L’auteur-compositeur-interprète Benoit Pinette, mieux connu sous le pseudonyme Tire le coyote, a sept albums à son actif qui comportent tous, au cœur de mélodies enveloppantes, des textes où l’essence poétique domine. Il était donc un peu naturel que le chanteur en vienne un moment ou l’autre à la publication d’un recueil de poésie, La mémoire est une corde de bois d’allumage (La Peuplade), paru en février. Comme un poète en cache souvent plusieurs autres, nous avons voulu connaître les lectures que chérit l’homme amoureux des mots.

Les livres sont plutôt arrivés sur le tard pour Benoit Pinette puisqu’enfant et adolescent, il lisait peu. C’est de son désir d’écrire qu’est apparue sa curiosité pour la lecture, souhaitant être au fait de la manière dont les autres s’y prenaient pour aligner les phrases et tendre à une œuvre en bonne et due forme. « Si on veut trouver sa propre personnalité à travers l’écriture, il faut être en mesure de savoir l’analyser et on apprend à le faire avec des références », dit-il. Comme des balises qui servent à nous définir et à nous situer, les mots des autres permettent de nous affirmer en tant que créateur pour ensuite sillonner nos propres sentiers.

Il a d’ailleurs commencé un baccalauréat en littérature pour ensuite changer son fusil d’épaule vers la création littéraire, car ce qui l’intéressait vraiment, c’était écrire. La première étincelle qui a mis le feu est Paroles de Jacques Prévert qu’un professeur au cégep lui avait fait lire. « Ce qui m’attirait, c’était la simplicité, la capacité de créer des images exceptionnelles, mais avec un langage du quotidien. Je me suis rendu compte que tout pouvait être de la poésie : on s’assoit dans un café, on regarde passer les gens et il y a une sorte de poésie là-dedans », exprime Benoit Pinette. En explorant les diverses avenues d’écriture, il s’aperçoit rapidement que ce sont les formes courtes qui lui plaisent davantage, la chanson et la poésie. Il continue son défrichage du côté des Québécois et L’homme rapaillé de Gaston Miron a su l’impressionner et toucher une corde sensible par son thème de l’amour. Il cite également Richard Desjardins dont il considère les textes de chansons comme de la poésie.

D’ailleurs, en tant qu’auteur de chansons habitué à ensemencer son art d’accents poétiques, Benoit Pinette croyait qu’écrire un recueil irait un peu de soi pour lui. Pas tant que ça, en fin de compte, car contrairement à la chanson qui impose certaines règles avec ses couplets, son refrain et ses rimes, le recueil laisse une liberté qui tient du vertige. Au fil du travail, il prend conscience qu’il préfère la brièveté et que c’est dans cette structure qu’il prend ses aises. « C’est bien de se concentrer sur une image et de la mettre en valeur le plus possible, explique-t-il. J’aime qu’un poème puisse devenir une citation, un peu comme la poésie de Joséphine Bacon. Ce sont de courts poèmes, mais j’ai l’impression qu’il y a tout dedans, que c’est une phrase ou deux qui nous accompagne et qui nous aide à vivre, finalement. » Il considère que la publication de son recueil représente le plus grand accomplissement qu’il ait réalisé. Que la place soit entièrement occupée par les mots demande selon lui du courage aux écrivains, pour lesquels il dit éprouver beaucoup de respect.

Cœur, corps et esprit
Certaines œuvres sont fréquentées plusieurs fois par notre invité, c’est le cas de Là où fuit le monde en lumière de Rose Eliceiry qui se tient tel un phare dans la bibliographie du chanteur-poète. Même admiration pour Tabloïd de Mathieu K. Blais qu’il a relu sans compter, et pour les poèmes de Marie-Andrée Gill. Il a aussi visité à maintes reprises le recueil La fatigue des fruits de Jean-Christophe Réhel.

Lors de sa dernière tournée, Tire le coyote invitait des poètes à réciter un poème pendant ses spectacles, se faisant plaisir tout en partageant ses coups de cœur avec le public. Les mots l’accompagnent en tous lieux. « Ça peut être un poème qui me suit toute une journée et qui me reste en tête, avoue-t-il. La lecture m’amène aussi à me questionner sur mon propre rapport aux mots, ce qui me permet de me replonger dans mon travail d’une autre manière. » Un des derniers livres qui a laissé une empreinte chez Benoit Pinette est Shuni de Naomi Fontaine, qu’il considère être « une autrice de grand talent ». Il a parcouru déjà plusieurs écrits sur les peuples autochtones, mais c’est celui qui l’a le plus immergé dans la réalité de la vie quotidienne dans une réserve et l’a fait réfléchir sur notre regard en tant que Blancs. Chaque fois qu’il entre dans un livre, il a « envie d’être chaviré » en même temps qu’il souhaite que cela fasse naître une réflexion. Toute son interaction à l’art est tissée de cette façon, le cœur et l’esprit demandent à être percutés. « Si un livre me fait pleurer, c’est parfait, j’accepte cette possibilité-là », confie-t-il. Quand un livre marque un point, il n’hésite pas à distribuer la bonne nouvelle en l’offrant autour de lui. Ce fut le cas pour Ornithologie, le dernier recueil de poésie de Mathieu K. Blais, qu’il estime être une belle voie d’accès pour ceux qui sont moins familiers avec la poésie. Il sait susciter l’émotion, par exemple en développant sur sa relation avec la mort, tout en sachant y mettre un filet d’humour.

Excepté la poésie, il aime bien lire les biographies de musiciens, celle de Patti Smith, Just Kids, qui relate les moments charnières de sa jeunesse et les éclats d’une époque en pleine effervescence dans le New York des années 60-70, et L’année du singe, son plus récent livre, qui donne à lire les pensées de l’artiste alors qu’elle a atteint l’âge de 70 ans. Le livre Let’s Go (So We Can Get Back), mémoires de Jeff Tweedy, chanteur du groupe américain Wilco, lui a permis d’en apprendre sur le processus créatif du leader.

Qu’il écrive en prose ou en poésie, des mémoires ou de la fiction, l’écrivain apporte une vision plus large, différente sur le monde, une ouverture chez le lecteur qui lui amène un espace de questionnements, selon notre libraire d’un jour. C’est par ailleurs cette même atmosphère d’introspection que notre invité retrouve lorsqu’il visite une librairie, comme une alcôve de tranquillité qui le porte en premier lieu presque toujours vers la section poésie. Si ce n’est pas le hasard ou un libraire qui le conduit à s’emparer d’un livre, c’est parfois son entourage qui lui donne l’occasion de faire une découverte. Dernièrement, sa copine l’a sommé de lire le roman La lutte de Mathieu Poulin, qu’il se promet de traverser incessamment. Mylène Bouchard, son éditrice, l’a dirigé du côté de la Finlandaise Tove Jansson avec Le livre d’un été, une des traductions de la maison La Peuplade. Retour en poésie, toujours, avec cette fois-ci Poissons volants de François Rioux qui attend également qu’on l’explore dans les prochaines semaines. Et un florilège d’autres à venir et qui deviendront pour le poète des territoires peuplés où il fera bon se recueillir et s’inspirer.

Photo : © Laurence Grandbois Bernard

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