Illustration tirée de La boîte rouge (Pastel) : © Stéphane Poulin

Stéphane Poulin

Ils sont peu nombreux, ces artistes qui ont comme seul et unique métier l’illustration. C’est cependant le cas de Stéphane Poulin, qui roule sa bosse depuis les années 80 avec toujours autant de talent et de minutie. Sa première parution, Ah! belle cité! (Livres Toundra), date de 1983 et dénotait déjà ce talent que les années ne sauront étioler. Maintes fois acclamé par les prix, traduit partout à travers le monde, Poulin est un oiseau rare, qui travaille encore avec cette technique employée par les peintres flamands de XVIe siècle : l’utilisation d’une succession de fines couches de couleurs, donnant un résultat de type « velours » à l’illustration. « Je travaille à l’huile. C’est un médium qui me convient bien parce que l’huile sèche très lentement et qu’il est donc possible de retoucher à l’infini et c’est ce que je préfère de mon métier. M’attarder à l’infini sur une image. Prendre le temps de bien “incarner” les choses au point d’éprouver parfois la sensation presque réelle d’être dans l’image. Quel délice! », nous dévoilait-il, il y a quelques années, alors qu’il signait la couverture de notre édition d’été 2014. Pour preuve de cet amour du temps qui s’étire, pensons à son œuvre Au pays de la mémoire blanche (avec Carl Norac, chez Sarbacane) dont la conception s’est étirée sur cinq ans et dont le résultat en a assurément valu le délai.

S’il y a un petit quelque chose d’hypnotisant dans chacune de ses images, quelque chose qui nous pousse à nous y plonger longuement, il serait faux de dire que son œuvre est lumineuse ou enjouée. Avec Stéphane Poulin, on visite plutôt des ambiances feutrées, mystérieuses. On s’y sent près des personnages, avec cette impression de pouvoir en toucher les contours, les secrets. Parfois, comme dans Les mûres, L’oiseau des sables ou même dans Vieux Thomas et la petite fée, une belle envolée de couleurs pâles, souvent sous un grand vent et près d’un paysage de mer, se glisse dans ses livres. Sa dévotion à son art est notoire, et Stéphane Poulin est incontestablement un artiste d’envergure.

Son plus récent ouvrage : Touche pas à mon corps, Tatie Jacotte! (Les 400 coups)
Son œuvre à découvrir : La boîte rouge (Pastel)
Deux œuvres que les adultes adoreront : Bartleby le scribe (Sarcabane) et Au pays de la mémoire blanche (Sarbacane)

Photo : © Martine Boisvert / Illustration tirée de L’abeille à miel (La Pastèque) : © Isabelle Arsenault

Isabelle Arsenault

Si vous êtes un adapte des albums jeunesse québécois, le nom d’Isabelle Arsenault sonnera assurément commun à vos oreilles. Cette illustratrice originaire de Sept-Îles a cumulé les prix et les honneurs avec une constance remarquable. Le plus récent à son tableau est le Prix des écoles d’Angoulême, remporté pour La quête d’Albert, second volet d’une série qu’elle écrit et dessine et qui se déroule dans les ruelles du Mile-End, là où elle demeure maintenant.

Parmi ses ouvrages les plus remarqués, on souligne Jane, le renard et moi et Louis parmi les spectres (écrits par Fanny Britt) et Virginia Wolf et Fourchon (écrits par Kyo Maclear). Ils ont tous en commun ce trait empreint d’une douceur communicative, ils partagent tous ces effets de transparence et cette étonnante floraison qui jaillit autour des personnages. Il y a quelque chose d’extrêmement poétique dans ses dessins, quelque chose qui, visiblement, participe à sa renommée et à son unicité. Il faut également noter cette façon qu’elle a d’utiliser les noirs, les gris et les bruns afin de mettre la lumière sur ce qui importe dans la narration visuelle de chacune de ses pages. Ses éclats de couleurs n’en sont ainsi que mieux servis.

Pour ceux qui connaissent déjà bien son œuvre, un détour vers ce qu’elle publie hors de la province s’impose. Car, oui, son talent est reconnu à l’international. On attire donc votre attention sur Tu es chez toi (Kimane) où elle illustre dans des tons de gris et de vert la relation invisible mais forte qui relie chaque enfant à son parent; Capitaine Rosalie (Gallimard Jeunesse) où une fillette de 5 ans, qui commence l’école des grands alors que son père est au front et sa mère à l’usine, s’imagine capitaine d’une mission; ou encore Bonjour les hirondelles (Casterman) où il aura fallu d’une nuée d’hirondelles en rêve pour qu’un homme décide de se prendre en main et de construire une montgolfière. On attire également votre attention sur Alpha, édité à La Pastèque comme tous ses autres ouvrages parus au Québec, où elle a créé un abécédaire fort original en illustrant chaque lettre du code alpha international. Cet album s’adresse cependant davantage aux parents et à leur culture générale, car si l’enfant peut apprécier les illustrations (un chapeau, un boxeur, un gâteau), il se peut qu’il doive recourir aux explications d’un plus grand pour en comprendre les associations!

Son plus récent ouvrage : Parce que…, écrit par Mac Barnett (Scholastic)
Son œuvre à découvrir : L’abeille à miel, écrit par Kristen Hall (La Pastèque)
Une œuvre que les adultes adoreront : Louis parmi les spectres, écrit par Fanny Britt (La Pastèque)

Illustration tirée de Casse-Noisette (Dominique et compagnie) : © Stéphane Jorisch

Stéphane Jorisch

Il a remporté le Prix du Gouverneur général en illustrant de façon fort inventive les fables de La Fontaine dans Le monde selon Jean de…, chez feu Doutre et Vandal. Il a mis en images dans une douceur inégalée la magie de la danse dans Casse-Noisette (Dominique et compagnie). Il a également illustré plusieurs paroles de Gilles Vigneault (Gaya et le petit désert, Un cadeau pour Sophie, Un dimanche à Kyoto, etc.) et c’est lui qui est derrière les illustrations du premier album jeunesse écrit par le dramaturge Wajdi Mouawad, La petite pieuvre qui voulait jouer du piano (La Bagnole). Et vous n’avez là qu’un aperçu de ses publications.

L’œuvre de Stéphane Jorisch, remplie de personnages parfois inquiétants, à multiples facettes et souvent multiethniques, a déjà été qualifiée d’« exotisme onirique », avec une grande justesse d’ailleurs. Est-ce la faute à l’aquarelle, qu’il utilise fréquemment dans ses illustrations et qui rend d’ailleurs ses œuvres uniques? À ce sujet, Stéphane Jorisch a déjà mentionné en entrevue pour Lurelu que ce médium laissait place à beaucoup de surprises, parfois en donnant d’heureuses gaffes, d’autres fois de mauvaises, mais qui, elles, offriront de nouvelles surprises au moment de les corriger. Visiblement, tout prévoir n’est pas le fort de cet illustrateur.

« C’est un esprit libre, follement audacieux, qui nous émerveille toujours en nous sortant un lièvre de son chapeau. Il faut le laisser libre, car il nous étonnera à coup sûr », en dit l’éditeur Robert Soulières, qui l’a engagé pour signer des couvertures, notamment de Cendrillon au pays des cannibales, et pour certains livres écrits de sa plume, comme Le chevalier de Chambly. D’ailleurs, l’éditeur nous démontre à quel point Stéphane Jorisch prend son boulot d’illustrateur avec un sérieux tout à fait à son honneur : « Nous avions travaillé ensemble à l’album Le baiser maléfique, en 1985, pour les défuntes éditions Ovale. Son travail était magnifique. Les éditions 400 coups, dix ans plus tard, en 1995, avaient décidé de le rééditer. Stéphane aurait pu se contenter de dire oui et l’éditeur aurait été bien heureux de reprendre les mêmes illustrations, mais Stéphane n’était plus content de son travail. Il était déjà rendu beaucoup plus loin. Il a donc, de son propre chef, réillustré de façon magistrale et totalement différente cette légende québécoise de Rose Latulipe, la jeune fille qui a dansé avec le diable. Stéphane ne refait jamais la même chose deux fois. Il lui faut toujours aller plus loin. Aller ailleurs. Et il le fait chaque fois avec panache! »

Son plus récent ouvrage : Charlotte Destin, écrit par André Marois (Somme toute)
Ses œuvres à découvrir : Léo et les presqu’îles, paroles de Gilles Vigneault (La montagne secrète) et Cendrillon au pays des cannibales, poésie de Jennifer Tremblay (Soulières éditeur)
Une œuvre que les adultes adoreront : Thésée et le Minotaure, écrit par Pan Bouyoucas (Les 400 coups)

Illustration tirée d’Ami pour-tout-toujours (Planète rebelle) : © Pierre Pratt

Pierre Pratt

Le nom de Pierre Pratt a été maintes fois accolé au Prix du Gouverneur général, soit comme finaliste, soit comme lauréat (à trois reprises). Il a remporté la Pomme d’Or de la Biennale internationale de l’illustration de Bratislava et a été deux fois finaliste au prestigieux prix Andersen (surnommé affectueusement le Nobel de littérature jeunesse). Il a exposé à Bologne, Tokyo, New York, Londres et au Portugal, où il a d’ailleurs un pied-à-terre : bref, son art a pu être admiré sur plusieurs continents. Et même après près de 100 ouvrages illustrés, il continue d’être animé par cette passion de l’illustration jeunesse. Pourquoi? Car il s’y sent utile, nous explique-t-il, en donnant ainsi aux enfants leurs premiers contacts avec la lecture. Il admet également trouver un malin plaisir dans l’espace de création que permettent les trente-deux pages traditionnelles d’un album, espace cloisonné où il doit se débrouiller pour bien raconter l’histoire. Bien exécuter la narration est pour lui important, et il y parvient grâce au découpage qu’il choisit, aux mises en scène, aux compositions diverses ainsi qu’au jeu des couleurs. « Avec l’âge, je deviens de plus en plus exigeant. Malgré cela, je fais tout pour ne pas perdre ma spontanéité. Et je mets donc beaucoup plus de temps à produire un livre. J’essaie surtout de ne pas m’ennuyer, de ne pas devenir blasé. »

Ce qui démarque son œuvre des autres est à la fois son trait expressif, dont ses contours sont souvent bien affirmés, ainsi que son style naïf qui ne tombe pourtant pas dans l’enfantin. Ses couleurs, toujours admirablement maîtrisées, participent également à ce qu’on reconnaisse, d’un seul coup d’œil, la patte de l’illustrateur dont les techniques ont pourtant évolué avec le temps. Il y a trente ans, il utilisait l’huile et l’acrylique; maintenant, il varie et amalgame les techniques : gouaches, aquarelle, crayons, collage, plume, monoprints. « J’ai une connaissance très limitée de l’ordinateur, je l’utilise de manière intuitive ou organique », nous explique celui qui a utilisé Photoshop pour les couleurs dans Aux toilettes! (combinées au graphite) et pour les plus récents tomes de la série Klonk (cette fois combinées à l’encre de Chine).

Son ouvrage Ami pour-tout-toujours, publié chez Planète rebelle, témoigne justement de cette maîtrise des dégradés et des agencements heureux. Ses couchers de soleil sont à s’y perdre. De plus, il y a toujours cette fureur certaine dans ses couleurs, cette allégresse du mouvement qu’on ressent en se plongeant dans le dynamisme de ses œuvres. Arrête de nourrir les oiseaux! en est un bon exemple, où ses pigeons sont dessinés à la perfection pour nous les faire aimer!

Son plus récent ouvrage : Un amour de Klonk (Québec Amérique)
Son œuvre à découvrir : Le jour où Zoé Zozota (Les 400 coups)
Deux œuvres que les adultes adoreront : L’étoile de Sarajevo (Dominique et compagnie) et Le géant de la forêt (La montagne secrète)

Photo : © Stéphane Audet / Illustration tirée de L’horoscope (Les 400 coups) : © Valérie Boivin

Valérie Boivin

Illustratrice et conceptrice de cartes de souhaits — elle a d’ailleurs fondé son entreprise de cartes —, Valérie Boivin a entrepris de se consacrer à l’illustration après des études en design graphique à l’Université Laval. Pour sa première parution, Un après-midi chez Jules (Les 400 coups), elle a signé les textes et les dessins. Elle a aussi illustré Perché sur mes hautes jambes (La Bagnole). Par la suite, elle a collaboré avec l’auteur François Blais sur trois albums jusqu’à maintenant, publiés aux éditions Les 400 coups : 752 lapins, Le livre où la poule meurt à la fin et L’horoscope. Ces trois livres, un brin décalés, réunissent les superbes illustrations de Boivin et les textes parfois absurdes et loufoques de Blais. Le résultat s’avère amusant, touchant et empreint d’une douce folie absolument charmante. Pour la petite histoire, ce duo est né parce que Valérie, mordue des romans de François Blais, lui a écrit sur un coup de tête après sa lecture de Sam pour lui demander s’il souhaitait collaborer avec elle sur un projet de livre jeunesse. Elle rêvait de transporter son univers dans les livres jeunesse, nous révèle l’illustratrice.

Nous en avons aussi profité pour lui demander ce qu’elle aimait particulièrement dans son métier : « Je dirais que la plus grande satisfaction qui existe, c’est de recevoir le livre, à la toute fin de tout ce travail. La première fois qu’on le tient dans ses mains, il y a cet étrange sentiment d’incrédulité et de plaisir pur. J’aime aussi bien sûr le processus de création. Faire naître au ralenti une histoire qui n’existe pas encore… il y a quelque chose de formidable là-dedans. On est comme le premier lecteur d’un livre en devenir. Quand je dessine, je suis complètement absorbée par la tâche, c’est presque méditatif. »

Valérie Boivin travaille présentement à une bande dessinée pour adultes qui devrait paraître en 2021. Nous avons hâte de voir son talent se déployer dans ce nouvel univers.

Son plus récent ouvrage : L’horoscope, écrit par François Blais (Les 400 coups)
Son œuvre à découvrir : Un après-midi chez Jules (Les 400 coups)
Une œuvre que les adultes adoreront : Le livre où la poule meurt à la fin, écrit par François Blais (Les 400 coups)

 

Photo : © Same Ravenelle / Illustration tirée du livre Le bruit des cailloux (La Morue verte) : © Rogé

Rogé

Partageant son temps entre Montréal et les Îles-de-la-Madeleine, Rogé a commencé sa carrière comme directeur artistique dans des agences de publicité, avant de se tourner vers l’illustration, la peinture et l’écriture. Nous avons pu voir son travail dans des campagnes publicitaires, des magazines et plusieurs livres, tels que Le bruit des cailloux (La Morue verte), écrit par Caroline Grégoire, qui rend hommage à l’immensité et à l’infinie beauté des Îles-de-la-Madeleine, ou Bagages, mon histoire (La Bagnole), qui met en lumière des poèmes de jeunes immigrants, dont il a dessiné les portraits. Charmant autant les enfants que les adultes, ses illustrations poétiques et émouvantes, empreintes de douceur, s’imprègnent longtemps en nous et dans notre imaginaire, comme de précieux souvenirs. L’artiste visuel a été récompensé maintes fois, entre autres, du Prix du Gouverneur général en 2006 pour ses illustrations de l’album Le gros monstre qui aimait trop lire (Dominique et compagnie), du New York Times Award en 2014 pour Haïti my Country (en français, Haïti mon pays, La Bagnole) et du Prix des libraires en 2013 pour Mingan mon village (La Bagnole) et en 2011 pour Le roi de la patate (Dominique et compagnie).

Alors qu’il signait la couverture du centième numéro de la revue Les libraires, Rogé nous en révélait un peu plus sur sa vision du rôle de l’artiste : « Nous laissons très peu d’espace pour nous connecter à notre inconscient et à notre instinct. Nous sommes plutôt ensevelis par l’accumulation d’information, par les choix à prendre ou par la gestion de notre temps, qui file toujours trop vite… Je pense que mon rôle est de contrebalancer cet état pour bousculer notre quotidien. L’art et la poésie ont cette force et il faut s’en nourrir. » Alors, nourrissons-nous abondamment du regard sensible de cet illustrateur à l’univers apaisant qui fait du bien à l’âme.

Son plus récent ouvrage : Le poisson et l’oiseau, écrit par Kim Thúy (La Bagnole)
Son œuvre à découvrir : Le bruit des cailloux, écrit par Caroline Grégoire (La Morue verte)
Une œuvre que les adultes adoreront : Grand-père et la lune, écrit par Stéphanie Lapointe (XYZ)

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