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La faille des nationalismes : La crise d’Oka, dix ans après

Ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec à cette époque, John Ciaccia nous livre dans La crise d’Oka, miroir de notre âme, un témoignage poignant, d’une étonnante sincérité sur les acteurs et le jeu des négociations lors de la crise d’Oka. Déçu, abandonné, blessé puis trompé par son entourage, le portrait de cet ancien ministre libéral surprend et apparaît difficilement compatible par l’idéalisme, mais aussi le bon sens, qu’il dut afficher contre vents et marées dans un milieu forgé au réalisme et à l’opportunisme politiques. Ainsi, dans la mesure où Ciaccia tente de définir une nouvelle approche constructive pour le règlement des problèmes de fond des peuples autochtones, sa vision humaniste se heurtera à l’ignorance et à l’incompréhension de plusieurs de ses collègues : « ils étaient prêts à risquer le désastre ». Pour John Ciaccia, la crise marqua profondément l’ensemble de la société québécoise. Elle interpellait nos conceptions sur l’exercice du pouvoir et de la justice en regard de l’autre, l’Amérindien. Elle devenait aussi un miroir de nos propres aspirations : comment refuser aux autres ce que nous revendiquions pour nous-mêmes ?

Mais comment toute cette crise, sa signification et le rôle des protagonistes ont-ils été perçus par les médias ? Dans Oka par la caricature, Réal Brisson s’attarde à ce questionnement en s’appuyant sur une démarche rigoureuse de l’analyse des médias imprimés canadien et québécois. Il nous soumet une lecture convaincante de « deux visions distinctes d’une même crise », représentées par les perspectives anglophone et francophone. Il est remarquable de constater jusqu’à quel point les deux presses pouvaient clairement s’opposer dans la perception de l’Amérindien, la compréhension des enjeux du combat autochtone et finalement la nature du rôle des différents acteurs au sein de la crise. Selon qu’il s’agit : 1) de la victime, de l’opprimé historique ou du militant résistant d’un côté; du rebelle et provocateur intransigeant de l’autre; 2) de droits à protéger ou même à conquérir d’un côté; de privilèges à abolir et de droits à circonscrire de l’autre; 3) de l’assiégé trompé d’un côté; de l’insurgé et manipulateur de l’autre, les presses anglophone puis francophone chacune construisait « les définitions arrangeantes de son Indien » selon l’auteur.

Plus émotive et spectaculaire, la presse graphique anglophone se nourrissait beaucoup de l’image du Warrior mohawk, armé et déterminé. Probablement plus politique aussi, elle a mené une critique appuyée de la politique du gouvernement fédéral pour verser ensuite dans un véritable procès de l’intransigeance du Québec dans cette crise, et par ricochet, de son nationalisme. Quant à la vision francophone, cette-ci joue plus sur le registre de l’humour. Ménageant les susceptibilités tout en essayant de partager les blâmes, elle a cherché à temporiser. Deux solitudes donc, jusque dans l’approche de la résolution de la crise. Là où l’armée canadienne apparaît d’un côté comme un assaillant doté d’une force de riposte démesurée consacrant l’échec de toute négociation, son intervention est au contraire perçue, du côté francophone, comme un soulagement qui se changera rapidement en impatience devant la circonspection de l’opération militaire.

L’ouvrage de Robin Philpot, Oka : dernier alibi du Canada anglais, constitue une tentative inégale et parfois franchement maladroite pour répondre à une sorte de « sentiment anti-québec » lors des événements d’Oka. À la lumière des déboires de la gestion de la crise par le gouvernement Bourassa, le dernier alibi, c’est en fait le dernier argument que pourrait opposer le reste du Canada aux prétentions affirmatives de la société distincte à la souveraineté affichées par le Québec. Pour l’auteur, il n’y a là qu’hypocrisie ou au mieux totale incompréhension. Il a donc cherché à démontrer, chiffres à l’appui, que la condition sociale des autochtones était à plusieurs égards (revenu, éducation, langue, etc.), moins déplorable au Québec qu’ailleurs au Canada.

Dénoncer les dérives haineuses du discours politique, ses procédés d’amalgame et ses analogies abusives, donnant le mauvais rôle au Québec, identifier racisme et nationalisme ou société distincte, ou encore dénaturer les réalités du problème autochtone est une chose. Mais blanchir la gestion gouvernementale de la crise, prendre prétexte du rôle politique dominant des Warriors pour contourner les fondements et la légitimité du combat autochtone et enfin, attiser le sentiment « anti-anglophone » des enjeux de cette lutte ; cela est une toute autre affaire. Ainsi, l’approche de Robin Philpot manque de nuance en restant attachée à une lecture nationale-québécoise des réactions suscitées par le déroulement de la crise d’Oka. À trop vouloir dédouaner le « Québec », il occulte une question importante : comment jeter les ponts entre la réalisation du projet souverainiste qu’il défend et la disposition équitable des revendications politiques avancées par le nationalisme mohawk ?

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La crise d’Oka, miroir de notre âme, John Ciaccia, Leméac
Oka : dernier alibi du Canada anglais, Robin Philpot, VLB éditeur
Oka par la caricature, Réal Brisson, Éditions du Septentrion

Petites musiques de chambre

Trois mouvements pour l’amour

J’ai découvert Nadine Ribault en lisant son recueil de nouvelles Un caillou à la mer, paru chez le même éditeur en 1999 et qui est passé presque inaperçu. Pourtant, dès les premières pages, une réelle voix littéraire se révélait. C’est avec l’espoir de la retrouver que j’ai entamé son premier roman, Festina lente, et j’ai été comblée.

Quel livre! Lent, long, doux, intérieur, fort! Inlassablement, on y entend la mer, cet endroit que l’on ne veut pas quitter sous peine de ne plus respirer, à l’instar de Clarisse, le personnage principal. Trois lentes musiques ponctuent les trois parties du roman : le Festina lente ( » Hâte-toi lentement « ) d’Arvo Pärt; les valses nobles et sentimentales de Maurice Ravel; et le Langsamer Satz ( » mouvement lent « ) d’Anton Webern.

La voix de Clarisse donne le ton et bat la mesure, lente et émouvante, de son amour pour Florentin qui part un an en Afrique. Trois musiques pour autant d’étapes qui jalonnent leur histoire : la révélation, la séparation et les retrouvailles. Dans la maison au bord de la mer vivent également Adèle et Pierre, les parents de Clarisse, et ses sœurs, Clotilde et Cécile. Viennent ensuite les amis de la famille : Ludovika et René, Galina, Bénédict et William.

On songe à Tchekov, on entend la mer, les musiques lentes et les voix intérieures des amoureux; on perçoit les échos de la famille et des amis, mais surtout, résonne la voix de l’auteure, si authentique, belle et poétique. Quelle maîtrise et quelle justesse dans ces longues phrases entrecoupées de tirets et de points de suspension! Nos pensées, nos dialogues et nos vies ne sont-ils pas, eux aussi, constamment entrecoupés par d’autres pensées, d’autres dialogues et d’autres vies? À elle seule, l’écriture de Nadine Ribault est véritablement une musique.

Concerto littéraire

Ce roman ne se lit pas : il s’écoute. Vikram Seth parvient, de façon magistrale, à nous faire entendre la musique. Les lecteurs assistent vraiment à ce concert du quatuor anglais Maggiore, qui joue Haydn, Mozart et Beethoven. Incroyablement forte, l’écriture livre chaque note et chaque mouvement. Après un rappel d’une insoutenable beauté, nous en ressortons émus aux larmes. D’origine indienne, Vikram Seth a conquis un public considérable avec son premier roman, Un garçon convenable, fresque située au cœur de la société indienne des années 1950. L’auteur change cette fois d’univers et nous entraîne à Londres, Vienne et Venise dans une histoire d’amour contemporaine, profonde et difficile, qui se déroule dans le monde de la musique de chambre. Michael Holme, second violon, retrouve après dix ans Julia McNicholl, la femme qu’il a aimé lors de ses études. Séparés à cause de considérations musicales incompréhensibles, Seth rend avec justesse et délicatesse l’intensité de leurs retrouvailles et construit habilement l’intrigue autour du passé et du présent. L’histoire est prenante, le quatuor est à lui seul un personnage, la musique des répétitions et des concerts est envoûtante et la fin, un pur moment de grâce.

P.S. Il est peut-être bon de prévoir un petit montant pour l’achat de disques car, après la lecture, on se sent attiré par les quatuors qu’on a entendus dans ce roman! Un CD contenant les pièces citées dans Quatuor a été mis sur le marché en Grande-Bretagne et en Allemagne (et n’est malheureusement pas disponible au Québec).

***

Festina lente, Nadine Ribault, Actes Sud/Leméac, coll. Un endroit où aller
Quatuor, Vikram Seth, Grasset

Petit conte du Temps des Fêtes : Un best-seller avec ça ?

J’écris des romans pour adultes (1). Il n’y a pas de mal à ça. Des romans extraordinaires! me crie ma blonde. Mais dans les journaux, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Jusqu’ici, j’en ai écrit trois. Trois de plus que Tiger Woods, quand même! Trois romans et personne ne me regarde sur la rue. Personne ne déchire mes vêtements lorsque je traverse les foules au centre commercial, dans les salons du livre ou quand je vais dans les bars branchés. Personne ne me prend pour Jacques Godbout (2). Après dix ans, je vis encore dans la dèche de l’anonymat littéraire… sauf au cégep où j’enseigne, et encore. Mes ventes stagnent à 26 exemplaires par saison littéraire, car je n’ai qu’un groupe d’étudiants. Le reste du temps j’enseigne l’anthropologie… gardant l’entrepôtlogie pour mes invendus.

Il y a toujours peu de gens à mes lancements sinon les employés de la librairie que mon éditeur paye sûrement au noir pour qu’ils restent jusqu’à la fin. Il les paye aussi sans doute pour qu’ils achètent des romans que je leur dédicace. Il y a des éditeurs qui sont gentils. On ne les connaît pas tous, mais il y en a. Après avoir bu deux verres de Baby Fuck et avalé trois petits fours (tiens, c’est le même nombre que mes romans), je rentre chez moi la queue entre les jambes – c’est une bonne place. Au moins là, j’ai une lectrice fidèle qui m’adore et qui me lie (!) au lit.

Mais l’ensemble du portrait est plutôt décourageant et je ne parle pas de ma photo. L’autre matin, lorsque ma mie m’a dit, en beurrant son pain :

– La célébrité court tellement vite des fois qu’elle en perd son b.

Elle est comme ça. Elle me lance des vérités cruelles alors qu’il n’est même pas huit heures du matin.

– C’est vrai lui, réponds-je (non, mais quel style!), je cours après la célébrité comme un Bruny Surin blessé au talon d’Eschyle (3) .

Puis, elle ajoute, en brassant son café et laissez-moi vous dire qu’elle n’y va pas avec la petite cuillère :

– Va te faire cuire un œuf. Les œufs, ça stimule la création littéraire.

Elle m’avait quand même dit ça, avec une politesse de bénédictine.

Je devais bien sûr prendre cette phrase au premier degré, mais vous me connaissez, je ne suis pas ce genre d’homme. Alors : « Va te faire cuire un œuf », ça m’a tout de suite fait penser à coco et qui dit coco dit lapin de Pâques et je ne sais plus encore pourquoi, Va savoir, comme titrait si bien Ducharme, Pâques m’a fait penser à Noël et qui dit Noël, dit carte de Noël okay, mais surtout carte de crédit, mais si on creuse plus loin, on pense à Père Noël et c’est là où je voulais en venir et c’est là que je vous amène avec une phrase longue comme ça, car je ne déteste pas faire mon petit Proust du dimanche, moi aussi.
Revenons à nos moutons : qui redit Père Noël, sous-entend magie, pensée magique et cadeau du ciel et je me suis dit que ce vieux bougre pourrait bien régler mon petit problème de notoriété, lui qui est connu à travers le monde entier il doit certainement en connaître la recette ou du moins quelques ingrédients pour mettre du piquant dans ma vie littéraire.

Vous croyez comme tout le monde que le Père Noël habite le pôle Nord. Grave erreur, païens que vous êtes ! Mais je vous pardonne. C’est pour berner les enfants et de un, mais c’est surtout à cause du code postal du Père Noël : H0H 0H0. En fait, le Père Noël campe au Mail Champlain à Brossard et son code postal est le J4W 2Z7, c’est moins commercial que H0H 0H0, je vous le concède aisément, comme disait si bien mon concessionnaire (4).

Alors, je ne fais ni une ni deux et je fonce vers le Mail avec mon bolide. Lorsque je me pointe (… de pizza, c’est bizarre, tiens j’ai un petit creux et si on faisait venir de la pizza pour Noël, ça ferait différent et sûrement plus italien en tout cas). Bon, je m’égare aussitôt que j’essaie d’écrire pour les adultes, c’est immanquable, il y a un jaloux quelque part qui met des substances olympiques dans mon café !

Bon, où en étais-je ? Dans mon bolide… Je file vers le Mail Champlain. On est jeudi, et c’est jour de paye (5) et tous les Pères Noël sont contents surtout le vrai, celui qui crèche (encore un jeu de mots ! Je suis vraiment impayable, arrêtez-moi quelqu’un !) au Mail Champlain. En fait, le Mail m’a promis cent beaux dollars canadiens si je mentionnais subtilement son nom au moins dix fois dans ce petit conte du temps des Fêtes. Oh ! my my ! (en v’la deux autres de plus).

Je reprends. J’arrive au Mail. J’ouvre la porte. Je longe le corridor A qui mène au couloir B. Je tourne à gauche. Là, j’abrège, car je sens chez vous un brin d’impatience. Donc paf ! me voici devant la chaise du Père Noël. Elle est vide ! Vide de tout trucage, catastrophe ! Pas de panique, Éric, je sais où se planque le gros : à la cantine des employés du Mail (et de 8). Je ne fais ni une ni deux et j’entre dans le lieu saint.
Il est là. Pour ceux qui l’ont déjà vu, vous savez qu’il est facilement reconnaissable ; c’est le seul qui est habillé tout en rouge comme un compte de banque après Noël. Il dévore un sandwich tout en flirtant élégamment avec la Fée des Étoiles. Il s’arrête parfois pour griffonner des choses sur un papier.

Je l’aborde avec beaucoup de doigté en lui tapotant gentiment l’épaule.

– Pardon, père Noël, est-ce que je peux vous déranger ?

– C’est déjà fait, jeune homme, me dit–il dans un sourire aussi large que sa ceinture … noire, ce qui m’incite à la prudence et à la politesse. Je rougis comme son costume, mais je poursuis :

– Je suis écrivain et…

– Toutes mes condoléances ! HO ! HO ! HO !

Je reste de glace à cette pointe d’ironie.

– J’écris des livres, continues-je et j’aimerais vous demander, pour Noël, un sac de célébrité. Je sais que c’est une demande inusitée, mais j’aimerais bien devenir célèbre. Jusqu’à présent, j’ai tout fait pour être connu, car j’étouffais dans l’anonymat. J’ai vainement tenté de m’en sortir, croyez-moi. mais même mort, je crois qu’on ne parlerait même pas de moi.

– Ho ! Ho ! Ho ! Vous n’êtes pas le premier à me faire cette demande.

– Ah ! non ! balbuchie-je, sur le bout de ma chaise, légèrement déçu.

– Bien sûr que non, d’autres sont passés avant vous : les Godbout, Kokis, Hébert, Brouillet, Gravel, Plante, Laferrière et Tutti Quanti.

– Je ne le connais pas celui-là.

– C’est un jeune écrivain italien, il vient tout juste de débarquer en Amérique. Plus fort que Baricco, vous verrez. Et qu’avez-vous fait, enchaîne-t-il, pour attirer la célébrité ?

– Oh ! un peu de tout et un peu n’importe quoi. J’ai pratiqué le vaudou, sans succès, sur Réginald Martel, puis de fil en aiguille, j’ai fait appel aux boules de cristal en vrai silicone de Jojo Savard, ensuite, j’ai envoyé quelques lettres de menaces à gauche et à droite, à Jean Fugère, Marie-France Bazzo, Christiane Charette, Danielle Laurin, Marie-Claude Arsenault, Maxime-Olivier Moutier, Sophie Durocher (mais pour elle, c’était une lettre d’amour ! ) et même à Francine Grimaldi.

– Ciel !vous étiez vraiment désespéré à ce que je vois.

– En effet, lui dis-je et je poursuis : j’ai rencontré des milliers d’étudiants dans les cégeps et les universités. J’ai parcouru la belle province et tous ses salons du livre, de Sept-Îles à La Sarre. Je suis même membre de l’UNEQ… et Dieu sait que je déteste le crabe.

– Bon, bon, bon, je vois. Laissez-moi compléter la liste de mes cadeaux pour vos amis, dit celui qui ne ressemble pas du tout au Bonhomme Carnaval, et je suis à vous dans une minute.

Et là, par-dessus son assiette et à l’envers s’il vous plaît, ce qui n’est pas donné à tout le monde soit dit en passant, j’ai pu lire sa petite liste d’emplettes :

Pour Tiger Woods : la série Harry… putter
pour Bruny Surin : Alice court avec René de Bruno Hébert
pour Pierre Renaud : Éloge de la fragilité de Pierre Bertrand
pour Pascal Assathiany : Le dernier coyote de Michael Connelly
pour Hervé Foulon : Les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants de San Antonio,
pour Jacques Godbout : rien, pour faire encore plaisir à Stanley, ça vous la coupe, hein… Stanley, la coupe… bof !
pour Robert Lévesque même s’il n’en mérite pas : L’encombrant de William Olivier
pour Daniel Pinard : Le pénis illustré ou encore Le bonheur a la queue glissante de Abla Farhoud

De temps en temps, le joyeux barbu lève les yeux au ciel – au plafond, en fait – comme s’il y cherchait quelque inspiration. Puis, comme un bon élève, il poursuit son pensum :

pour Sonia Sarfati : Soie de Baricco
pour Agnès Maltais : Le rapport Larose et c’est bien suffisant
pour Lucien Bouchard : Celui qui attend de Ray Bradbury
pour Pauline Marois : La maladie de Sachs, le livre bien sûr de Martin Winkler
pour Lise Bissonnette : Notre cher stade olympique de Roger Taillibert, chez Stanké, Un chez-moi à mon coût de Éric Brassard et La mystérieuse bibliothécaire de Dominique Demers
pour Dany Laferrière : Vers chez les blancs de Philippe Djian
pour Bertrand Gauthier : Métaphysique des tubes de Amélie Nothomb
pour tous les libraires indépendants : La loi du plus faible de John Grisham, Extrêmes urgences de Cuthbert ou encore Bouillon de poulet pour l’âme des libraires ou mieux encore : Des ventes pour Noël de San Taclausse
pour le Conseil des Arts du Canada, le CALQ, la S0DEC et Patrimoine Canada : Dépensez tout et vivez heureux.

Sa liste étant presque terminée, il se tourne vers moi et dit :

– Vous êtes encore là !

– Oui, comme un seul homme, dis-je mollement.

– Et c’est pourquoi déjà ? redemande celui qui a la mémoire plus courte que sa barbe.

– C’est pour ma célébrité…

– Ah oui. La célébrité, je me souviens maintenant. Et bien mon petit, c’est bien simple et il suffisait d’y penser. La célébrité arrive quand tout le monde parle de vous en bien comme en mal, mais croyez-moi, en bien c’est beaucoup mieux. Donc, pour faire parler de soi, il faut passer dans les médias. Et pour passer dans les médias…

– Il faut être connu.

– Oui, mais il faut être avant tout et surtout être journaliste ou chroniqueur, c’est la clé de tout. C’est le passe-partout. Le sauf-conduit. Le sésame. Le prêt-à-critiquer. Le prêt-à-encenser. Soyez journaliste et on parlera de vous. Soyez journaliste et on vous lira. Vous aurez des extraits de votre œuvre à pleines pages, des entrevues à bouche-que-veux-tu, la une sera tapissée avec votre photo. N’est-ce pas merveilleux ?

– C’est un bon début. Et pour Paris, Pivot et les 100 000 exemplaires vendus en deux semaines, le Goncourt ?

– Eh Ho ! ça va pas la tête? Et un best-seller avec ça ?

***

1. Hého ! c’est une fiction. Je n’ai pas de temps à perdre.
2. Une première petite vacherie pour faire plaisir à Stanley Péan sans déplaire à Jacques Godbout, bien évidemment.
3. Bon, on a des lettres, il faut quand même que cela se sache.
4. Essayer la position du concessionnaire, c’est l’adopter !
5. C’est aussi un jeu qu’on peut se procurer pour $12,95 chez tous les bons libraires.
6. Écoute bien, chose, y en as–tu ben des renvois en bas de page de même, on est dans un journal gratis mais sérieux là.

Prix unique : Bravo au comité Larose!

Cette position était à prévoir de la part de journaux dont les pages éditoriales sont les haut-parleurs néo-libéraux de leurs patrons mais la faiblesse de l’argumentation et l’absence totale de sensibilité face aux enjeux sociaux et culturels de la mondialisation y est particulièrement navrante. Le problème est pourtant clair et le comité Larose l’a très bien démontré : c’est la diversité culturelle qui est remise en cause par les tendances actuelles du marché. C’est vrai pour tous les secteurs culturels, pour le livre en particulier, et le cas de la survie des librairies indépendantes n’est que le premier symptôme d’un problème plus vaste. Outre la réglementation du prix du livre (un prix unique, avec un jeu de 5%, la première année de publication seulement), la commission Larose fait vingt-quatre autres recommandations dans le but de protéger le réseau des librairies du Québec dont plusieurs visent le renforcement de la Loi sur le développement des entreprises dans le domaine du livre (loi 51). Ces mesures sont réclamées depuis longtemps par le milieu et sont pertinentes mais auraient peu de poids en l’absence de réglementation du prix.

Nos deux éditorialistes prétendent qu’un prix réglementé entraînera une perte d’accessibilité aux livres. Au contraire, et le comité le démontre bien, la réglementation raffermira la présence d’un bon réseau de librairies de fonds partout au Québec et assurera une diversité de choix pour le consommateur et une stabilité des prix à moyen terme. Ce qui menace le réseau actuel des librairies est la concurrence sauvage pratiquée par les grandes surfaces. Celles-ci ne conservent que les livres de grandes tirages (de 100 à 400 titres) sur lesquels elles pratiquent des rabais substantiels. La librairie de fonds ne peut se le permettre. Voici pourquoi : le fonds d’une librairie se compose des titres de petites et moyennes ventes grâce auxquels le consommateur a le choix de lire autre chose que des best-sellers américains, c’est-à-dire des livres d’ici et d’autres cultures ; de la poésie, des ouvrages de philosophie ou des essais plus pointus, de nouveaux auteurs, etc. Une librairie de fonds peut ainsi compter entre 20,000 et 50,000 titres. Naturellement, ces livres sont moins rentables. Afin de maintenir un fonds, une librairie doit donc nécessairement compter sur la rentabilité de livres à vente plus rapide. La perte progressive de ces ventes au profit des grandes surfaces entraîne une perte de rentabilité et met en danger la survie même des librairies. Par ricochet, les éditeurs et les diffuseurs qui travaillent des fonds d’édition seront également touchés. L’enjeu actuel n’est donc pas strictement commercial, il concerne avant tout une certaine vision de la culture : dynamique, diversifiée et créative.

Toutes les études, très bien documentées dans le rapport du comité Larose, le démontrent : la seule règle du marché conduirait nécessairement à un appauvrissement de cette culture. En Angleterre, la déréglementation des prix a conduit à une best-sellerisation du marché et à une augmentation de 16% du prix des livres, contrairement à ce qu’annonçaient les chantres du libre marché. Même chose aux États-Unis où sont disparues la plupart des librairies indépendantes. Le tirage global y a certes augmenté, mais uniquement sur les best-sellers, et le nombre de titres et de nouveaux auteurs a dramatiquement chuté. La plupart des pays européens ont réglementé le prix des livres pour protéger leur culture de la dictature du marché et, malgré les pressions de l’administration européenne, il semble que l’exception culturelle sera confirmée. Les livres sont au cœur des activités culturelle et intellectuelle d’une société. Ils garantissent la diversité des points de vue, des styles et des genres, ce à quoi les journaux ne peuvent plus prétendre. L’ironie facile de M. Roy au sujet des inquiétudes des membres de la commission face à la concentration de la presse était aussi à prévoir. Quant aux consommateurs, ils seront beaucoup mieux servis par un réseau de librairies qui donne du choix et du service et qui est bien réparti sur l’ensemble du territoire québécois. C’est d’ailleurs pourquoi la Fédération des consommateurs du Québec a donné son appui au prix réglementé.

En culture particulièrement, la loi du plus fort, celle derrière se rangent Madame Breton et M. Roy, à l’unisson de la droite néo-libérale nord-américaine, est toujours synonyme de nivellement par le bas et d’appauvrissement culturel. Pour ma part, je dis bravo aux membres du comité Larose qui, malgré des pressions politiques, ont dégagé les vrais enjeux de la crise et qui ont recommandé de véritables solutions dans un rapport clair et courageux. Souhaitons le même courage au gouvernement pour prendre les décisions urgentes et nécessaires qui s’imposent.

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