Thomas Hellman: Passion poétique

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    Détenteur d’une maîtrise en littérature française de l’Université McGill, l’auteur-compositeur-interprète Thomas Hellman a notamment mérité le Prix d’excellence Félix-Leclerc 2007 pour son album L’appartement, qui lui avait également valu un coup de cœur de l’Académie Charles-Cros. La récente parution aux éditions de l’Hexagone de son livre-disque Thomas Hellman chante Roland Giguère nous a fourni le prétexte idéal pour causer lecture avec ce grand amoureux de la poésie.

    Prendre parole
    Depuis notre excursion en Europe l’été dernier, au cours de laquelle Thomas Hellman et moi avons pris part au Marathon des mots de Toulouse, l’enthousiasme de ce troubadour moderne né de mère niçoise et de père texan pour l’œuvre de Roland Giguère n’a manifestement pas décru d’un iota. Interpellé par la force des thèmes récurrents de l’œuvre du poète, dessinateur, graveur et peintre disparu en 2003, Hellman n’a pas hésité à solliciter l’aval de Marthe Gonneville, la veuve de Giguère, qui a beaucoup apprécié l’initiative. « Quelque chose dans son écriture me touche beaucoup, me confiait-il déjà en juin. Elle est d’une autre époque, d’une autre génération, très proche du surréalisme, mais avec un solide ancrage dans le réel. Sa poésie a un côté triste et sombre, mais elle dégage aussi beaucoup de lumière. Et elle convient parfaitement à la musique folk. »

    On peut à la fois s’étonner et se réjouir de ce que la poésie québécoise semble inspirer les chanteurs québécois ces temps derniers. En effet, le livre-disque de Thomas Hellman d’après Roland Giguère sort dans la foulée de l’album À genoux dans le désir de son contemporain Yann Perreau d’après les textes de Claude Péloquin, et les deux s’inscrivent apparemment dans une résurgence de la poésie chantée provoquée par les Douze hommes rapaillés qui se sont approprié Miron pour mieux le faire (re)découvrir. « C’est certain que Roland Giguère n’est pas aussi connu que Miron, mais sa poésie méritait une deuxième vie, ajoute Hellman. Cette œuvre voulait vivre et ça s’est fait sans effort, parce que je n’en ai été que le véhicule. »

    Fanatique de poésie depuis très longtemps, Hellman reste très attaché au livre comme objet matériel et insiste sur le contact sensitif avec celui-ci. « Dans ma bibliothèque personnelle, j’ai de vieux livres avec des traces de doigts, des notes dans la marge. Pour moi, le livre est un objet important. » Ceux qui, comme moi, l’ont vu présenter son concert littéraire, accompagné par la contrebasse de l’excellent Sage Reynolds, n’ignorent pas sa passion pour les mots d’auteurs comme Samuel Beckett, Leonard Cohen, Eduardo Galeano ou encore Patrice Desbiens, dont il avait d’ailleurs défendu ardemment le recueil L’Homme invisible / The Invisible Man lors du septième Combat des livres présenté en 2010 à l’émission Christiane Charette de la Première Chaîne de Radio-Canada. « Chez Desbiens comme chez d’autres poètes que j’aime – Allen Ginsberg, Charles Bukowski ou même Tom Waits –, j’apprécie la capacité d’utiliser le langage sans artifice pour exprimer la complexité, la densité du monde; dire le réel quotidien et le transcender par l’écriture. »

    Simplicité volontaire
    De son propre aveu, Thomas Hellman aime les écritures simples, les écrivains capables d’articuler leur vision du monde sans esbroufe stylistique. Pas étonnant alors qu’il porte toujours en son cœur des romans et des pièces du grand Samuel Beckett qui, comme lui, a vécu et œuvré à cheval sur deux univers linguistiques. Hellman tient d’ailleurs en haute estime le roman Malone meurt. « L’idée du silence de Dieu devant le sort des hommes, je l’avais déjà croisée dans Nietzsche bien entendu. Mais elle nous frappe avec davantage de force chez Beckett — En attendant Godot, par exemple — parce qu’elle s’incarne à travers des personnages comiques et tragiques qui nous émeuvent. »

    Au sujet d’Eduardo Galeano, lauréat du Prix Stig-Dagerman 2010, qu’il m’a personnellement fait découvrir dans le cadre de ses concerts alliant lecture et chanson, Thomas Hellman ne tarit pas d’éloges : « Galeano, c’est un exilé des dictatures uruguayenne et argentine qui a longtemps vécu en Espagne. Dans Les voix du temps, il mélange brillamment la poésie, le conte, la chronique et le texte d’opinion. C’est un livre magnifique, vraiment. » Avec la même passion, le même enthousiasme, Thomas Hellman louange l’iconoclaste romancier Samuel Archibald, figure de proue de la littérature québécoise émergente, dont l’inclassable Arvida, ce véritable OVNI littéraire, l’a carrément envoûté.

    Amateur de contes et de nouvelles, Hellman cite volontiers Ernest Hemingway et Raymond Carver, de même que Jacques Ferron, comme des grands maîtres des formes narratives brèves, en déplorant du même souffle que les histoires courtes ne soient pas davantage prisées par les lecteurs de la francophonie. Et sur La Charrette de Ferron, notre libraire d’un jour renchérira en termes non équivoques : « J’ai aimé ses Contes mais, pour moi, La Charette est l’une des plus grandes œuvres de la littérature d’ici. Comme Flaubert en son temps, Ferron s’approprie l’expérience et la réalité québécoises et les transfigure, les rend véritablement universelles. »

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