22 décembre 2016, la frénésie de Noël est à son comble.

Les clients bouquinent, le téléphone sonne sans arrêt. Sur la ligne 1, une cliente de longue date me demande. Elle m’explique que, très malade, elle ne peut venir à la librairie, mais qu’elle tient à offrir un livre à sa fille. On discute, elle m’explique ce qu’elle veut et je trouve le livre parfait.

Elle réitère qu’elle ne peut se déplacer, qu’elle va envoyer un taxi. Je lui demande son adresse et constate que c’est à cinq minutes à pied de la librairie. Une bouffée d’air frais dans cette journée un peu folle me fera le plus grand bien. Je lui offre donc d’aller le lui porter, sentant du même coup dans sa voix qu’elle est très touchée par ma proposition. Juste avant de quitter la librairie, un collègue qui m’a aidée dans les recherches pour le cadeau idéal lui prépare avec soin un emballage.

C’est une belle journée d’hiver; la température légèrement en dessous de zéro, les flocons virevoltent. Paquet sous le bras, je me dirige tranquillement chez la dame.

En chemin, je me rappelle nos conversations, son sourire chaleureux, sa grande gentillesse. Arrivée devant chez elle, j’hésite. Elle m’a un peu expliqué son état et je crois que j’ai peur d’avoir un choc.

Je sonne.

Une aide-ménagère me répond. Derrière, la cliente qui avait toujours été coquette arrive dans une robe de chambre confortable et élimée, ses cheveux en pagaille. En me voyant, son visage s’illumine. On jase un peu. De sa maladie, oui, mais surtout du plaisir que nous avons de nous voir. J’ose lui dire que je l’ai toujours trouvée magnifique et que, à mes yeux, elle est toujours aussi belle. 

Au moment de partir, elle m’assure qu’elle a perdu le combat. Il ne lui reste que quelques mois à vivre.  On se doute bien que ce sera notre dernière rencontre et toutes les deux sommes reconnaissantes à la vie de nous avoir permis cet instant.

En retournant à la librairie, je réalise que ce geste, tout simple, m’a fait un bien énorme. Cette femme, je me sens privilégiée de l’avoir connue.

Au printemps dernier, j’ai appris son décès. Après diverses hésitations, j’ai finalement décidé de me rendre aux funérailles, le besoin de lui rendre un dernier hommage serré contre ma poitrine. Fièrement, je me suis présentée comme étant sa libraire. Sa fille, en comprenant qui j’étais, m’a regardé émue et m’a remerciée non pas pour le livre, mais pour cette livraison.

On m’a raconté qu’elle racontait avec émotion cette anecdote. Sa famille était contente de pouvoir m’exprimer sa gratitude.

En vérité, ce n’est pas moi qui lui ai rendu service, c’est elle. Ce jour de décembre, j’ai su pourquoi je privilégiais tant les commerces indépendants. À travers son sourire et sa reconnaissance, je me suis vue fière d’être qui je suis, d’être libraire. Cette femme m’a prouvé que j’avais un métier utile qui ne sauvait peut-être pas des vies, mais les adoucissait.

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