Micheline Lanctôt : Arrêts sur pages

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Propulsée à l'avant-scène de notre cinéma dès ses premiers rôles inoubliables (notamment dans La vraie nature de Bernadette ou The Apprenticeship of Duddy Kravitz), Micheline Lanctôt n'a pas tardé à s'affirmer, de l'autre côté de la caméra, comme une réalisatrice de tout premier plan (L'homme à tout faire, Sonatine ou La vie d'un héros). Récemment devenue la deuxième cinéaste à recevoir le prix Albert-Tessier (après sa collègue Anne Claire Poirier), Micheline Lanctôt ne mâche pas ses mots pour critiquer nos institutions, paradoxalement assez promptes à saluer le travail accompli des artistes, et assez peu enclines à soutenir la création à venir. En attendant de trouver du financement pour son prochain film, elle aimablement accepté de discuter lecture et littérature avec nous.

Parlez-nous de votre éveil à la lecture, de vos auteurs fétiches !

J’ai toujours été une lectrice avide. Et, comme mes parents ne faisaient pas grand cas de l’index, j’ai eu accès à des œuvres majeures de la littérature assez tôt. Beaucoup d’auteurs m’ont impressionnée. Ma découverte de Proust, ç’a été comme une révélation. J’ai lu et relu La recherche du temps perdu sans jamais m’en lasser, et je compte bien le relire encore. Je suis aussi une grande admiratrice de Colette, dont j’ai acheté les œuvres complètes dans La Pléiade. J’ai relu avec plaisir les Claudine et les autres romans, mais je pense que c’est dans les nouvelles et dans les souvenirs romancés que l’on trouve la grande Colette. Les premiers romans étaient assez besogneux, je crois, et c’est véritablement comme nouvelliste qu’elle est devenue Colette. Je pense à des textes comme La chatte ou Le curé sur le mur ; c’est là que son écriture atteint une dimension carrément transcendantale.

Autrement, j’ai fréquenté brièvement Kafka, moins les romans majeurs que les longues nouvelles comme La métamorphose ou La colonie pénitentiaire et, plus encore, la Correspondance. Je m’en suis lassée; quelque chose me fatiguait ; j’ai fini par comprendre que c’était la traduction. J’ai déjà fait un peu de travail de traductrice et je sens quand une traduction n’épouse pas bien l’univers d’un auteur. Tiens, ça me fait penser à Kundera, que j’ai découvert par hasard, avec La plaisanterie ou Le livre du rire et de l’oubli, je ne me souviens plus lequel. Depuis, je le fréquente assidûment, en anglais et en français, peu importe. Je relis avec beaucoup d’intérêt les nouvelles traductions françaises de ses livres, auxquelles il a participé. D’ailleurs, j’ai apprécié énormément Les testaments trahis, qui portent justement sur cette question de la traduction et où il est notamment question de Kafka.

Ne lisez-vous donc que des œuvres intégrales ?

Pas forcément. Mais pour moi, la rencontre avec un écrivain, avec une œuvre, c’est comme une amitié, je m’y investis systématiquement et totalement. Alors c’est plus fort que moi : quand je trouve un écrivain qui me séduit, j’ai systématiquement envie de passer à travers son œuvre intégrale. Même si, quand j’ai terminé, je trouve ça assez triste.

Mais si on vous pressait de nommer des œuvres contemporaines…

Alors, je vous parlerais d’abord des romans noirs de Michael Connelly (La lune était noire), que j’aime peut-être à cause de mon goût pour la littérature de bas étage (rires). J’aime les bouquins de Connelly parce que j’y retrouve avec grand plaisir la ville de Los Angeles, où j’ai vécu pendant quelques années. Ces romans me semblent très ancrés dans cette ville et le héros, Bosch, est un personnage tellement le fun ! Je ne suis pas du genre à bouder mon plaisir et j’aime bien me distraire aussi en lisant. Et puis, ces livres sont assez bien écrits, pour des polars.

Toujours chez les auteurs américains, j’aime assez James Dickey, ce drôle de poète sudiste, mort il y a quelques années. Son roman Là-bas au Nord, par exemple, est un livre hallucinant. Je l’ai découvert d’abord avec l’adaptation cinématographique de Deliverance, dont il avait lui-même signé le scénario, qui m’a incitée à le lire. Je l’ai surtout connu par ses scénarios, vraiment trop étranges. Je regrette qu’il n’ait pas publié davantage : c’est un type qui a passé près de vingt ans sur la bum, comme on dit. Mais c’est vraiment un grand écrivain, avec une œuvre carrément vertigineuse, malheureusement méconnue.

J’ai longtemps trouvé Philip Roth trop narcissique, mais j’ai beaucoup aimé ses récents romans, où il a enfin arrêté de s’admirer le nombril : je pense à Patrimoine, à Pastorale américaine (un de ses plus beaux livres, selon moi). Ça m’a convaincu de retourner à ses premiers livres, Portnoy et son complexe, Zuckerman enchaîné, etc.

Et la littérature d’ici ?

Je vous avouerai que je ne la connais pas beaucoup. Un livre qui m’a beaucoup touchée cependant, c’est Un dimanche à la piscine à Kigali, le roman de Gil Courtemanche sur le génocide rwandais. Je connais bien Gil, depuis l’adolescence pour tout dire. J’ai apprécié son livre parce que c’est un beau livre, sincère et engagé, qui vous prend littéralement au cœur. Vous savez, j’ai des goûts très éclectiques et mes lectures reflètent toujours mes préoccupations, mes intérêts du moment. J’aime y aller au gré de l’inspiration, en me fiant à mon nez, si je puis dire.

Une dernière recommandation ?

Je m’en voudrais de ne pas mentionner Douglas Glover, un écrivain canadien-anglais relativement peu connu, dont j’admire le travail, peut-être parce que je me sens beaucoup d’affinités avec lui. J’ai parfois l’impression qu’il est mieux connu au Québec qu’au Canada anglais à cause des traductions françaises de ses livres (signées Daniel Poliquin) : Le récit de voyage en Nouvelle-France de l’abbé peintre Hugues Pommier, Le rédempteur. Je recommande en particulier Le rédempteur, un roman historique mais habité d’une telle poésie, à l’écriture dense et profonde. J’ai pour ma part le projet d’adapter ce livre au cinéma, mais c’est toujours le même problème : trouver des sous. Plus ça change, vous savez…

Bibliographie :
Les choix de Micheline Lanctôt

À la recherche du temps perdu, Marcel Proust, Gallimard/Quarto
Œuvres, Colette, Gallimard/La Pléiade
La métamorphose, Franz Kafka, Folio
La colonie pénitentiaire, Franz Kafka, Babel
La plaisanterie, Milan Kundera, Folio
Le livre du rire et de l’oubli, Milan Kundera, Folio
La lune était noire, Michael Connelly, Le Seuil/Policiers,
Là-bas au nord, James Dickey, Flammarion
Deliverance, James Dickey, J’ai lu
Patrimoine, Philip Roth, Folio
Pastorale américaine, Philip Roth, Gallimard
Portnoy et son complexe, Philip Roth, Folio
Zuckerman enchaîné, Philip Roth, Folio
Un dimanche à la piscine à Kigali, Gil Courtemanche, Boréal
Le récit de voyage en Nouvelle-France de l’abbé peintre Hugues Pommier, Douglas Glover, L’instant même
Le rédempteur, Douglas Glover, L’instant même

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