Soulières éditeur: Faire lire et relire

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Un éditeur a-t-il autant de souffle qu'un auteur? C'est mon vœu parce que sinon, on se demande qui s'est occupé des dix bougies du gâteau d'anniversaire de Soulières éditeur, le 16 août dernier. Colombe Labonté n'a paraphé aucun livre et la quarantaine d'ouvrages qu'a signés Robert Soulières au cours des deux derniers siècles ne compte pas. C'est de la littérature jeunesse. Facile.

Ce refrain imbécile, Soulières, l’un des pères de la forme actuelle de la littérature jeunesse au Québec, l’entendait déjà au collège : «Je lisais un Bob Morane par jour, raconte l’éditeur au bout du fil. Les frères nous regardaient avec un air de dédain. C’est un peu la même chose aujourd’hui avec les jeunes qui lisent Amos Daragon.» Sa fidèle associée, Colombe Labonté, renchérit : «Les gens oublient souvent qu’ils ont été premiers lecteurs. Ils oublient de quelle façon ils ont appris à aimer à lire. Il faut bien commencer quelque part.» J’acquiesce de l’acoustique, et pour cause : le deuxième livre «avec-pas-d’images» que j’ai lu dans ma vie est Casse-tête chinois, de son compagnon de travail et de vie, une rafraîchissante enquête de Gilbert Millaire qui lui valut le Prix du Conseil des Arts du Canada.

Après la parution du Visiteur du soir (Pierre Tisseyre; prix Alvine-Bélisle 1981; 55 000 exemplaires vendus depuis 1980), Robert Soulières, agent d’information à la Commission scolaire Saint-Jérôme, dirige la revue Lurelu, seule publication québécoise dédiée à l’étude des parutions jeunesse, de même que les collections jeunesse des éditions Pierre Tisseyre. Il assure plus tard la direction puis la vice-présidence de cette maison qu’il n’aurait pas quittée sans le décès de son fondateur, éditeur émérite avec qui il entretenait une relation privilégiée. Colombe Labonté poursuit une trajectoire parallèle : études en éducation, travail autour du livre en librairie, promotion de la lecture chez Communication-Jeunesse et Lurelu.

Deux itinéraires qui forcent une question : sans relation étroite avec les milieux scolaires, l’édition jeunesse existerait-elle au Québec? « C’est notre clientèle », tranche Mme Labonté. « 80% des achats, précise M. Soulières, se font en institution. » Un coup d’œil sur les chiffres d’une librairie de Québec appuie cette approximation. Si l’on exclut quelques dictionnaires et cahiers d’activités obligatoires, une poignée de romans jeunesse atteignent des ventes à faire baver d’envie un Dan Brown… enfin, son cousin Denis LeBrun, auteur des Champignons du Québec et de l’Est du Canada. Parmi ces livres, se trouve d’ailleurs Un cadavre de classe, lauréat du regretté Prix M. Christie 1998. Cette première aventure de l’Inspecteur et d’Elizabeth Chamberland s’est vendue, à ce jour, à 28 000 exemplaires.

Les premières années, Soulières éditeur consacre beaucoup d’énergie à visiter les classes, présentant de vingt à quarante animations par semestre. Un auteur ou un éditeur jeunesse ne peut négliger son public, aussi captif soit-il : «Le succès de la littérature jeunesse est très underground, affirme Soulières. Ça ne se passe pas dans les médias. Ça se passe avec les écoles, les Salons. C’est du travail de terrain.» Des auteurs comme Danielle Simard s’illustrent particulièrement à ce jeu. Aux yeux de leurs jeunes lecteurs, ce sont eux les vraies vedettes du livre : «On ne demande pas la même chose aux écrivains « adulte » et aux « jeunesse », croit Colombe Labonté. L' »adulte » doit être médiatique et bien paraître. On va lui demander son avis sur tout. En jeunesse, ce n’est pas ça. Il s’agit d’expliquer en classe aux enfants comment tu as commencé à écrire, comment tu t’y prends pour créer. »

Sans compter ses pigistes habituels et autres irréguliers fidèles, Soulières éditeur ne compte que deux employés permanents, à l’œuvre dans leur sous-sol de Saint-Lambert. Un beau sous-sol, de l’avis de M. Soulières. Les collections «Ma petite vache à mal aux pattes», «Chat de gouttière» et «Graffiti» (6, 9 et 11 ans et plus) hébergent déjà cent quarante recueils de contes, romans et albums. Petite incursion dans la bande dessinée, la collection «Mille bulles» en restera à La Course à l’hydrogène, une BD documentaire, et Le Jour à Wentworth, adaptation d’une nouvelle de Lovecraft. Enfin, les éditeurs, lecteurs de poésie, ouvrent la porte au genre : Édith Bourget publiait en 2004 Autour de Gabrielle, tout de vers et d’images. L’an prochain, on découvrira un S signé Guy Marchamps.

Soulières éditeur publie seize nouveaux livres par an. Lorsqu’il triche et en ajoute un ou deux de plus, c’est qu’un auteur important de la maison l’y oblige. Quatre d’entre eux assurent la moitié du chiffre d’affaires. Il ne reste que peu de place pour la relève, regrette Robert : « On en a un par an à peu près. Comme Pierre-Luc Lafrance. Mais ces gens-là vont se mettre à produire. Lafrance en est déjà rendu au
quatrième. Quand tu acceptes un auteur, il faut prévoir ça. » Le catalogue, qui comptera cent cinquante titres à la fin de l’année, exige déjà un énorme travail de gestion : « La banque d’auteurs de fonds finit par devenir lourde, avoue Colombe Labonté, qui traite avec une cinquantaine d’écrivains. Même nous, actuellement, on ne peut pas assumer toute la production de nos auteurs. »

S’ils saluent le lancement de la série «Amos Daragon», «bon coup» des Intouchables, les éditeurs n’entendent pas reprendre la formule des romans à 0,99 $ : «On aurait pu le faire avec L’Atlas mystérieux (Diane Bergeron), mais c’est pas comme ça qu’on voit les choses. Voir cette formule reprise, je trouve ça plate. Ça manque de créativité», ajoute Robert. Pour fidéliser ses lecteurs, Soulières éditeur a plus d’un tour dans son sac. Les Tempêtes, rigolo récit d’Alain M. Bergeron, propose un signet en forme de guitare et un CD des chansons de ces Beatles de garage. À l’intention des enseignants du secondaire, des fiches pédagogiques sont réalisées à partir des titres de la collection «Graffiti». On a vu cette année Un roman-savon de Geneviève Lemieux servi dans une petite boîte : «La vie est un cycle. Un cycle de lavage, et pas toujours délicat», peut-on y lire. Plus ambitieux, le concours Dessine-moi une vache recueillait 13 800 dessins d’élèves de niveau primaire. De quoi occuper nos éditeurs, qui ont leurs priorités : «On pourrait engager une autre personne pour faire le café, aller à la poste, tout ça. Mais l’argent qu’on lui donnerait, on le perdrait pour ces petites folies-là et les pubs dans le libraire.»

SOULIÈRES ÉDITEUR
598, rue Victoria, C. P. 36 563
Saint-Lambert (Québec)
J4P 3S8
Tél. : (450) 465-2968

Courriel : [email protected]
Web : www.soulieresediteur.com

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