À chaque édition de la revue Les libraires, nous vous proposons une sélection de livres qui se glissent facilement dans votre poche. Petit prix et petit format, certes, mais de grandes découvertes et de belles plumes!

Ce matin, un lapin…
Antti Tuomainen (trad. Anne Colin du Terrail), 10/18, 384 p., 16,95$
Ce roman qui nous vient de Finlande joue avec les codes du roman noir et du thriller, en instiguant des contrastes réussis sur le plan de l’histoire, laquelle, pour sa part, offre un succulent dosage d’humour noir bien tassé. On y rencontre Henry, un mathématicien actuaire tout ce qu’il y a de plus cartésien, voire psychorigide, qui hérite du parc d’amusement (et non d’attractions, la nuance l’importe hautement!) de son défunt frère. Mais voilà : les chiffres ne balancent pas, il y a anguille sous roche. Lorsqu’Henry voit débarquer dans son bureau deux individus louches, il comprend que rien de rationnel n’a dû pousser son frère à faire affaire avec ces voyous dont les taux d’intérêt frôlent — il a fait le calcul mental en quelques secondes à peine — les 600%. Les mésaventures qui s’ensuivront, dans cette ambiance euphorisante de cris de joie d’enfants et pourtant mâtinée de dangers, entraîneront le lecteur dans un roman fort original, aux côtés de personnages bien campés. Oh, et dès les premières pages, on nous apprend qu’un lapin géant a tué un méchant… de quoi capter l’attention, non?

Adultère
Yves Ravey, Minuit, 144 p., 15,95$
Fidèle à son habitude, Yves Ravey ne fait pas dans la fioriture et ne donne au lecteur que les mots, simples et pourtant ô combien porteurs, nécessaires à esquisser son histoire. Et son histoire, c’est ici un thriller psychologique où nous sommes dans la tête de Jean Seghers. Propriétaire d’une station-service en faillite, il est incapable de payer son veilleur de nuit qui lui met de la pression, et est convaincu que sa femme entretient une liaison avec le président du tribunal de commerce, un ami à lui du lycée qui, de surcroît, veut racheter son garage. Une situation explosive pour celui pour qui il ne semble rester que les grands moyens à emprunter et qui commettra un crime imparfait. Et c’est là que Ravey ravit, c’est là que l’auteur met tout en œuvre pour épater son lecteur. Il faut, dans sa vie, avoir lu un Yves Ravey pour avoir le bonheur de voir à l’œuvre un auteur qui peut aller si densément dans son personnage, tout en effleurant si peu sa psychologie.

La fin des hommes
Christina Sweeney-Baird (trad. Juliane Nivelt), Gallmeister, 480 p., 23,95$
Incroyable mais vrai : bien que ce premier roman de l’autrice britannique Christina Sweeney-Baird ait été écrit avant 2019, il relate en détail les événements qui ont mené à une pandémie avec un réalisme désarmant. Il ne s’agit cependant pas de la COVID, mais bien d’un étrange virus qui ne s’attaque qu’aux hommes, en 2025. Si les femmes peuvent en être porteuses tout en étant asymptomatiques, ce sont les hommes, dans une proportion de 90%, que cette pandémie tue… Comment, socialement, surmonter cette menace? Comment, humainement, voir les hommes de sa vie disparaître? Dans un roman polyphonique maîtrisé aux personnages animés par différentes motivations (de la médecin qui a traité le patient zéro et que personne n’a écoutée à la spécialiste en épidémiologie qui n’est placée à la table de concertation que comme simple pion politique), on replonge dans un monde qui doit trouver rapidement des solutions afin que l’humanité soit préservée. C’est fort bien mené.

À train perdu
Jocelyne Saucier, BQ, 280 p., 13,95$
« Introspectif et enlevant tout à la fois, À train perdu nous reconnecte à l’essentiel. Cette lecture, plus que n’importe quelle autre, s’impose comme un temps d’arrêt. Une halte dans le quotidien. » C’est en ces mots que la journaliste Catherine Genest avait conclu son entretien avec Jocelyne Saucier entre nos pages en 2020. Et c’est vrai, cette œuvre lumineuse est à savourer lentement, pour en saisir toute la beauté. Après l’incroyable succès de son roman Il pleuvait des oiseaux, l’écrivaine signe un autre roman envoûtant, empreint d’humanité et de mystère. Encore une fois, on y sonde la solitude, la liberté, la quête de sens, la vieillesse et on y croise des êtres discrets en marge du monde. Gladys, une dame âgée, a pris le train, puis un autre et ses proches ne savent plus où elle se trouve ni pourquoi elle a entrepris seule ce périple ferroviaire. Pourquoi a-t-elle quitté Swastika? Et pour aller où? Un homme, activiste des chemins de fer, essaie de découvrir les secrets de Gladys et de son errance.

La république du bonheur
Ito Ogawa (trad. Myriam Dartois-Ako), Éditions Philippe Picquier, 366 p., 18,95$
Dans La république du bonheur, on retrouve Hatoko, une calligraphe, qui avait repris la papeterie de sa grand-mère dans La papeterie Tsubaki — même s’il s’agit d’une suite, on peut lire les deux œuvres indépendamment. À travers son quotidien tranquille, Hatoko poursuit son rôle d’écrivaine publique en rédigeant des lettres pour les autres, en leur offrant des mots qui leur manquent. De cette manière, on entrevoit leur vie dans tous ses aléas. Maintenant mariée à Mitsurô — dont la première épouse est décédée —, elle découvre les joies d’avoir une famille, d’être une belle-mère auprès de la fille de Mitsurô, une enfant attachante. Ce roman lumineux, tendre et gourmand donne envie d’écrire à ceux qu’on aime, de partager des moments ensemble, de cuisiner. Après tout, comme dans cette histoire, le bonheur est dans les choses simples. Voilà une lecture qui fait du bien.

Ce que je ne veux pas savoir
Deborah Levy (trad. Céline Leroy), Du sous-sol, 152 p., 17,95$
Deborah Levy est l’un de ces écrivains phénomènes, comme Karl Ove Knausgaard, comme Anaïs Nin, qui ont transcendé la fiction — ou l’ont triturée? — pour la rendre au plus près du réel. Ils questionnent tous leur écriture, le rôle de celle-ci dans leur vie, ils examinent leur famille, relations, variations internes. Enfin publiée en format de poche, la trilogie autobiographique de Levy s’ouvre avec Ce que je ne veux pas savoir (suivi par Le coût de la vie et État des lieux, aussi en format de poche), dans lequel l’autrice revient sur son passé, son enfance en Afrique du Sud jusqu’à ses 9 ans, mais aborde aussi la féminité, sa maison rêvée, son cabanon d’écriture. Elle évoque sa vie de femme, quarantenaire, qui questionne les raisons d’écrire et les attentes envers la Mère. Son œuvre? C’est « une véritable étude vivante, en mouvement, de la femme du XXIe siècle d’un point de vue très personnel, féministe et bercé d’un rire sympathique », en a dit Elsa Pépin.

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