Jonas Jonasson: L’absurde et les bombes atomiques

27
Publicité

Après avoir traversé l’histoire de l’Europe et de l’Asie au XXe siècle en compagnie d’Allan Karlsson, un vieillard excentrique accro à la vodka, à la rigolade et aux explosifs dans son désopilant Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, le Suédois Jonas Jonasson se concentre sur l’Afrique du Sud dans son nouveau roman L’analphabète qui savait compter.

Un choix qui n’a rien d’étrange quand on sait que l’auteur a un lien particulier avec ce pays qu’il a visité plusieurs fois et où habitent son meilleur ami et son filleul. « Lors d’un de mes nombreux voyages là-bas, j’ai réalisé que, dans les années 70 et 80, deux des idées les plus stupides de l’histoire y coexistaient : l’apartheid et la construction d’armes de destruction massives », commente Jonasson. « Peut-être que je suis inspiré par les limitations de l’espèce humaine. »

Installez-vous dans votre canapé le plus confortable et suivez donc Nombeko, jeune analphabète noire chargée de vider les latrines du plus grand ghetto d’Afrique du Sud. Nombeko ne sait pas lire, certes, mais elle compte remarquablement bien et elle apprend vite. Petit à petit, elle gravit les échelons d’une société qui la condamne à rester dans les bas-fonds. Et la vie suit plus ou moins son cours jusqu’à ce que la jeune fille se fasse renverser sur un trottoir par un ingénieur nucléaire saoul et qu’elle écope de sept ans de travaux forcés chez ce même ingénieur pour réparation des dommages!

Et ce n’est que le début des aventures de Nombeko. Sans trop vendre la mèche de peur de vous gâcher le plaisir, sachez que, dans la suite de son histoire, vous trouverez en vrac : des diamants bruts, de la viande d’antilope, des bombes nucléaires, des agents du Mossad, des faussaires chinoises, un fanatique de la démocratie, le roi et le premier ministre de Suède, et bien d’autres personnages hauts en couleur. C’est rocambolesque, souvent absurde et bourré d’humour, malgré le sérieux du thème et les incessants coups durs que subissent les personnages. Les amateurs du premier roman de Jonasson ne seront pas dépaysés.

Jonasson écrit, de son propre aveu, des feel good books, littéralement « des livres qui font du bien ». « Et je crois que je continuerai dans cette veine, explique-t-il. Le monde est gris, mais après avoir lu un de mes livres, si le monde reste gris, il l’est un peu moins, on y voit quelques couleurs vives. Au final, mon but est de vous faire sourire. »

L’humour partout, l’humour comme remède à la mélancolie, c’est la recette que prône Jonasson, dont les personnages principaux, que ce soit le vieillard Allan ou l’analphabète Nombeko, sont d’éternels optimistes. « C’est ce qui m’inspire le plus chez mes personnages. J’envie leur absence de chagrin. Je me fais trop de souci. Parfois, ces personnages, Allan en particulier, viennent s’asseoir sur mon épaule et me soutiennent. Si je m’inquiète par exemple de rater mon avion, Allan vient me dire “Ne t’en fais pas, tu vas l’avoir. Et si tu le manques, il y en aura un prochain.” »

L’humour, aussi, comme condition sine qua non à la résolution des conflits. Jonasson ouvre la sixième partie de L’analphabète qui savait compter avec cette citation de l’Israélien Amos Oz : « Je n’ai jamais rencontré un fanatique ayant le sens de l’humour ». « Je suis totalement d’accord avec lui », indique l’auteur suédois. « Dans mon premier livre, il y a une séquence qui me rappelle Amos Oz où Allan interrompt une dispute. Il explique que toutes les disputes sont des variations sur le thème de “C’est toi l’idiot. Non, c’est toi l’idiot!”, ce qui est parfaitement stérile. Selon lui, il vaut mieux s’asseoir et partager une bouteille de vodka. On lui demande si ça marcherait dans le cas d’Israël et de la Palestine. Et il répond : “Dans ce cas, il faudra probablement plus d’une bouteille.” »

 

100 ans, une paire de charentaises et 6 millions de lecteurs

Le premier livre du Suédois, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, s’est vendu à près de six millions d’exemplaires dans le monde, soit 5 997 000 de plus que le but anticipé par son auteur : « Je voulais en vendre 3 000 afin que la maison d’édition me demande d’en écrire un autre, explique-t-il. Durant des années, j’ai travaillé sur ce livre pendant mon temps libre. Et puis, j’ai fait un burn-out à la suite duquel j’ai vendu mon entreprise. J’ai eu un enfant, retrouvé la santé, me suis trouvé libéré des soucis financiers. Mais j’ai tout à coup réalisé que je n’étais plus personne, je n’avais plus d’identité. En Orient, la première question qu’on te pose c’est “Combien d’enfants as-tu?” En Occident, c’est “Que fais-tu dans la vie?” Un jour, à cette époque je vivais à la frontière italo-suisse, on m’a posé cette question et j’ai répondu “Je suis écrivain”. Et on m’a demandé si j’étais traduit en italien. J’ai dû dire que je n’étais même pas publié. Je suis passé en quelques secondes de héros à clown. »

Cette histoire d’un centenaire qui décide de fuir en charentaises par la fenêtre de sa maison de retraite, que l’auteur voulait voir publiée pour avoir la simple satisfaction de répondre « Je suis écrivain » à son voisin, a séduit des millions de lectrices et de lecteurs. Pour Jonasson, « beaucoup de lecteurs sont sortis eux aussi par la fenêtre, en accompagnant Allan, et sont partis loin de tout pendant 386 pages. Et quand ils sont revenus, ils ont vu que la réalité, ce n’était pas si mal après tout. »

Allan a traversé l’histoire du XXe siècle un peu à la manière d’un Forrest Gump dont l’humour et la joie de vivre auraient remplacé le mélodrame. Comme Forrest, il se retrouve par hasard au centre d’événements historiques majeurs, sans jamais se rendre compte de ce qui se joue, sans jamais s’en soucier non plus. Et comme le livre de Winston Groom, dont l’adaptation offrira à Tom Hanks un de ses meilleurs rôles, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire possède des qualités cinématographiques indéniables. L’adaptation, réalisée par Felix Herngren, sortira en Suède à Noël.

Publicité