D&Q ou les choux gras du Graphic Novel !

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Qu'ont en commun les auteurs Julie Doucet, Seth, Chester Brown, Joe Matt, James Sturm, Jason Lutes, Adrian Tomine, Debbie Drechsler, Dylan Horrocks et Joe Sacco ? Tous ont vu leurs albums édités en premier lieu par Drawn & Quarterly, cet éditeur anglophone basé à Montréal, qui remporte depuis quelques années tous les suffrages chez les éditeurs européens en mal de matériel étranger à adapter : ceux-ci s'arrachent les droits pour la traduction de ces ouvrages dans leurs collections respectives de romans graphiques* !

En effet, la quasi-totalité de ce catalogue se retrouve en français chez Delcourt ou aux Humanoïdes Associés, chez Casterman ou au Seuil, ou encore à l’Association. Peut-on parler d’un parcours sans faille pour le directeur Chris Oliveros, l’esthète et découvreur de talents derrière ce qui a largement contribué à définir le Graphic Novel tel que nous le connaissons aujourd’hui ? La rentrée nous offre deux nouveaux titres dignes d’intérêt qui viennent confirmer cet inépuisable filon : Louis Riel, l’insurgé, de Chester Brown, et The Summer of Love, de Debbie Drechsler.

Chester Brown, qui a vu ses chroniques douces-amères d’une adolescence châteauguoise (Je ne t’ai jamais aimé, Le Playboy) publiées par l’éditeur québécois Zone convective, est l’une des têtes d’affiche de la rentrée avec son époustouflante biographie de Louis Riel, éditée dans la superbe collection « Écritures » du géant européen Casterman. Louis Riel, l’insurgé raconte le destin tragique du métis Riel, bien décidé à donner à la colonie de la rivière Rouge une autonomie décisionnelle vis-à-vis des fantasmes fédérateurs de John A. Macdonald. À l’origine de la dénomination de la province du Manitoba, Riel, sa tête mise à prix, deviendra un homme traqué, persona non grata dans son propre pays, contraint de se réfugier aux États-Unis et de se cacher toute sa vie. Avec un style minimaliste très efficace, Brown trace un portrait nuancé d’un peuple francophone minoritaire aux prises avec l’hégémonie anglophone au XIXe siècle. Il va sans dire qu’on échappe difficilement au sentiment certain de rage indépendantiste que provoque cette lecture…

À la suite à son troublant premier album à la thématique incestueuse (Daddy’s Girl, L’Association), Debbie Drechsler relate sous mode semi-autobiographique les déboires de Lily, une jeune adolescence dont la famille déménage à Woodland, petite ville anonyme de la côte est des États-Unis. Alors qu’elle cherche à se lier avec les jeunes de son quartier, elle découvre peu à peu les difficultés à développer des relations sincères et réciproques, à un âge ou le paraître règne en roi et maître. À l’aide d’une savante et surprenante bichromie verte et brune, Drechsler dépeint avec acuité une imagerie adolescente sensuelle et plastique. Sous la légèreté apparente, l’âpreté du récit et la justesse du ton nous touchent.

Le prochain titre à surveiller sera sans conteste l’adaptation au Seuil du 32 Stories d’Adrian Tomine, chantre de l’excellent Summer Blonde paru à même enseigne l’année dernière. Ce nouvel opus confirme le talent singulier de l’auteur lorsqu’il décrit de jeunes Américains cyniques, en perte de repères devant la vacuité sociale.

En somme, Drawn & Quarterly, également traducteur anglophone des incontournables récits du Paul de Michel Rabagliati, explore la veine de l’aventure humaine, avec à l’appui une gamme d’auteurs alliant des styles personnels faits de graphismes sensibles ou ambigus, tout comme l’âme humaine qu’ils cherchent à raconter…

Bibliographie :
Louis Riel, l’insurgé, Chester Brown, Casterman, coll. Écritures
Summer of Love, Debbie Drechsler, L’Association, coll. Ciboulette
www.drawnandquaterly.com

* Terme utilisé pour décrire une BD habituellement longue et en noir et blanc, dont le ton est inclassable et qui s’affranchit de certaines règles établies.
Son lectorat est la plupart du temps adulte.

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