À chaque édition de la revue Les libraires, nous vous proposons une sélection de livres qui se glissent facilement dans votre poche. Petit prix et petit format, certes, mais de grandes découvertes et de belles plumes!

L’infini dans un roseau : L’invention des livres dans l’Antiquité
Irene Vallejo (trad. Anne Plantagenet), Le Livre de Poche, 670 p., 17,95$
L’humanité serait disposée à être enivrée, transportée, épatée par les histoires. Voilà ce qu’avance la philologue espagnole Irene Vallejo dans cette mosaïque d’épisodes historiques, narrés avec le talent d’une conteuse inégalée qui s’écarte de la chronologie pour laisser se déployer le fil rouge de son récit. Elle nous entraîne de l’Antiquité à la mégalomanie de Marc Antoine, qui a offert à Cléopâtre, pour conquérir son cœur, plus de 200 000 rouleaux de papyrus. Puis dans des histoires de censure, saugrenues ou non. Dans celle des premiers alphabets. Aussi dans l’élaboration des bibliothèques — où on lisait jadis à voix haute, l’inverse étant louche! —, dans l’évolution des idées, dans l’histoire de la lecture en tant que telle et dans ce qu’elle peut changer chez les individus. Étayé d’anecdotes personnelles tout à fait à propos et finement relatées, ce livre sur les livres est d’une immense richesse.

Paris-Briançon
Philippe Besson, Pocket, 198 p., 14,95$
Le romanesque huis clos que propose l’auteur rompu aux développements psychologiques et à la mise en mots des sentiments se déroule dans un train, entre la gare de Paris où montent des personnages — de tous âges et de tous milieux — et la ville de Briançon, petite commune à flanc de montagnes. Il offre ainsi des instants suspendus, volés au quotidien des dix personnages auxquels il s’attarde, le temps d’un trajet de nuit serpentant entre les paysages naturels sinueux et vallonnés. Avec ce roman choral, qui fait les bonnes grâces aux hasards de la vie, Besson s’écarte de sa bibliographie et amorce un tournant vers un roman à suspense (bien que tout à fait à sa place en étant classé dans la littérature blanche). C’est que, dès la seconde page, il annonce à ses lecteurs que parmi les passagers « certains seront morts au lever du jour »…

L’incendiaire de Sudbury
Chloé LaDuchesse, Héliotrope, 246 p., 18,95$
Après avoir fui une relation toxique à Montréal, Emmanuelle se retrouve à Sudbury, où, en plus de se terrer, elle accumule les plans foireux et les lendemains de veille entre deux contrats de design Web. Lorsqu’elle réalise que son ex-amant, César — qui avait subitement cessé de la voir huit mois plus tôt et dont l’agenda vient de ressurgir —, est peut-être disparu, elle entreprend d’éclaircir cette histoire. Pendant ses recherches, elle fait des découvertes surprenantes en lien avec une étude clinique de la femme de César. D’autres disparitions pourraient-elles être liées à cette affaire? Auréolé d’une atmosphère mystérieuse, ce roman noir met en scène une faune bigarrée, des marginaux, des laissés-pour-compte et des magouilleurs. Même si Manu est plutôt un petit poisson parmi les gros, elle n’est pas non plus blanche comme neige.

Ligne brisée
Katherena Vermette (trad. Mélissa Verreault), Québec Amérique, 504 p., 18,95$
Gagnant du Combat des livres en 2018, ce livre puissant — et malheureusement criant d’actualité — dépeint l’injustice, le racisme systémique et la violence faite aux femmes autochtones, mais illustre également la résilience, la solidarité et la force de celles-ci. Ligne brisée raconte l’histoire d’une jeune métisse âgée de 13 ans, victime d’une violente agression. Ce drame horrible entraînera des répercussions dans toute la communauté du quartier North End de Winnipeg, allant de sa famille à ses amis qui se relaient à son chevet, en passant par les policiers chargés de l’enquête. Dans ce roman polyphonique, les voix des femmes résonnent, s’élèvent, se font écho et se révoltent, ensemble.

Aller aux fraises
Éric Plamondon, Le Quartanier, 112 p., 12,95$
Avec une délicate nostalgie, Éric Plamondon s’attarde sur les années phares où l’adolescence laisse place à une certaine maturité, cette période dont on ignore l’aspect éphémère au moment où on la vit, si excités de goûter à la liberté. Il nous entraîne dans sa ruralité, entre Donnacona et Thetford Mines, nous ramène à sa première blonde, à son bal, à ses soirées beaucoup trop arrosées. Dans la seconde nouvelle des trois qui composent ce livre, on se promène sur des routes gelées où des cendres doivent être déposées. On découvre sa relation au père, un homme au calme légendaire pour mieux masquer la dangerosité de ses colères, un homme amoureux des anecdotes échevelées. On parcourt les routes, les champs, aux côtés de cet écrivain habile qui cache bien souvent, entre deux phrases pourtant si simples en apparence, tout le sel d’une vie.

Solak
Caroline Hinault, Le Livre de Poche, 160 p., 14,95$
Dans ce premier roman dont l’écriture — tendue comme un arc et au vocabulaire qui frappe — est épatante, on plonge dans le froid d’une presqu’île au nord du cercle polaire où deux militaires et un scientifique cohabitent tant bien que mal. Lorsqu’arrive dans leur petit cercle un jeune soldat, qu’ils nomment « gamin », on sent que son mutisme — et la vodka ravitaillée au même moment — accentue la tension palpable. La nuit polaire qui s’abat et semble éternelle contribue également à ce que ce huis clos glaçant dévoile une violence latente. « Pour gagner, il ne faut pas vaincre la violence mais l’aimer. » Tous traînent leurs démons, leurs secrets. Et si certains remontent à bien loin, la marmite est prête à exploser sur cette blanche banquise qui ne saurait tarder à recevoir les éclaboussures de leurs noires pensées. Ce roman a été lauréat du Prix littéraire Québec-France Marie-Claire-Blais, du prix Michel-Lebrun et du Prix découverte Claude-Mesplède.

L’homme qui marchait sur la Lune
Howard McCord (trad. Jacques Mailhos), Alto, 136 p., 14,95$
L’auteur a été comparé à Jim Harrison et à Cormac McCarthy, pour la façon dont il dépeint, dans une mécanique noire implacable, l’ambiance pesante du quotidien d’un homme qui arpente, depuis cinq ans, les arides contrées d’une « montagne de nulle part », dite la Lune, située au Nevada, bien loin de toute présence humaine et de ce qui pourrait le ramener à la sauvagerie qui habite son cœur. Le suivent ses pensées et souvenirs, réels ou falsifiés, d’un passé obscur. Mais le suit aussi cet autre qui le poursuit… Avec une tension narrative constante, son cynisme à peine voilé et cette étrangeté manifeste, ce roman comme nul autre pareil a de quoi surprendre.

En route vers nowhere
Sophie Laurin, Hurtubise, 256 p., 12,95$
À l’été 2007, Sara et Sébastien partent de Montréal pour un road trip sans destination précise, avec le nouveau vieux char de Sébastien, un station-wagon vert baptisé Lucette. Pendant qu’ils roulent où le vent les mènera, dorment ici et là et se nourrissent mal, Sara se remémore des souvenirs : leur rencontre à 10 ans dans un camping, leurs retrouvailles quelques années plus tard au secondaire, les ambiguïtés et les rendez-vous manqués de leur histoire. Ce périple d’errance pourrait-il être l’occasion de voir autrement leur amitié? En route vers nowhere nous plonge dans la nostalgie tout en explorant les liens amoureux et amicaux — et les hésitations parfois entre les deux — à l’aube de la vingtaine, cette période enivrante remplie de promesses, mais aussi celle où on cherche son chemin.

La trajectoire des confettis
Marie-Ève Thuot, Les Herbes rouges, 680 p., 24,95$
Qu’arrive-t-il lorsqu’on laisse éclater les normes sociales? Lauréate du Prix des libraires 2020, Marie-Ève Thuot a été en lice également pour les prix français que sont le Flore, le Prix du Meilleur Roman Points et le Médicis avec ce roman choral qui interroge la forme bigarrée des relations amoureuses et sexuelles. Multipliant les personnages (barman qui fait vœu de chasteté, adolescent amoureux de sa tante, pasteur aux goûts littéraires hors normes, etc.), les époques et, incidemment, les points de vue, ce roman à l’architecture époustouflante a ceci de particulier qu’il sait instiguer un suspense certain dans une immense fresque pleine de mystères dévoilés petit à petit. On y aborde avec une adresse flamboyante cette fine limite entre le tabou et l’envie, entre la norme et l’inhabituel.

La plus secrète mémoire des hommes
Mohamed Mbougar Sarr, Le Livre de Poche, 576 p., 16,95$
Avec ce livre, véritable hommage aux nécessités de vivre et d’écrire, l’écrivain sénégalais a remporté le Goncourt et le prix Transfuge. Les critiques avaient déjà salué son audace, l’intransigeance de sa langue ainsi que son inventivité; sa nomination à plus de dix prix prestigieux confirme d’ailleurs son talent. La plus secrète mémoire des hommes raconte l’histoire d’un jeune écrivain sénégalais installé à Paris qui est fasciné par un livre, intitulé Le labyrinthe de l’inhumain, paru en 1938 et dont l’auteur s’est volatilisé à la suite de la parution de son texte, qui déclencha un scandale. L’écrivain fictif de Sarr suivra la trace de cet homme, passant par le Sénégal, la France et l’Argentine, et se frottera aux tragédies engendrées par le colonialisme et la Shoah. « Véritable tour de force, La plus secrète mémoire des hommes fait partie de ces livres miroir qui nous regardent, nous observent, nous révèlent à nous-mêmes par leur adéquation presque magique avec la vie », a écrit Elsa Pépin entre nos pages.

Indice des feux
Antoine Desjardins, BQ, 288 p., 14,95$
Lauréat du Prix du roman d’écologie en 2022, ce « recueil à couper le souffle », selon le libraire Philippe Fortin, comprend sept longues nouvelles qui explorent les angoisses contemporaines, les contrecoups du réchauffement climatique et les fragilités de l’humanité, de cette vie dont il faut prendre soin, de cet avenir incertain qu’il ne faut pas laisser péricliter. C’est empreint d’espoir et de beauté. Il y a notamment un adolescent atteint de leucémie se morfondant à l’hôpital pendant que les uns et les autres s’inquiètent de la pluie qui ne cesse de tomber; un couple affecté par la disparition des baleines noires; un homme imbibé d’alcool se retrouvant face à un coyote en ville et un homme qui observe son frère prendre un autre chemin, hors des sentiers battus.

Aquariums
J. D. Kurtness, L’instant même, 202 p., 15,95$
Après De vengeance, J. D. Kurtness flirte avec le roman d’anticipation grâce à un récit campé dans un avenir proche. Une biologiste québécoise, spécialiste des écosystèmes marins, participe à une expédition dans l’Arctique, rassemblant des collègues scientifiques de la planète. Pendant leur périple, un virus élimine presque l’entièreté de l’humanité. Alors que les membres de cet équipage sont isolés, impuissants et angoissés, la narratrice se remémore son enfance, l’histoire de sa famille, sa vie, jusqu’à ce voyage, l’amenant à vivre en dehors du monde. Même si le monde se meurt, le cœur du roman n’est pas cette pandémie, c’est plutôt une histoire de science, d’environnement, d’humanité et de filiation, parsemée d’humour.

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