Prix jeunesse des libraires 2014 : finalistes 12-17 ans

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Pour la troisième année du Prix jeunesse des libraires du Québec , neuf livres québécois ont su charmer le cœur du comité de sélection. En attendant que tous les libraires du Québec votent sur leur coup de cœur, nous vous proposons une petite intrusion chez les auteurs finalistes grâce à de courtes entrevues. Vous n’avez pas encore lu ces albums ou romans? Hâtez-vous! Ci-dessous, les finalistes de la catégorie 12-17 ans. 

 

Eux
Patrick Isabelle, Leméac

Patrick Isabelle
crédits photo: Agnès Lalonde

Eux. Ce sont ceux qui vous toisent d’un regard narquois, qui empoisonnent la vie d’autrui sans se soucier des cicatrices. Eux. Ce sont ceux qui croient faire rire leurs copains en faisant pleurer l’inconnu. Eux. Ce sont les tortionnaires qui abusent, qui ridiculisent, qui ne se rendent pas compte de l’ampleur de ce qu’ils créent. Eux, c’est le second roman jeunesse de Patrick Isabelle, qui traite avec brio d’intimidation poussée à l’extrême, selon le point de vue d’une victime qui en aura assez de sa situation. Eux, c’est un coup de poing en plein ventre.

 

Quelques questions à Patrick Isabelle : 

Pourquoi avoir fait de l’intimidation le sujet de Eux?
Le sujet s’est imposé de lui-même. De un, parce que je voulais comprendre ce qui pouvait pousser un jeune à faire irruption dans son école avec une arme à la main. Ça prend une certaine rage, une certaine lourdeur émotive, pour faire preuve d’une telle haine. C’est comme ça que l’intimidation, l’exclusion, est apparue dans ma tête. De deux, après avoir fait quelques rencontres dans les écoles, à la suite de la parution de mon premier roman [Bouées de sauvetage], dans lequel j’effleurais la chose, je me suis aperçu que plusieurs jeunes en sont encore victimes. J’ai donc eu envie de traiter le sujet de front.

Eux est un réel exercice de concision puisqu’en à peine 100 pages, ce sont plusieurs années dans la vie du personnage qui se déroulent sous nos yeux. Pourquoi avoir choisi une telle concision? Était-ce pour montrer l’ampleur que peut prendre, année après année, la souffrance, mais surtout la rage d’une victime pour qui rien ne s’arrange jamais?
Eux se déroule en tout et partout sur deux ans et demi. Dès le départ, je voulais un effet coup de poing, que le roman se lise d’un souffle. J’ai donc été au cœur de l’histoire, à l’essentiel. C’était nécessaire. Pour moi, chaque court chapitre est comme un flashback qui ressurgit pendant que le personnage pose l’irréparable. Ça aurait été insensé pour moi d’y ajouter de la fioriture juste pour allonger le récit. Ce sont les 80 premières pages de ce roman qu’il porte avec lui quand il entre dans son école. C’est une charge lourde, insoutenable. Plus long, ça n’aurait pas eu, je crois, le même impact.

Quel effet ça vous fait d’être dans la liste des finalistes du Prix des libraires du Québec, donc d’être reconnu par les libraires d’ici, en l’occurrence, vos collègues puisque vous travaillez à la librairie indépendante Monet?
C’est au-delà de toutes mes attentes! Vraiment. Les libraires sont avant tout des lecteurs aguerris, des passeurs de mots, des passionnés de littérature qui ne sont pas facilement impressionnés. Leur reconnaissance est donc, non seulement un encouragement énorme pour un jeune écrivain comme moi, c’est aussi un immense honneur qui me touche beaucoup. Je suis d’autant plus stupéfait d’être en course avec deux excellents auteurs et romans. D’être considéré comme leur égal me donne littéralement le vertige. 

Pour approfondir :
Une entrevue avec Patrick Isabelle, lors de la parution de Eux : c’est ici!

 

Jeanne Moreau a le sourire à l’envers
Simon Boulerice, Leméac


crédits photo Marie-Soleil Dion-Bouchard

 

Léon est le correspondant de Léonie. À grands coups de crayons, ils ont tissé une relation solide, faite de confessions et de questions. Puis, vient la rencontre entre les deux, où les pellicules de Léon deviendront un souci de première ligne et où ce dernier voudra plaire à Léonie, qui trouve plutôt son meilleur ami de son goût. En filigrane, Jeanne Moreau a le sourire à l’envers effleure la question d’anorexie dans un récit authentique, comme seul Boulerice sait livrer.

 

Quelques questions à Simon Boulerice :

Dans Jeanne Moreau a le sourire à l’envers, il est question d’une correspondance (par voie postale!) qu’entretient le narrateur, Léon, avec Léonie, permettant notamment d’aborder la thématique de l’image qu’on renvoie aux autres, en opposition à la réalité ou à celle que nous souhaiterions renvoyer. L’image, la question de beauté, est un thème récurrent dans votre œuvre : croyez-vous qu’on finisse, un jour, par cesser de s’en préoccuper? Est-ce là l’objectif que vous souhaitez démontrer?   
Les échanges postaux, dans le roman, ancrent Léon, mon antihéros, dans un temps désuet, comme les films de la Nouvelle Vague que regarde son grand frère. La correspondance que Léon entretient avec Léonie est débalancée: si les lettres de l’ado sont banales et honnêtes, celles de son amie virtuelle sont extravagantes et hypertrophiées. Écrire, c’est mentir, c’est enjoliver, et la correspondante de Léon l’a bien compris. Quant à la question de la beauté, ce thème me semble à la fois inépuisable et viscéral. Je l’aborde souvent de manière plus frontale. Ici, il y paraît davantage en filigrane, au profit d’une quête identitaire plus large. Cesser de se préoccuper de la beauté? J’en doute fort, et je me surprends à y voir du bien aussi, dans cette préoccupation malheureuse. La banalité physique de Léon le pousse à se dépasser autrement, comme ce fut mon cas quand j’avais son âge.

Votre roman est parsemé de références littéraires ou cinématographiques, notamment au cinéma de la Nouvelle Vague. Qu’est-ce qui vous anime dans ce genre cinématographique en particulier?
D’emblée, je dirais le radicalisme. On dit qu’aucun réalisateur moderne n’a brisé autant de tabous cinématographiques que Godard. Il a déconstruit la structure narrative classique et mêlé les genres. Ce foisonnement résonne en moi et a teinté le roman et les personnages. Toutefois, Truffaut, autre figure de proue de la Nouvelle Vague, a été l’inspiration majeure pour mon histoire, en particulier pour son ménage à trois Jules et Jim. Il s’en dégage une fausse légèreté et il fait jaillir un grand rire triste. Ce que charrie, j’ose le croire, mon propre livre. Et je dois aussi dire que dans ce chef-d’œuvre de Truffaut, la suave Jeanne Moreau a su marquer mon imaginaire. Et pas que par son sourire à l’envers!

Jeanne Moreau a le sourire à l’envers touche également à la thématique de l’anorexie vécue non pas par une jeune fille, mais pas un jeune homme, soit le grand frère du narrateur. Croyez-vous que l’anorexie, au final, est vécue de la même façon par tous, que ce soit une fille ou un garçon qui en souffre?
Je préfère le voir autrement que par le biais du sexe. Je vois un être humain qui souffre, qui ne s’aime pas. Qui veut passer le plus inaperçu possible. Point. L’envie de demeurer petit, malingre, de ne pas rentrer dans la vie avec l’ampleur d’un truck, ce n’est pas qu’une préoccupation d’adolescentes.

Pour approfondir :
Une entrevue avec Simon Boulerice, lors de la parution de Jeanne Moreau a le sourire à l’envers : c’est ici!

 

Seule contre moi
Geneviève Piché, Québec Amérique


C’est dans les profondeurs d’un récit intimiste, troublant, que nous convie Geneviève Piché en plongeant au cœur d’une guerre que se mène à elle-même une jeune fille de 14 ans : l’anorexie. Seule contre moi est une histoire tout en fluidité sur l’extrême solitude vécue par la protagoniste. Un roman qui jette un éclairage, sans jugement, sur ce trouble trop fréquent.  

Quelques questions à Geneviève Piché :

De quelle façon êtes-vous arrivée à traiter de l’anorexie pour que le roman soit plus lumineux que sombre, plus intimiste que moralisateur?
Écrire au plus près de soi n’a pas été facile. À un certain moment, Charlotte Gingras, qui a parrainé mon projet d’écriture, m’a dit : « J’ai l’impression que tu regardes ton héroïne à distance. » Je ne l’ai pas admis tout de suite, mais elle avait raison! Il m’a fallu véritablement plonger à nouveau, revivre les émotions que j’avais vécues adolescente au temps de mon anorexie pour donner à mon roman un ton juste. La lumière est venue par touches successives. Quand mon regard adulte s’est progressivement teinté de tendresse pour cette jeune fille, j’ai pu percevoir la lumière qui émanait de cette expérience douloureuse.

En quoi est-il important selon vous que la littérature jeunesse aborde des sujets délicats tels que l’anorexie?
La littérature peut créer des ponts vers l’autre. Permettre à un jeune ou à un adulte de comprendre une réalité aussi troublante que l’anorexie fait tomber les préjugés, incite à plus de tolérance.

Pourquoi aimez-vous écrire pour un lectorat jeunesse?
Les enfants me touchent profondément. J’ai choisi, il y a plus de vingt ans, d’enseigner au primaire. Depuis, je me passionne pour la littérature jeunesse. C’est elle qui nourrit mon enseignement, m’aide à me renouveler et me permet d’aborder en classe une infinité de sujets. Il était tout naturel pour moi d’entrer en écriture par cette porte.

 

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