Patrice Godin : Les grands espaces

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    L’acteur Patrice Godin, que l’on a vu au théâtre, à la télévision et au cinéma, est aussi ce qu’on appelle un ultramarathonien. En écrivant Territoires inconnus, une sorte de journal de bord qui retrace la voie d’un homme épris de liberté et d’indépendance, il se montre sous un autre jour. Si, lorsqu’il court, Patrice Godin ne se donne jamais le droit de regarder en arrière, dans l’écriture, il se permet ce coup d’œil par-dessus l’épaule afin de se rappeler le chemin parcouru.

    L’ultramarathon, qui consiste à courir durant un minimum de six heures (et un maximum de six jours!), est une épreuve particulièrement intense où sont mis à profit le dépassement et la persévérance. Chez Patrice Godin, l’envie farouche des grands espaces et de hautes altitudes, au propre comme au figuré, se retrouvent partout, jusque dans ses lectures. S’il accorde une importance considérable à la course, la littérature prend également une grande place dans sa vie.

    La corrélation entre le livre et la course nous donne tout de suite l’idée d’évoquer l’auteur japonais Haruki Murakami qui a écrit Autoportrait de l’auteur en coureur de fond et pour qui courir est devenu nécessaire à son équilibre. Godin abonde dans le même sens : « Grâce à la course, j’ai réussi à me mettre sérieusement à l’écriture. Elle m’a apporté la discipline. » Tous les paliers de persévérance que l’on doit franchir lors d’un ultramarathon aident sûrement aussi à se donner les moyens de ses ambitions littéraires. Plus que l’activité même, la course est connotée de nombreuses métaphores. L‘attention dirigée vers la ligne d’horizon, l’importance de chaque pas qui compte dans la poursuite du but. Tous ces principes de patience et d’autodétermination que lui procure la course, il les retrouve aussi dans les livres.

    Patrice Godin est natif de Lac-Saint-Joseph, à proximité de Québec. Jeune, il lit des romans qu’il qualifie lui-même de faciles. Ce sont des livres écrits d’après des scénarios publiés par la maison d’édition J’ai lu. Il se souvient, par exemple, du titre Officier et gentleman. À l’adolescence, il se met à lire le maître incontesté de l’horreur, Stephen King, dont il retient particulièrement Simetierre.

    Lorsqu’il arrive à Montréal en 1987, près d’entamer ses études à l’École nationale de théâtre, il fait la découverte de Philippe Djian en tant qu’écrivain de 37,2 le matin et Maudit manège, mais aussi en tant que conseiller littéraire. « C’est vraiment avec lui que j’ai eu la piqûre de la littérature parce que Philippe Djian, dans ses premiers romans, parlait beaucoup des auteurs qu’il aimait. C’est avec lui que j’ai découvert John Fante, Bukowski, Brautigan. » En partant du principe que les amis des amis sont des amis, le club a effectivement de bonnes chances de s’agrandir rapidement. « J’avais la jeune vingtaine, j’aimais beaucoup l’image, comme je pense que tous les jeunes ont, du poète maudit. » La figure de la jeunesse incomprise attirée par les paradis artificiels. « Même si le personnage de Djian dans ces années-là avait plus 30-35 ans, étrangement je me reconnaissais en lui dans mon appartement sur le Plateau Mont-Royal à fumer des cigarettes, boire de l’alcool et courir après les belles filles. »

    Avec Patrice Godin, il est donc possible d’authentifier le dicton « dites-moi ce que vous lisez, je vous dirai qui vous êtes ». Il est en effet étonnant de constater qu’en parcourant la bibliothèque d’un lecteur, on peut y voir une bonne partie de son évolution. Avant, c’était la bohème, aujourd’hui, c’est la course. Entre autres inspirations, Born to Run : né pour courir de Christopher McDougall. Un classique du genre. Dans ses découvertes récentes, on trouve un livre au titre fort inspirant, Marcher ou l’art de mener une vie déréglée et poétique d’un auteur norvégien, Tomas Espedal. Un livre pris au hasard lors d’une visite impromptue dans une librairie de Québec, le récit de vie d’un type qui quitte tout et qui se met à marcher, tout simplement, parcourant ainsi la Norvège et révélant des écrivains qui l’ont marqué. « Ce matin même, je suis allé m’acheter Eat & Run : manger pour gagner de Scott Jurek, un des plus grands ultramarathoniens présentement. Dans son livre, il raconte sa transformation de jeune gars qui vient d’un trou du Minnesota à celui d’un des plus grands ultramarathoniens au monde. »

    Du côté québécois, Patrice Godin aime particulièrement Vautour de Christian Mistral, un roman fort sur l’amitié. « D’ailleurs, c’est un livre que je devrais relire. En y pensant comme ça, j’ai tout de suite le goût. » Il y a aussi Louis Hamelin avec La rage, Ces spectres agités, Cowboy. « Au début des années 2000, il y a eu Chercher le vent de Guillaume Vigneault qui m’avait beaucoup plu. Je m’étais beaucoup retrouvé dans ce personnage-là. »

    Son œuvre marquante, Patrice Godin la doit à Wolf, le premier livre qu’il a lu de Jim Harrison, également le premier roman de l’écrivain. « J’étais entre ma deuxième et ma troisième année à l’école de théâtre et je vivais avec mon chien en appartement. Il est mort cet été-là. Et le seul livre que j’ai acheté, c’est Wolf qui, si je ne m’abuse, est dédié à un de ses chiens aussi. Ç’a été ma découverte du grand Jim, s’enthousiasme Godin. Aujourd’hui, j’ai une femelle berger belge qui s’appelle Dalva, comme le personnage principal du roman Dalva de Jim Harrison. La boucle est bouclée! » Ce qui lui plaît chez Harrison, ce sont les grands espaces qui occupent ses livres et qui donnent ce sentiment de liberté dont ses antihéros sont toujours un peu en quête. « Beaucoup d’écrivains américains ont peuplé mon imaginaire, en fait. » Autre preuve de cela, Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway, qu’il a lu dans l’avion qui l’amenait de Montréal à Varsovie où il allait tourner la télésérie Ces enfants d’ailleurs. C’est ce qui fait aussi la force de la littérature : elle vient ponctuer des moments de notre vie, marquer des repères et nous faire vivre des expériences en parallèle qui ajoutent et influencent ce qu’on est en train de vivre.

    En achevant presque l’entrevue, nous nous rendons compte de l’absence d’auteurs féminins. Il plaide le hasard et rectifie le tir tout de suite, s’empressant de nommer Marguerite Duras, friand qu’il est de La vie matérielle, un livre d’entretiens où l’écrivaine aborde différents sujets. « J’aime beaucoup Virginie Despentes, j’avais commencé par Les jolies choses. Encore là, on a quelqu’un qui est très cru, très direct. Je suis toujours intéressé quand elle sort un livre. »

    La relecture est aussi un exercice que Patrice Godin pratique. « Je suis en train de relire Les clochards célestes où Kerouac va justement s’installer dans les montagnes et entreprend une longue randonnée. » Relire, c’est un peu reprendre contact avec une partie de soi-même. On peut également renouer avec une œuvre des années plus tard et l’aimer encore, mais pour d’autres raisons. Et faire un bilan de notre propre feuille de route, si le cœur nous en dit. Nous arrivons à la conclusion qu’avec la littérature, il est parfois possible d’entreprendre de véritables thérapies!

    Crédit photo : © Michel Paquet

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