intérieur; c’est un arbre qui plonge ses racines dans le sol encore plus profondément. » Et certains arbres, soutenus par une saine croissance, peuvent même devenir centenaires.

Souhaitons-leur que les prochaines années portent leurs fruits.

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