3 raisons de lire… Komodo de David Vann

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3 raisons de lire... Komodo de David Vann
Lire du David Vann, c’est accepter de se laisser totalement désarçonner par l’art subtil de la tension narrative. Dans Komodo, on suit une famille volcanique, prête à exploser. La narratrice — 45 ans, mère épuisée de jumeaux de 5 ans et dont le mariage bat de l’aile — va rejoindre en Indonésie son frère, avec leur mère, pour y passer une semaine de plongée. On s’immerge alors dans les profondeurs marines pour assister à un impressionnant spectacle. Mais le lecteur sait que le danger guette; il reste donc sur le qui-vive, car nul ne sait d’où ce danger arrivera, nul ne sait ce qui éclatera…

1. Pour le voyage au fond des océans
C’est aux côtés des raies mantas, des tortues de mer, des poissons globes, des requins et autres créatures peuplant nos océans que nous entraîne David Vann, décrivant ces endroits peu fréquentés de telle sorte qu’on ait l’impression d’être assis devant un film nous présentant de la façon la plus fascinante qui soit le monde sous-marin. On voit ces poissons grandioses grâce à ses adroites descriptions, on sent la magnificence des lieux autant que la menace qui s’en dégage. On s’immerge sous l’eau avec la narratrice qui effectue les plongées, on a droit à du nature writing qui nous sort de la forêt pour nous emmener en profondeur marine. Sans jamais que ce roman bascule dans des descriptions lourdes et trop nombreuses, c’est au détour de chaque action, toujours en suivant les protagonistes, que se dévoilent les splendeurs et dangers marins.

2. Pour la tension, maintenue du début à la fin
Sukkwan Island, prix Médicis étranger 2010, avait bouleversé bien des lecteurs par cette tension maîtrisée de la première à la dernière page, par cet amalgame de beauté majestueuse et de noirceur terrifiante. Avec Komodo, comme dans Désolations d’ailleurs, David Vann reprend une formule qui a fait son succès et joue avec les nerfs du lecteur. Dès l’arrivée de la narratrice sur l’île, on sent la tension, dense et palpable, qui réside entre elle et son frère. Elle lui reproche d’avoir divorcé, il lui reproche de ne pas le comprendre. Mais la haine semble viscérale, et l’état de fatigue émotionnelle et physique dans lequel se trouve la protagoniste rend la compassion difficile, l’animosité plus aisée. Et comme ils font de la plongée leur activité quotidienne, là où les précautions sont nombreuses et nécessaires pour déjouer les lois de la nature et survivre, on sent immédiatement qu’il y a peut-être anguille sous roche… L’air viendra-t-il à manquer, et, si oui, dans la bombonne de qui? Ou peut-être que ce sont les requins qui seront la menace. Ou la noirceur abyssale qui fera en sorte qu’on perdra un coéquipier… Et si c’était tout simplement la haine des uns des autres? Ou encore rien de tout cela… Oui, Vann arrive à nous couper le souffle, à des centaines de mètres en profondeur.

3. Pour la façon dont le thème du burn-out maternel est traité
Les livres qui parlent de l’essoufflement des femmes dans leur rôle de mère sont nombreux depuis quelques années. Mais voilà que Komodo dissèque la question avec un doigté exceptionnel, expliquant le ras-le-bol d’une mère, frustrée, qui n’en peut tout simplement plus. Vann écrit ainsi sur la fatigue extrême de la narratrice qui, en cinq ans, n’a pas pris de congé, s’occupant jour et nuit de ses jumeaux sans que son mari, danseur professionnel qui côtoie des femmes bien plus jolies et jeunes que sa douce moitié, soit d’un grand support. L’auteur écrit sur le désespoir d’une mère de voir son corps ne plus lui appartenir, marqué par la maternité et l’absence de temps pour en prendre soin, sur cette frustration de devoir tout donner à autrui sans même qu’il lui reste quelques miettes pour elle, sur cette impuissance devant ses journées, meublées par les colères, les couches et les tâches ménagères, qui défilent et se ressemblent. Qui plus est — et c’est là qu’on sait qu’on a affaire à un grand écrivain —, David Vann se glisse dans la peau de la narratrice sans jamais qu’aucune faille laisse voir que cet auteur, un homme, ait oublié un angle d’approche sur la maternité. Le personnage qu’il a créé est crédible, complexe, fort. Et la souffrance de la mère, exprimée à travers une colère sourde et robuste, est réellement puissante, tendant ce roman comme le fil d’un arc prêt à tirer sa flèche.

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