Guillaume Lambert est comédien, scénariste, cinéaste, auteur et grand lecteur. Il nous a fait rire dans l’émission à sketches Like-moi!, offert un ton plus intimiste avec ses romans Satyriasis (mes années romantiques) et Eschatologie (l’effondrement), publiés respectivement en 2015 et 2022, et présenté en tant qu’acteur et réalisateur les longs métrages Les scènes fortuites (2018) et Niagara (2022). Quant à sa carrière de lecteur, il l’a commencée tôt dans l’enfance et il lui est resté jusqu’à ce jour toujours fidèle.

Quand on demande aux gens quelle place prend la lecture dans leur vie, la plupart répondent en termes de temps, lui attribuant plusieurs heures par semaine ou alors lui consacrant moins d’espace qu’ils le voudraient. Guillaume Lambert, lui, entend la question tout autrement. « La lecture prend une place très douce, tranquille, sereine, c’est un moment d’arrêt pour moi, répond l’acteur et écrivain. J’ai un petit coin, à côté de ma bibliothèque, avec plein de plantes, c’est là que je lis. » Un espace que l’on définirait presque de cérémonial où l’on s’installe et se prépare à être disponible, à laisser son esprit ouvert à tout vent.

Les ascendances salutaires
Depuis qu’il est en âge de lire, Guillaume Lambert n’a pas manqué d’en profiter. De ses premières bandes dessinées, Garfield, Astérix, Léonard, il est ensuite passé aux romans des éditions la courte échelle et Frissons, ces derniers le conduisant naturellement vers Agatha Christie et Stephen King, auteur qu’il fréquentait déjà à l’âge de 11 ans. Une fois adulte, il n’a pas vu son enthousiasme diminuer.

Parmi tous les livres qui se sont succédé, Écrire de Marguerite Duras fut certainement un des plus importants. « Ça m’a bouleversé, la simplicité de sa plume, sa modernité, raconte l’interviewé. Évidemment, ça parle de son rapport à l’écriture, et moi, ça m’a vraiment influencé à écrire. » Duras y exprime entre autres le nécessaire et redoutable retranchement de celui ou celle qui écrit. « Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l’écriture vous sauvera. » Se mettre en péril, risquer l’isolement pour voir naître des histoires et des personnages qui iront habiter les cœurs et les cerveaux des gens. Par le truchement du verbe, enfin se joindre, s’unir, se lier.

Guillaume Lambert apprécie les langues qui usent de sincérité et présentent une approche humaine, authentique. Simone de Beauvoir et sa Femme rompue fait partie de celles-là. Du côté québécois, grâce au franc-jeu et à la sensibilité des livres de Nelly Arcan, ceux-ci s’assurent une place de choix dans sa bibliothèque. Elles aussi ont grandement compté dans l’écriture de notre invité. « J’ai l’impression que la littérature se construit ainsi, qu’un auteur quelque part écrit quelque chose et qu’un autre auteur quelque part lui répond. » Ses premiers élans de création dans le domaine de l’écriture, car c’est de cette manière qu’il le nomme, une « pulsion » inattendue, il les doit à ces femmes dont les phrases ont tant résonné qu’il a lui-même ressenti le besoin d’ajouter sa parole à la leur. Et si les images, croit le cinéaste, contiennent également leur force d’évocation, parfois les mots sont à tel point chargés qu’il faut les laisser parler tout seuls sans autre intervention. Cette « intimité », telle qu’il l’appelle, cette conversation entre l’auteur et le lecteur, favorise une qualité d’attention particulière. Nombre de fois nous avons entendu une personne mentionner avoir l’impression qu’un livre a été écrit pour elle. C’est ce rapprochement et cette communauté de consciences qui donnent le véritable sens au littéraire.

Tout embrasser
Arpenter les rayons d’une librairie — il visite surtout Livresse près de chez lui sur la rue Notre-Dame — procure un grand plaisir à Guillaume Lambert. Il peut vous conseiller à peu près tous les genres, étant lui-même curieux et possédant des goûts éclectiques. « Il faut dire que je lis tout, dans l’ordre et dans le désordre », précise-t-il, et il n’hésite pas à déposer un livre, à en commencer un autre, pour ensuite revenir au précédent et ainsi de suite. Dernièrement, il a craqué pour La fille d’elle-même de Gabrielle Boulianne-Tremblay, un roman sur le parcours identitaire d’une jeune femme trans, lauréat du Prix des libraires du Québec en 2022. « Je me rends compte que je ne suis pas celle que l’on attendait et que toute ma vie, je porterai ce fardeau d’être une surprise, une déception. » Il affirme avoir été conquis par la pièce de théâtre Combattre le why-why de son amie Rébecca Déraspe, un monologue drôle et brillant sur notre relation au monde, parfois étrange, et sur notre droit fondamental à l’imperfection. Il apprécie aussi les nouvelles plumes, par exemple celle de David Cloutier qui soumet un premier livre avec La vie fabuleuse des gens fabuleux, exposant, par le biais d’une narration à trois voix, les questions et les doutes qui assaillent les différents personnages.

Notre libraire d’un jour parcourt avec une grande attention la bande dessinée René Lévesque : Quelque chose comme un grand homme, créée collectivement, chaque artiste apportant sa touche personnelle et sa vision de l’homme qui, à travers ses réalisations et ses convictions, a marqué profondément le Québec. Poursuivant avec la BD, il nous propose Le film de Sarah de Caroline Lavergne, qui s’est rendue dans le Nord québécois afin de suivre le tournage du film Nouveau-Québec. Avec ses crayons, l’artiste illustre de façon personnelle l’aventure vécue en terre innue et naskapie. Comme le septième art intéresse bien sûr le scénariste et réalisateur, le livre Le Québec au cinéma du chroniqueur Michel Coulombe se hisse ces temps-ci sur les premiers échelons de son palmarès.

On le remarque aisément en discutant avec notre invité, la littérature porte en elle-même mille et une raisons d’être et, selon le comédien, l’une d’entre elles consiste à réfléchir notre société. « De mon côté, ce que j’essaie de faire, c’est de synthétiser l’époque dans laquelle on vit, explique-t-il. De la transposer en fiction parce que je crois que celle-ci a une mission cathartique, c’est-à-dire de faire vivre quelque chose par procuration. » Guillaume Lambert, qu’il soit auteur ou qu’il endosse plutôt le rôle de lecteur, aime la compagnie des mots et ce qu’ils permettent de comprendre ou d’imaginer.

Photo : © Justine Latour

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