Anne-Élisabeth Bossé : Ouvrir une fenêtre

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    Comédienne prolifique et polyvalente, Anne-Élisabeth Bossé a déjà une longue feuille de route derrière elle malgré sa jeune trentaine. Télévision, cinéma, théâtre, elle endosse les rôles avec tout le talent qui la caractérise. Elle tient entre autres avec brio le rôle principal dans la série Les Simone diffusée à l'automne 2016 à la télé de Radio-Canada. Nous avons voulu savoir quels livres se trouvaient dans la bibliothèque de cette artiste accomplie.

    La lecture se retrouve nécessairement au cœur de la vie de notre invitée avec tous les scénarios qui lui sont proposés. Mais outre l’aspect professionnel, elle prend tout de même le temps de lire autre chose même si elle ne le fait pas aussi souvent qu’elle le voudrait. Lectrice assidue depuis l’enfance, elle se rappelle des moments de grâce qu’elle a eus jeune adolescente avec La lumière blanche d’Anique Poitras (auteure malheureusement décédée le 19 décembre dernier). D’autant plus qu’à la fin du roman, l’héroïne rentre au Conservatoire d’art dramatique, comme la petite Anne-Élisabeth en rêvait déjà (un rêve qui est d’ailleurs devenu réalité).

    Plus tard, L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera viendra marquer d’une pierre blanche son parcours de lectrice. Même chose pour Bonjour tristesse de Françoise Sagan. « Ce sont mes références. Ce sont deux romans qui me suivent tout le temps, que je recommande, que j’achète en cadeau. » Examinant les similitudes entre les deux œuvres, elle remarque qu’elles s’attardent toutes deux aux arcanes des liaisons interpersonnelles. « J’aime beaucoup les rapports complexes, les psychologies troubles, quand on réussit à exprimer les paradoxes d’une relation homme-femme », précise-t-elle.

    Notre lectrice croit à la synchronicité des livres. Plusieurs d’entre eux sont arrivés à des moments propices et sont venus éclairer des pans importants de sa vie. « Je suis vraiment sensible au vocabulaire et au fait de bien dire les choses. Il faut avoir les mots pour le dire, ils ouvrent une fenêtre, ils explorent des zones tellement précises du cœur. » La comédienne a l’intime conviction que les mots viennent préciser sa pensée et enrichir le spectre de son jeu d’actrice.

    Elle pense bien avoir lu tous les livres d’Alessandro Baricco, déclarant dans un même temps qu’elle a un faible avoué pour son roman Océan mer. « Je devais avoir 19 ans quand je l’ai lu et j’avais envie de peinturer des phrases du livre sur mes murs tellement j’avais envie qu’elles m’appartiennent. » Sans s’attacher à un genre, elle reconnaît être attirée par le discours franc et sans détour d’un auteur. « J’aime ce qui est tordu, qu’on fasse l’autopsie d’un trouble. J’aime qu’on parle crûment de quelque chose qui ne va pas bien. » (Rires) Elle évoque l’univers de Nelly Arcan dont elle a lu toute la bibliographie. À ce propos, le collectif Je veux une maison faite de sorties de secours qui rassemble des textes relatant la vie et l’œuvre de l’écrivaine disparue l’a bien émue. « C’est d’une désespérance… Mais ça fait du bien d’aller au creux des ténèbres parfois, je trouve ça très salvateur. » En discutant, on en vient à la conclusion que ces incursions dans la noirceur nous permettent de repérer des clés pour approfondir le sujet et trouver les moyens de nous relever. Ce qui l’amène à parler des livres de psychologie, citant en exemple Les renoncements nécessaires de Judith Viorst qui niche sur sa table de chevet, prêt à être consulté en tout temps.

     Guidée par le hasard
    Lorsqu’elle passe les portes d’une librairie, c’est souvent celles du Port de tête à Montréal. Elle se laisse parfois guider par le hasard en ne s’inspirant que de la quatrième de couverture pour faire son choix, ce qui lui a souri à plusieurs reprises. « J’ai découvert comme ça Raymond Carver avec son livre Les vitamines du bonheur. Il était là, il était beau, il était tout rose. » Le roman graphique représente aussi un must pour Anne-Élisabeth Bossé. Journal de Julie Delporte l’a particulièrement touchée, ainsi que la série « Le combat ordinaire » de Manu Larcenet qui est un incontournable. « Ça, c’est fort! Ça, c’est comme Ciné-Cadeau, il faut que je le lise au moins une fois par année! »

    Elle collabore actuellement à un projet avec Rafaële Germain et découvre donc de cette auteure Un présent infini. « C’est vraiment un bel essai sur la mémoire et le temps », insiste-t-elle. Dans un autre ordre d’idées, elle s’est fait grand plaisir en se plongeant dernièrement dans des livres à caractère biographique de femmes humoristes américaines : TheGirl with the Lower Back Tattoo d’Amy Schumer, Not That Kind of Girl de Lena Dunham (dont il existe une version française) et Bossypants de Tina Fey.

    Pour interpeller la comédienne en elle, nous tentons d’en connaître un peu plus sur ses auteurs dramatiques aimés. Botho Strauss, Oscar Wilde, Marguerite Duras, dit-elle. Quant aux personnages qu’elle rêve un jour d’interpréter, il y a Hedda Gabler de la pièce du même nom écrite par Henrik Ibsen, une héroïne romantique à la passion dévastatrice. Un grand rôle qu’elle voudrait aussi camper est celui d’Hermione dans Andromaque de Racine, une autre histoire de trahison et d’amour désœuvrée (on ne se refait pas)! Les textes de Sarah Kane et de Sylvia Plath, tous proches de la folie, ont aussi le don de plaire grandement à la tragédienne!

    Avoir 16 ans
    Pour donner la piqûre de la lecture aux adolescents, elle propose de mettre au corpus destiné aux 16-17 ans les romans de Dany Laferrière, par exemple le tendre et poétique Énigme du retour, l’authentique Testament de Vickie Gendreau, le lucide L’amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder.

    Notre libraire d’un jour n’a de cesse de nous parler des mille et une vertus des livres. « Lire, ça rend intelligent, pas plus, pas moins. C’est le nerf de la guerre de nos jours. Les gens ne savent pas comment s’exprimer, ils n’ont pas les mots du cœur et de l’esprit, il y a partout de la confusion. » Le but n’est pas d’utiliser des mots compliqués, mais simplement d’être limpide. Selon elle, la lecture permettrait de construire et de clarifier sa pensée. La littérature a cependant beaucoup de compétition, entre autres avec l’offre technologique grandissante. À cela, l’invitée répond : « Pourtant, c’est tellement sexy, lire! » Avis aux intéressés.

     

    Photo : © Julie Artacho

     

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