Pascale Montpetit: Dans l’intimité des écrivains

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Le grand public la connaît pour ses rôles au cinéma (entre autres, dans la trilogie que composent les films La Beauté de Pandore, Le Cœur au poing et Eldorado de Charles Binamé), à la télévision (Mon meilleur ennemi, Diva et Blanche) ou au théâtre (Les Oranges sont vertes de Claude Gauvreau, Ines Pérée, Inat Tendu de Réjean Ducharme), qui lui ont valu de nombreux prix d'interprétation. Rencontre avec une lectrice qui aime entrer, en toute amitié, dans l'intimité des œuvres et des écrivains.

Avec un brin d’embarras, Pascale Montpetit avoue que malgré une bibliothèque familiale bien garnie et la place qu’occupait la lecture dans la vie de ses parents, elle n’a eu la piqûre de la lecture que sur le tard: «Petite, je lisais peu, je n’arrivais pas à me faire une place dans les livres, confie-t-elle. Pourtant, ma mère nous lisait les contes d’Andersen, des frères Grimm, de Perrault, et je me souviens que ma famille se retrouvait autour de la table comme dans un club de lecture pour commenter les livres qui passaient de main en main. Je ne me sentais pas dans le coup. Je me rendais pourtant bien compte qu’il devait y avoir quelque chose là-dedans.»

Par contre, l’envoûtement des mots a vite été communiqué à la future comédienne par son père, amateur de poésie. «Avant les paragraphes et les phrases, les mots, les jeux de mots étaient très présents chez nous. Je me rappelle de ce vers de Paul Éluard:  » La terre est bleue comme une orange « , même si, enfant, je ne comprenais pas bien ce qu’il voulait dire. Je comprenais, en tout cas, qu’on pouvait s’amuser avec les mots», se souvient Pascale Montpetit.

À l’adolescence, elle découvre l’univers d’Émile Ajar (Romain Gary), qui change son rapport à la littérature: «La Vie devant soi n’était pas mon premier livre, j’avais bien sûr lu les livres au programme à l’école; mais c’est le premier à avoir laissé une impression durable sur moi. Je souhaite à tout le monde de vivre une rencontre semblable: Ajar a été le premier écrivain à devenir comme un ami intime pour moi — c’est Dany Laferrière qui m’a appris cette image pour parler d’un écrivain dont on fréquente l’œuvre.»

Comme bien des jeunes, l’«amie intime» de Gary ne se fait pas prier pour céder au charme de Prévert, de Vian et de ces autres écrivains qui ont un rapport ludique avec la langue et l’imaginaire «parce que leurs écrits étaient fins et en même temps fous. Survient sur son parcours de lectrice Le Roi des aulnes de Michel Tournier, et en particulier Vendredi ou Les limbes du Pacifique, qui l’impressionne «grâce à toute la mythologie qu’il reprenait au Robinson Crusoe de Defoe, et qu’il réinventait».

L’amour des mots, l’appel des planches
«Je ne m’imaginais pas comédienne et, bien franchement, le goût du théâtre m’est arrivé comme une « envie de pisser », confesse candidement Pascale Montpetit. Après coup, je vois les liens: les mots sont la matière première pour un acteur; mon choix de carrière n’est donc pas si surprenant. Pour être acteur, il faut aimer les textes plus que la scène. Parce qu’on passe plus de temps dans l’intimité de l’écrivain que sur les planches à jouer.»

On devine, avant qu’elle les nomme, que les premiers auteurs dramatiques qui l’ont séduite appartiennent à cette même école pour qui le côté ludique n’exclut pas la gravité: Ionesco, Beckett, notamment, mais aussi Ducharme, qu’elle jouera avec brio au TNM en 1991: «Mes parents et leurs amis  » trippaient  » tous sur Ducharme, qui est comme entré par infraction chez nous, explique-t-elle. Je regardais ses titres qui s’alignaient dans la bibliothèque et, à mes yeux, ç’avait l’air d’une vitrine de bonbons. Mais quand j’ouvrais les livres, je ne comprenais pas ses phrases. Plus tard, quand j’ai réussi à pénétrer dans son monde, je n’ai plus eu envie d’en ressortir.»

D’ailleurs, quand la comédienne aura à se colleter professionnellement avec l’univers de Ducharme, elle n’hésitera pas à écrire à l’écrivain mystère pour lui demander des éclaircissements sur un aspect de sa pièce Ines Pérée, Inat Tendu: «Il m’a répondu par une charmante lettre, que j’ai gardée évidemment, où il me disait en gros:  » Métaphore yourself « . Ce conseil, qui m’a resservi après, c’est toute une ligne de conduite pour un acteur!»

Le réseau des références
Fébrile, la comédienne multiplie volontiers les titres d’œuvres, les noms d’auteurs qu’elle chérit: Henry Miller, qui fut dans sa jeune vingtaine une sorte de mentor lui donnant le courage de prendre des risques dans sa vie professionnelle et avec qui elle aurait aimé partager une tasse de thé à Paris; Daniel Pennac, si émouvant dans ses confessions de cancre; Ernest Hemingway, à qui son père vouait presque un culte et qui lui a justement permis de se rapprocher du défunt après sa disparition par la lecture de Le Vieil Homme et La Mer: «On n’aime pas les auteurs pour les mêmes raisons», reconnaît Pascale Montpetit, que l’évocation d’Hemingway conduit presque automatiquement à parler de Jacques Poulin. «Lui, je l’aime pour son style, surtout à partir du Vieux Chagrin. On lui reproche d’écrire toujours le même livre, avec le même narrateur-écrivain, le nombre restreint de personnages. Mais j’adore son écriture, sa
délicatesse dans l’exposition des sentiments. C’est l’écrivain de l’intimité par excellence.»

Pour Pascale Montpetit, l’un des charmes de la littérature, c’est le réseau de liens qu’elle permet de tisser entre des œuvres diverses: «C’est parce que j’ai tant aimé Laferrière que je suis allée vers les écrivains qu’il cite dans ses livres et dans ses chroniques: Montaigne, Hemingway, Baldwin — que j’ai adoré! — et qui, lui, m’a menée à Alain Mabanckou, dont j’ai par la suite aimé Mémoires de porc-épic et Verre cassé. Au fond, la littérature est une invitation au voyage. D’ailleurs, avant de visiter un pays, je crois qu’on devrait toujours fréquenter ses écrivains.»

Bibliographie :
Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, Dany Laferrière, Typo, 192 p., 11,95$
La Vie devant soi Émile Ajar, (Romain Gary), Folio, 286 p., 12,95$
Mémoires de porc-épic, Alain Mabanckou, Points, 256 p., 12,95$ et 14,95$
Le Vieil Homme et La Mer, Ernest Hemingway, Folio, 160 p., 7,95$
Le Vieux Chagrin, Jacques Poulin, Babel, 192 p., 10,50$
L’Avalée des avalés, Réjean Ducharme, Folio, 384 p., 17,95$
Vendredi ou Les Limbes du Pacifique, Michel Tournier, Folio, 288 p., 12,95$

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