Une ardente curiosité pour toute chose habite Noémi Mercier. Le regard qu’elle pose sur l’actualité en tant que journaliste et chroniqueuse permet d’affûter le nôtre et de porter plus loin la réflexion sur les défis de notre société. On lui a d’ailleurs décerné de nombreuses distinctions pour l’excellence et la pertinence de ses reportages — dont le Grand Prix Judith-Jasmin —, ce qui semble l’avoir naturellement conduite ce printemps au poste de cheffe d’antenne aux émissions d’information du réseau de télévision Noovo.

C’est avec un pétillement manifeste dans la voix que notre invitée entame la discussion à propos de ses lectures. Elle possède une longue feuille de route en la matière, ayant toujours beaucoup lu, et ce, dès qu’elle a su décoder l’alphabet. De nature introvertie malgré la profession qu’elle occupe, Noémi Mercier pouvait compter sur ses parents qui lui glissaient toujours un livre dans son sac lorsqu’elle se rendait à une fête d’enfant pour qu’elle puisse s’isoler après avoir été longtemps mêlée à la foule. La série des Alice et celle du Club des cinq, entre autres, la menaient déjà dans diverses enquêtes à élucider.

Comme son assiduité à la lecture ne s’est jamais tarie, on sent qu’elle a du mal à nommer certaines œuvres marquantes tant les choix sont légion, mais d’un premier élan elle évoque Beloved de Toni Morrison — lauréate du Nobel de littérature en 1993. Issue d’un fait divers qui s’est produit au milieu du XIXe siècle, la trame narrative est celle d’une femme qui a assassiné son enfant pour lui éviter l’esclavage. Une œuvre dont l’écriture magnifique permet de soutenir l’âpreté de l’histoire. Parmi les auteurs qu’elle a visités à travers plusieurs livres se trouvent Michel Tremblay — elle cite les colossales Chroniques du Plateau-Mont-Royal — et Delphine de Vigan — D’après une histoire vraie étant celui qu’elle a préféré. De cette dernière, elle dit admirer l’élégance de l’écriture. « Une phrase dont la syntaxe complexe est bien construite, ça m’émeut! », explique Noémi Mercier avec une conviction amusée. Elle considère par ailleurs être une lectrice de fiction difficile et n’hésite pas à laisser de côté un livre qui, fût-il encensé par la critique, ne lui procure pas l’évasion qu’elle recherche.

Révéler au grand jour
Évidemment, les essais agissent comme moteur important dans la vie littéraire de la journaliste. Elle parle du percutant NoirEs sous surveillance de Robyn Maynard qui devrait selon elle être lu par tous. « C’est un ouvrage très bien documenté que je dois lire à petites doses parce que c’est extrêmement bouleversant », dit-elle. À la fois historique et actuel, il fait la preuve des inégalités que vivent les personnes noires au Canada et montre une réalité ignorée par beaucoup. Elle ressent une même impulsion pour Good and Mad de Rebecca Traister, journaliste au New York Times qu’elle a en haute estime, et qui célèbre la saine colère des femmes, l’identifiant comme un carburant puissant à la réalisation de changements politiques et sociaux. Continuant dans cette lancée, Noémi Mercier pointe Femmes invisibles de Caroline Criado Perez dans lequel l’autrice démontre que tout ce qui existe autour de nous, des voitures aux médicaments, en passant par les téléphones cellulaires et l’ergonomie des mobiliers, a été conçu et fabriqué en fonction de l’homme moyen, ce qui engendre des conséquences sous-évaluées. Delusions of Gender de Cordelia Fine aborde aussi le fossé entre les hommes et les femmes, avec données et analyses à l’appui, en démystifiant tout ce qui a trait au cerveau de l’un et de l’autre. Ce type de document où les sources de références scientifiques foisonnent est très prisé par notre libraire d’un jour qui s’en servira, au besoin, dans son travail.

Elle lorgne également avec plaisir du côté du récit, y trouvant des similitudes avec les reportages qu’elle a écrits pour des magazines et qui lui accordaient la possibilité d’emprunter à la forme, en conservant toutefois la rigueur journalistique inhérente au métier. Elle cite Avec toutes mes sympathies de la rédactrice Olivia de Lamberterie qui, le temps d’un livre, s’ouvre sur le décès de son frère, mort par suicide. Pour Noémi Mercier, la force d’évocation de la plume d’Annie Ernaux renforce cette idée intéressante qu’une autrice, en écrivant, peut avoir un questionnement sur son propre matériau, comme elle le fait dans L’événement où elle relate les circonstances de son avortement.

Par-delà la fiction
Notre interlocutrice explique qu’elle se laisse guider instinctivement par ses envies de lectures et n’est pas nécessairement à l’affût des nouveautés qui occupent les vitrines des librairies. Ce qui fait que ce n’est que récemment qu’elle a découvert le roman La petite et le vieux de Marie-Renée Lavoie qui installe le lecteur dans le quartier Limoilou à Québec, au milieu de la tendresse des déshérités. Elle parle de Rosa candida d’Audur Ava Ólafsdóttir, sorte de roman d’apprentissage qui suit le parcours du jeune Arnljótur, passionné de fleurs et grand adorateur de sa fille. Elle chérit l’auteur Jean-François Beauchemin dont le roman Le jour des corneilles, qui nous montre dans un langage allégorique l’existence d’un père et d’un fils au cœur de la forêt, a souvent servi de cadeau offert à ses proches.

Noémi Mercier aboutit très souvent dans une librairie en y ressortant avec plusieurs essais qui auront capté son intérêt au gré de sa promenade entre les rayons ou avec des œuvres de fiction, parfois suggérées par Claudia Larochelle, journaliste en nos pages, avec qui elle partage plusieurs goûts littéraires. « Souvent, c’est dans la littérature qu’on peut vraiment aller explorer les nuances, les complexités et comprendre de l’intérieur des enjeux qui nous préoccupent socialement », ajoute-t-elle. Elle se rappelle notamment le roman Ce qu’elles disent de Miriam Toews qui met en scène une communauté mennonite de femmes de plusieurs générations qui sont agressées, violées et qui, ensemble, devront faire un choix. Une voie d’accès parfaite pour parcourir, avec sensibilité et profondeur, un sujet délicat.

Les pérégrinations littéraires de notre invitée ne sont pas près de cesser. Elle continue d’appréhender le monde à travers des pages et des pages. Parmi les lectures en cours, il y a Brève histoire des femmes au Québec de Denyse Baillargeon qui ajoutera d’autres dimensions à ses quêtes féministes, Les villes de papier de Dominique Fortier qui fera ressurgir le fantôme de la poète Emily Dickinson, et Em de Kim Thúy qu’elle veut lire lentement pour faire honneur à l’écriture peaufinée de l’autrice. Car la lecture pour Noémi Mercier est d’abord et avant tout une délectation.

Photo : © Noovo

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