Lire est une activité qui devient souvent solitaire à l’âge adulte. On a beau partager sur nos lectures, échanger des coups de cœur, on est généralement seul au moment de se plonger dans les mots – chaque expérience de lecture étant personnelle, intimement liée à ce que nous sommes, à chacun de nous. Mais la lecture à l’enfance est associée à autre chose. C’est un moment partagé entre l’auteur, l’illustrateur et le lecteur, mais aussi entre l’enfant et celui qui lui fait la lecture. Et en ce moment de l’année où le froid s’installe, la lecture sous une couette, dans un endroit bien chaud, avec des livres savoureux, offre des expériences marquantes qui créeront des lecteurs futurs. Voici donc quelques perles de l’automne à partager pour s’offrir une douceur, s’émerveiller et réfléchir.

D’abord, la lecture du magnifique Henry, paru chez D’eux, album d’une grande tendresse, qui invite le jeune enfant à s’immerger complètement dans ce récit portrait où le narrateur nous parle d’Henry, le cheval du laitier, pour qui il a tant d’admiration. Tant dans le choix des mots que dans les illustrations, cet album transpire la tendresse, l’admiration et permet aux enfants de reconnaître cet amour immense qu’ils éprouvent pour les premiers animaux qu’ils connaissent. Tout y est doux, de la couleur choisie pour écrire les mots d’Ed Galing aux lignes d’Erin E. Stead en passant par ces points quasi absents, comme si le récit n’était raconté qu’en un seul souffle. On a envie de caresser le papier, comme si, par magie, Henry était vraiment là.

Il y a aussi une grande douceur dans Le bateau aux bois majestueux de Dashka Slater, illustré par les frères Fan. Marco le renard se pose beaucoup de questions : « Pourquoi certaines chansons nous rendent-elles heureux et d’autres, tristes? Pourquoi les arbres ne parlent-ils pas? Jusqu’où le soleil s’enfonce-t-il lorsqu’il plonge dans la mer? » Et comme aucun autre renard ne se pose ces questions – après tout, qu’est-ce que ces interrogations ont à voir avec le ragoût de lapin? –, Marco part chercher des réponses sur un grand bateau de bois qui vient d’accoster, avec un cerf comme commandant, des moineaux comme copains. En chemin, ils devront résoudre des questions pragmatiques – Comment naviguer? Comment survivre aux tempêtes, aux pirates? –, mais ils découvriront aussi des réponses plus philosophiques… Rêveuses, les illustrations réalisées au crayon et au stylo par les frères Fan donnent un aspect vieillot qui sied à merveille au récit et lui donnent une touche de classicisme. C’est un livre de saison, qui se lit parfaitement au coin du feu et laisse songeur.

Geneviève Després travaille aussi avec les crayons de bois pour accompagner le texte de Marie-Francine Hébert dans Dépareillés, paru aux éditions de la Bagnole. On est ici dans un récit beaucoup plus près du quotidien, dans lequel les jeunes lecteurs pourront se reconnaître. L’auteure parle de différence et du rejet de celle-ci, avec un Léo qui fait des gros yeux quand quelqu’un ose prendre la défense de Rose, celle qui met toujours des bas dépareillés parce qu’elle « préfère se balader pieds nus » et sème ses chaussettes au gré du vent. Mais voilà, Blanche a une idée extraordinaire qui pourrait bien rendre le sourire à son amie, une idée qui parlera aux enfants, leur fera comprendre de l’importance d’aider les autres, même par des petits gestes qui peuvent tout changer. À côté du texte, ce crayon de bois, toujours, donne une grande douceur aux illustrations et permet de rendre toute la force de cette amitié que Blanche ressent pour Rose.  

Chez Comme des géants, on change de technique et on s’émerveille avec le magnifique album La feuille d’or, qui offre un récit fort porté par des illustrations impressionnantes, mais surtout un traitement du papier extraordinaire. Parce que la feuille d’or du titre se retrouve dans le livre, bien dorée, attirante, si bien que l’enfant ressent lui aussi l’émerveillement des animaux lorsqu’ils la voient pour la première fois. L’émerveillement et… le désir de possession. C’est ainsi qu’elle passe de la fauvette au tamia, à la souris, au cerf, au renard… perdant des éclats chaque fois, jusqu’à disparaître avec sa beauté. Immersive, l’expérience permet au lecteur de comprendre ce manque soudain. Oui, il y a toutes les autres couleurs, mais ce doré… reviendra-t-il?

Finalement, on s’émerveille aussi aux 400 coups grâce à l’ingéniosité de Rodolfo Walsh et d’Inés Calveiro qui ont fabriqué un véritable casse-tête avec cette enquête à propos de quatre Portugais. Enfin… trois. « Le premier Portugais était grand et élancé. Le deuxième Portugais était petit et gros. Le troisième Portugais était de taille moyenne. Le quatrième Portugais était mort. »

Qui l’a tué? Dépêché sur les lieux, l’enquêteur Daniel Hernández pose des questions. Plein de questions. Certaines qui semblent logiques, d’autres qui pourraient n’avoir aucun sens. Et pourtant, la solution vient des réponses… que le lecteur attentif peut analyser en même temps qu’il fait la lecture pour trouver le coupable avant Hernández. Attention, tout est dans les détails! À côté du texte efficace, les illustrations contribuent à créer l’atmosphère du récit : un collage en noir et blanc, la plupart du temps avec juste une touche de jaune pour l’enseigne du taxi, le rouge du parapluie et quelques rappels, un mélange de textures, de formes.

Que l’on choisisse la réflexion, la douceur ou l’émerveillement, le partage d’une lecture est un moment privilégié, essentiel pour les petits, et que l’on doit poursuivre avec les plus grands. Parce qu’on partage ainsi des surprises, des sourires, des moments marquants, des expériences de vie et que les classiques de notre enfance ont une place bien particulière dans nos souvenirs, contribuant à façonner l’adulte qu’on sera. Bonne lecture!

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