Jean-Michel Théroux, directeur littéraire aux éditions Triptyque, présente non pas un, mais deux romans qui l’ont particulièrement marqué : L’été infini de madame Nielsen (Noir sur Blanc) et Cinéma Royal de Patrice Lessard (Héliotrope).

Le pont entre les infinis

Les conversations qui se tissent entre les romans de Patrice Lessard me donnent l’impression profondément satisfaisante d’être infinies – de ne pas être finies, de ne pas vouloir finir, de ne pas savoir finir. Je ne sais jamais comment finir les miennes, et les meilleures que j’ai eues ne l’ont pas été, meilleures, parce qu’elles ont su commencer et se terminer, mais parce qu’elles coulaient et ne laissaient pas deviner leur profondeur, ni les rapides qu’elles dissimulaient…

Par hasard, les deux romans auxquels j’ai pensé quand on m’a invité à écrire cette chronique étaient le dernier Lessard, Cinéma Royal, et L’été infini (Noir sur Blanc), de l’auteure danoise Madame Nielsen, à la phrase aussi labyrinthique que les déambulations urbaines des romans précédents de Lessard (tous chez Héliotrope). L’infini bien arrosé d’une rencontre à Louiseville, entre un barman et une belle Espagnole, je vous l’offre, ainsi que l’infini des utopies artistiques et amoureuses, où séjourne une petite communauté danoise des années 80. L’infini nous survivra s’il ne nous a pas tués, Nielsen et Lessard ne sont pas optimistes. Moi non plus. Mais j’aime que la littérature donne ce qui ne lui appartient pas. Qu’elle ne donne que ça?

Des guides très différents, la tendre et anarchiste Nielsen, le cynique et rêveur Lessard. La première, voyante, connaît de fond en comble le monde qu’elle nous fait visiter, elle anticipe le destin des corps qui muent d’un sexe à l’autre et passent de la santé à la mort – mais il y a un mystère terrible à ce grand plan cosmique, le mystère de l’échec, mystère que sa phrase essaie d’embrasser. Le deuxième au contraire feint ne pas savoir où il va ni ce que veulent ses faibles héros, sinon la lumière. Cinéma Royal écoute bien, regarde bien la langue, c’est-à-dire qu’il ne sait rien de ce qu’il a écouté, de ce qu’il a vu. Vertigo.

Deux romans courts aux phrases longues, partez avec eux, je vous en prie, comme on écoute les conversations des salons de la Recherche : parce qu’on n’en revient pas.

 

 

Triptyque a 40 ans cette année et beaucoup de livres à fêter. Son entrée au sein du Groupe Nota bene, il y a deux ans, lui a donné l’occasion de renouveler son catalogue de romans, d’essais littéraires et de poésie dans une veine plus éclatée, plus queer.

Photo : © Audrey Martel 

 

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