À chaque édition de la revue Les libraires, nous vous proposons une sélection de livres qui se glissent facilement dans votre poche. Petit prix et petit format, certes, mais de grandes découvertes et de belles plumes!

L’année la plus longue
Daniel Grenier, BQ, 416 p., 18,95$
Finaliste aux GG, au Prix des libraires, au prix France-Québec et lauréat du Prix des collégiens : voilà quelques arguments pour vous convaincre de plonger dans cet époustouflant roman, le premier de l’auteur et traducteur Daniel Grenier. Thomas, l’un de ses deux personnages principaux, est né, comme son grand-père, un 29 février. Grâce à la magie de la littérature, il ne vieillit que tous les quatre ans. Après avoir cheminé avec Thomas autour de cet étrange ralentissement de son existence, le lecteur plongera dans la vie d’Aimé, son aïeul qui aurait 226 ans (ou 56?). À ses côtés, on parcourt alors à la fois les siècles et les frontières, les routes et les époques. Grenier invite le lecteur dans un univers foisonnant où l’on revit la capitulation des Autochtones autant que le 11 septembre, le combat des Afro-Américains pour leurs droits ainsi que la prise de Québec par la couronne anglaise. Ingénieux.

Le bal des absentes
Julie Boulanger et Amélie Paquet, BQ, 296 p., 16,95$
« La prise de parole des femmes est devenue pour nous une obsession parce que nous savions qu’elles, en particulier, avaient été dressées à s’effacer », lit-on dans le préambule de cet ouvrage inspirant et essentiel qui rend hommage à la littérature et à l’enseignement. Les deux professeures de littérature au cégep ont donc entrepris de mettre en lumière (d’abord sur un blogue) le travail des écrivaines, souvent oubliées ou négligées — voire invisibles — dans le corpus littéraire. Elles proposent d’en (re)découvrir plusieurs d’ici ou d’ailleurs allant de Gabrielle Roy à Anaïs Barbeau-Lavalette, en passant par Simone de Beauvoir, Sylvia Plath, Nelly Arcan, Virginie Despentes, Marie-Claire Blais et Olympe de Gouges. Trois nouveaux textes ont été ajoutés dans cette réédition, dont un sur Naomi Fontaine. Ce livre de référence témoigne de la nécessité d’enseigner et de lire les œuvres des femmes.

Les filles d’Égalie
Gerd Brantenberg (trad. Jean-Baptiste Coursaud), Zulma, 432 p., 23,95$
Voilà un livre culte, en Norvège, qui, en quarante ans, n’avait encore jamais été traduit en français avant que Zulma n’y mette la main. Et s’il est culte, c’est qu’il renverse totalement les codes sociaux, ceux du système comme ceux de la langue, en proposant une utopie matriarcale où les hommes sont au foyer alors que les femmes œuvrent pour le bon maintien de l’État et où les jeunes garçons, à 15 ans, doivent se rendre au « bal des débutants ». Pour Pétronius, adolescent en marge des critères de beauté, c’est trop : il n’en peut plus de cette condition d’homme-objet. Arrivera-t-il à renverser les normes dans cet Égalie où « elle » fait bon vivre? Ce roman écrit avec humour offre un miroir déformant qui accentue les inégalités actuelles. « Plonger dans ce livre remet en perspective tous nos acquis et bouscule les conceptions. C’est rafraîchissant, finement élaboré, provocateur », en a dit la libraire Chantal Fontaine.

Le mariage de mon père
India Desjardins, Québec Amérique, 32 p., 4,95$
« Demain, mon père se marie avec la femme pour qui il a laissé ma mère. Et je n’y peux rien. » Dans cette courte nouvelle (au prix proportionnel), India Desjardins nous invite à suivre Zoé, le jour du mariage de son père. La tempête d’émotions qui sévit en elle est grande, et les mots sont difficiles à trouver pour celle qui est déchirée entre son incompréhension, sa tristesse, son ennui, son désir d’une famille unie. C’est une histoire touchante qui ne fait pas la morale ; l’histoire d’une ado qui aurait préféré être à un party avec ses amis plutôt qu’assister à une telle cérémonie, l’histoire d’une fille qui, malgré tout, aime profondément son père.

 

Stöld
Ann-Helén Laestadius (trad. Anna Postel), 10/18, 528 p., 18,95$
Ce premier roman, couronné du prix du livre de l’année en Suède, en est un noir, puissant, qui nous plonge en Suède, au cœur du froid et de la xénophobie. L’autrice le fait brillamment en nous immergeant dans un monde glacé et de grands espaces, en plein cœur du peuple sami, essentiellement des éleveurs de rennes, qui subissent de la discrimination sous forme de violences verbales, mais aussi physiques envers les animaux, perpétuées par le peuple « blanc ». L’histoire commence alors que la narratrice, jeune Sami de 9 ans, assiste à des atrocités sur lesquelles on la somme de fermer les yeux et de ne jamais rien dire au risque de sa vie. Dix ans plus tard, on la retrouve, toujours dévastée de voir que les autorités ne font rien contre les barbaries qui ont cours, mais prête à mener son combat pour que justice soit rendue. On plonge également au cœur du mode de vie des Samis, rythmé par les saisons ; un quotidien où la place des femmes est encore à faire cependant.

Où es-tu, monde admirable
Sally Rooney (trad. Laetitia Devaux), Points, 370 p., 17,95$
Après Normal People et Conversations entre amis — deux œuvres à succès adaptées en série télévisée —, Sally Rooney revient avec un roman dans l’air du temps sur les préoccupations et les désillusions contemporaines. Cette histoire met en lumière les relations amoureuses et amicales de quatre trentenaires qui cherchent leur place dans cette époque désenchantée. Il y a Alice, une romancière nouvellement installée dans un village isolé d’Irlande, qui se remet d’une dépression et qui rencontre Félix, sur un site de rencontre. Eileen, sa meilleure amie, travaille quant à elle pour un magazine littéraire à Dublin. Cette dernière renoue avec Simon, un ami d’enfance. Alice et Eileen, loin l’une de l’autre, s’écrivent des courriels pour se raconter leur vie, se confier et échanger sur divers sujets comme la politique, l’amour, l’amitié, le sexe ou l’argent.

Anne Hébert, vivre pour écrire
Marie-Andrée Lamontagne, Boréal, 560 p., 27,95$
Appuyée par une riche recherche (correspondances, notes, textes divers) et sur plus de soixante entrevues menées auprès de gens qui ont côtoyé l’autrice, la journaliste de renom Marie-Andrée Lamontagne nous entraîne notamment à la maison d’été d’Hébert, près de Québec — et près de son cousin Saint-Denys Garneau —, ainsi que dans différents lieux qu’elle a habités, jusqu’au bouillonnement culturel, l’éveil artistique, qu’elle vivra en France dès les années 1950. La biographe revient notamment sur la place de la mort et de la maladie : celle du père de l’autrice, mais aussi la tuberculose qu’on lui diagnostique faussement et qui la confinera des années durant dans sa chambre, et qui, selon Lamontagne, explique que la thématique de la mort se profile ici et là dans son œuvre. Fallait-il qu’Anne Hébert s’efface pour laisser toute place à son œuvre? Lamontagne illumine néanmoins ici des pans de sa vie demeurés longtemps mystérieux, dans une biographie d’envergure.

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