La librairie m’a appris que les poètes ne se retrouvent pas nécessairement dans les livres. Que leur nom n’est pas uniquement imprimé en caractères gras sur le haut des ouvrages. Ils n’écrivent pas automatiquement des vers sous la belle parole alanguie d’une muse céleste en buvant un élixir distillé. Les vrais poètes se promènent plutôt en équilibre sur les lignes des trottoirs et tâchent de ne pas verser dans une vie vile et répétitive. Ils observent l’univers sans avoir le vertige et se rassurent en survolant le néant. Ils débarquent dans notre existence avec une grâce digne d’un ballet de cour et s’introduisent sur la scène de nos vies avec la douceur d’une peinture de Degas.

Un de ces bons jours tant attendus de l’été 2012, j’ai rencontré une de ces poètes-fildeféristes qui, depuis, me fait apprécier le baroque et le vin de Pays d’Oc. Le travail de libraire est sans contredit le meilleur – fermez vos yeux et imaginez-vous boire un café noir en écoutant Jordi Savall avec une cliente –, n’est-ce pas merveilleux? Cette ballerine-de-promenade a un nom de commune italienne – Madame Vignola –, mais pour moi, depuis que nous avons franchi une marche de plus sur le podium de l’amitié, elle s’appelle Loulou. C’est avec elle que j’effeuille les livres jeunesse en assumant pleinement notre cœur d’enfant et que j’apprends comment bien recycler les contenants de plastique dans le bac bleu. Il n’est pas inhabituel de retrouver la dernière biographie d’une starlette populaire cachée derrière un rayon quand Louise passe me voir à la librairie. Il n’est pas rare non plus de se sentir croître après l’une de ses visites qu’elle ensoleille de ses récits de voyage du temps de l’U.R.S.S. Louise a l’âme slave, elle incarne toutes les Europe et devient la mère humaniste de tout un chacun. Elle est un peu comme Jacques Dutronc, elle a tout lu, tout vu, tout bu. Elle a enseigné toute sa vie et contribue aujourd’hui à l’édification de mon apprentissage personnel. Que ce soit pour rire du gros Depardieu, louanger Fanny Ardant, chanter Vyssotski ou me parler du violoncelliste de Sarajevo comme si elle le connaissait, Loulou me transporte dans l’espace et le temps.

Je la remercie de s’être ouverte à moi comme un roman sans jamais censurer ma personne, malgré mon âge minuscule. Je lui dois aussi de considérer chaque enfant comme un petit géant qui mérite essentiellement d’être pris au sérieux. Enfin, Louise prend l’humanité au sérieux, et parfois, quand la vie tourne mal, j’ai envie de lui dessiner un sourire de plomb; quand c’est moi qui ai la mine triste, je vais inévitablement chauffer mon cœur à son bois, comme dirait l’autre.

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