Jusqu’où peut aller le pouvoir de l’imagination?

Lena Dunham et Margaret Atwood ont encensé cet ouvrage, et avec raison. Dans Lapin, Mona Awad dépeint un monde qui tangue entre le féerique et le sinistre, explorant les ténèbres mystiques de la créativité et du contrôle. Samantha, étudiante en création littéraire à l’élitiste Université Warren, est marginale, solitaire et n’a qu’une amie : Ava. Du moins, c’est le cas jusqu’à ce qu’elle reçoive une invitation des « Lapins », ce groupe de filles étranges — les seules autres membres de sa cohorte. Bien qu’elles s’habillent en robe à crinoline et s’appellent mutuellement lapin, ces filles sont pourtant nimbées d’une aura menaçante…

1. POUR LES CONTRASTES CAPTIVANTS
Des robes en cupcake, des coiffures tressées à la Game of Thrones, des câlins et des compliments qui fusent sans cesse : les Lapins, c’est quatre filles qui parlent de licornes, de sexe, d’arcs-en-ciel et qui sentent bon les brioches ou le citron. Samantha, elle, est plus du genre chandail noir, collants troués, musique trash. Mais les voilà réunies dans l’Atelier, cours de création littéraire. Mona Awad semble jubiler à jouer des contrastes entre le récit d’horreur et celui de conte de fées : elle dépose ces filles qui semblent sortir d’une confiserie, rayonnantes de paillettes, superficielles et toujours collées les unes sur les autres, sur le campus de Warren, où, apprend-on au détour d’une phrase ici et là, des meurtres ont lieu, des décapitations arbitraires, des viols. On passe d’un univers rose bonbon étincelant à celui, toujours inquiétant et en filigrane, de ce campus où les étudiants doivent sonder l’Œuvre, percer la Blessure.

Ce roman a remporté le Ladies of Horror Fiction Award, dans sa version originale. Ainsi, à chaque page, on s’attend à tomber dans l’horreur. Mais c’est justement ce qui crée la tension, qui captive l’attention. Oui, il y aura du sang, des lapins qui explosent, d’étranges créations masculines… mais rien pour effrayer les foules, juste assez pour en faire un roman magistral. Le contraste entre les Lapins et l’univers ténébreux dans lequel elles évoluent est cruellement jouissif.

2. POUR L’ORIGINALITÉ DE L’ÉCRITURE
Il y a dans la plume de Mona Awad, auteure anglophone montréalaise qui demeure dorénavant à Boston et qui jouit déjà d’un beau succès grâce à son précédent roman encensé 13 Ways of Looking at a Fat Girl, une acuité qui perce à jour les faux-semblants. Elle trouve une multitude de comparaisons pour faire ressentir à son lecteur l’émotion de sa protagoniste, elle déniche la métaphore parfaite, sans jamais trop appuyer, pour faire naître le sourire chez celui qui la lit, elle crée des images impitoyables d’une grande puissance et, surtout, d’une grande originalité qui couvre de fraîcheur ce roman. « La shop », collection dans laquelle est publié ce roman, se fait un point d’honneur de miser sur les œuvres à l’écriture hybride et subversive; Lapin cadre sans contredit dans cette description! Et chapeau bas à la traductrice, Marie Frankland : son travail y est impeccable.

3. POUR LE TRAITEMENT RENOUVELÉ DU THÈME DE LA SOLITUDE
Au-delà de l’étrangeté à la fois des personnages et des actions, ce roman traite de sujets universels : la solitude et les amitiés féminines. Quel prix sommes-nous prêts à payer pour conserver notre identité, nos valeurs, tout en ne subissant plus cette solitude qui perce et blesse? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour ne plus être seuls? Quelles sont nos limites? L’imagination est-elle une alliée, ou, au contraire, la pire des traîtresses? En embaumant d’occultisme tout ce qui entoure le mythe de la création, de l’artiste vulnérable devant son œuvre, Mona Awad a trouvé où frapper pour que sa création à elle frappe fort.

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