Sophie Cadieux: Tout feu tout flamme

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L'actrice et comédienne québécoise Sophie Cadieux est une véritable passionnée de livres, et cet attachement ne date pas d'hier. De nature vive, elle aime plonger dans des univers très diversifiés qui lui offrent l'occasion d'explorer les mots, auxquels elle voue un véritable amour, tout autant qu'à la beauté de l'image et du dessin. Rencontre éclatée.

Sommes-nous, d’une certaine façon, le produit de nos lectures, de tous ces mots qui trempent notre jeunesse puis notre maturité, et qui nous forgent, ou bien les livres vers lesquels nous gravitons constituent-ils plutôt autant d’indices, d’empreintes fragmentaires, qui sont révélateurs de notre personne? L’œuf ou la poule, en somme. C’est une question qui vient à l’esprit quand Sophie Cadieux, la flamme dans le regard, évoque avec délices ses choix de lecture. Des choix qui parlent de certaines constantes: curiosité, ouverture, éclectisme, mouvement.

Lire partout, malgré tout
«J’aime lire plusieurs choses en même temps», précise la jeune femme, qui raconte qu’elle a tout le temps un livre dans son sac à main, «un livre ici, un livre à la maison». Elle confesse par ailleurs salir ses livres, les malmener: «Cela n’a pas de bon sens, vous devriez voir ça! J’aime quand mes livres s’usent, je suis une lectrice manuelle.»

Chez Sophie Cadieux, pas de discrimination dans les affections. Elle a cependant une attirance particulière pour les livres de photos, d’art, ces beaux ouvrages qu’elle regarde chez elle pendant les rares temps morts que lui concède son métier. Mais il y a aussi tous les volumes qu’elle traîne avec elle: «J’adore les livres de poche; moi qui suis toujours en transports en commun, je les traîne dans ma besace, et plus c’est petit, mieux c’est.» Entre les productions, les pièces ou les tournages, la lectrice a tout de même beaucoup le loisir de s’adonner à sa passion: «Cette année, en plus, je faisais une chronique littéraire à Bazzo.TV, avec le club de lecture. Cela m’a permis de faire des découvertes.»

L’adolescence formatrice
Enfant, c’est tout naturellement que la passion des mots s’est animée en elle. Sa mère lui mettait toujours un livre dans les mains: «La littérature a toujours été très importante chez nous, mais ce qu’aimait ma mère n’était pas la littérature que j’ai embrassée par la suite, c’était du Guy des Cars, par exemple, des Agatha Christie, ces choses que ma mère lisait à 35 ans.» Sophie Cadieux raconte que c’est à partir de 13 ans qu’elle a commencé à se constituer sa propre bibliothèque, avec des goûts bien définis. Mais elle souligne tout de même que c’est bel et bien à sa mère qu’elle doit l’amour des livres.

Ces coups de cœur venus à l’adolescence ont des résonances plus que familières. Un sourire aux lèvres, la jeune femme évoque Michel Tremblay, Boris Vian et Huxley, puis l’écriture lumineuse de Marie-Christine Blais: «Tu as 15 ans et tu commences à « rentrer » dans ces auteurs-là; j’ai découvert Camus, Sartre. Je me rends compte à présent que je ne comprenais pas tout. Je lisais à un niveau, bien sûr… Dans le cas de L’étranger, j’avais 14 ans.»

La bédécouverte
Bien sûr, les exigences du métier viennent parfois jouer les trouble-fête ou plutôt fragmenter la lecture, ce qui n’est pas pour déplaire à cette nature dynamique: «Bien souvent, je dois apprendre des textes, et avant une importante production, le mois avant tout au moins, j’ai moins la chance de lire, ou alors je vais lire ce que j’ai découvert dans les dernières années.» Et cette découverte, c’est l’univers de la BD: «Vraiment, c’est quelque chose qui a donné un second souffle à ma qualité de lecture, car si je suis très intéressée par des œuvres qui me font réfléchir, parfois, quand j’arrive chez moi à 11 heures du soir, je n’ai pas forcément envie de lire Kafka avant de m’endormir; cela demande une implication trop grande.»

Rien pourtant ne prédisposait Sophie Cadieux à cet amour tardif pour la bande dessinée, un genre qui ne l’attirait guère, enfant: «J’avais un préjugé quand j’étais petite; Tintin, Astérix, ce n’était pas des dessins qui me revenaient, je n’avais pas de sensibilité pour ça.» Mais la BD a évolué, tout particulièrement au Québec. Et, attirée par cette vague de création, Sophie s’est mise à fréquenter les librairies spécialisées, à découvrir Mécanique générale, la maison de Jimmy Beaulieu: «Ce fut une révélation; à la fois la sensibilité dans le trait, mais aussi le fait que j’y trouve une œuvre littéraire, une vraie.» De là est venu son intérêt pour les romans graphiques car, dit-elle, «les romans [qu’elle] aime sont des livres bricolés, inventés».

Au cœur de l’exploration littéraire
«Je suis une lectrice impressionniste, renchérit la jeune interprète. Je vais commencer des livres, je m’arrête, car cela ne correspond pas à mon humeur. Je les reprends plus tard. Quand j’ai commencé Un dimanche à la piscine à Kigali, c’était l’automne, tout était un peu trop lourd. Un mois plus tard, j’ai «embarqué» dedans.» Elle qui a suivi des études en littérature s’est beaucoup penchée sur le roman français: «Avec Proust, j’ai vécu plusieurs étés à lire l’un des tomes d’À la recherche du temps perdu. J’adorais, mais il faut une prédisposition, il faut que ce soit ensoleillé, l’après-midi, pour lire Proust dans un parc et s’endormir, se réveiller puis lire encore un peu.» Un type de livre la rebute-t-il? «Je ne suis pas folle du roman policier», concède après réflexion la comédienne avec une légère moue. «Pourtant, tout le monde cherche à me convaincre d’en lire. Jean Barbe, Pierre Curzi, tout le monde me donnait des livres. J’ai commencé, j’ai lu, et je ne suis pas tombée en amour, même avec des grands comme Henning Mankell», précise-t-elle. «J’aime par contre beaucoup lire du théâtre. Mon métier est sans doute une conjonction de ma passion des mots et ma passion de la lecture, mais je suis bien trop énervée pour rester assise à faire un travail en littérature, un travail sédentaire. Je passe ma vie à lire, à tenter de comprendre les mots, et puis à les faire vivre en bougeant. Beckett est l’un des premiers pour lequel j’ai eu l’impression que l’œuvre existe, avec Shakespeare aussi, mais, hélas, les bonnes traductions en sont rares. Il y a aussi Tchékov, bien sûr».

Ma génération
Finalement, Sophie Cadieux souligne l’importance, pour elle, de lire des auteurs de sa propre génération. Citant le recueil de nouvelles de Marie Hélène Poitras, La mort de Mignonne et autres histoires, elle dit avoir beaucoup prisé l’impression de vivre la même chose que l’écrivaine, de sentir une parenté d’esprit: «Je me sentais grandir avec elle, et je pense que je vais vieillir avec elle.» En ce sens, si elle apprécie l’écriture au féminin des Gabrielle Roy et Marie-Claire Blais, Sophie Cadieux se sent tout aussi attirée par des univers masculins contemporains comme celui de Jimmy Beaulieu, l’un de ses grands favoris. Elle conclut que «le roman de ma vie est L’avalée des avalés, de Ducharme, que je reprends périodiquement, que je relis aux 4, 5 ans. Et je le revois tout le temps d’un œil différent; je vieillis avec ce livre-là».

Bibliographie :
L’étranger, Albert Camus, Folio, 174 p., 7,95$
Un dimanche à la piscine à Kigali, Gil Courtemanche, Boréal, coll. Compact,284 p., 14,95$
Le moral des troupes, Jimmy Beaulieu, Mécanique générale, 158 p., 19,95$
À la recherche du temps perdu, Marcel Proust, Gallimard, coll. Quarto, 2408 p., 57$
La mort de Mignonne et autres histoires, Marie Hélène Poitras, Triptyque, 170 p., 13$
L’avalée des avalés, Réjean Ducharme, Folio, 384 p., 17,95$

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