Il est journaliste et animateur de l’émission Moteur de recherche, diffusée sur les ondes radiophoniques d’ICI Première, à Radio-Canada, où il aborde la science, la consommation et l’environnement en compagnie de ses collaborateurs. À la même antenne, il est également chroniqueur techno à Pénélope. Mais Matthieu Dugal est surtout un aficionado d’à peu près tous les sujets qui puise ses principales motivations dans ses lectures.

« Je fais à peu près la même chose que lorsque j’avais 10 ans, affirme Matthieu Dugal. Plus jeune, j’accourais pour raconter à mes parents ce que je venais de lire. » Maintenant, c’est à la radio et à la télévision qu’il fait part de ses découvertes. Très tôt, ce grand curieux a été mis en contact avec les livres par ses parents. Il a vite découvert l’abondance d’informations et d’histoires qu’il pouvait y récolter. La collection « J’aime lire », publiée chez Bayard – qui existe d’ailleurs toujours –, a occupé une partie de son enfance. Quant à la collection « Un exemple de… », des éditions Grolier, elle lui a fait connaître plusieurs personnalités qui l’impressionnaient, l’une des plus marquantes pour lui étant assurément Helen Keller, dont la persévérance a permis à cette femme d’obtenir un diplôme universitaire bien qu’elle fût aveugle et sourde. Voilà les prémices qui ont forgé, chez Matthieu Dugal, sa nature de lecteur invétéré.

L’homme fait mentir ceux qui croient que les amateurs de technologie ne seraient pas très attirés par la littérature. Pour notre invité, science et art font d’ailleurs très bon ménage, l’un cherchant chez l’autre ce qui pourrait le compléter. Un bon exemple de lecture qui englobe ces deux hémisphères est celle de L’étreinte des vents, d’Hélène Dorion, un récit porté par un souffle poétique décrivant à la fois la matérialité foudroyante du paysage et l’intangibilité de mondes souterrains pourtant perceptibles. Tout ce qui vit établit des connexions; aucun phénomène n’est entièrement indépendant et autonome. Ésotérique, direz-vous? Ce que l’on ne peut pas encore expliquer ne signifie pas qu’il n’est pas bel et bien réel…

La figure d’Albert Camus, très importante pour Matthieu Dugal, est justement un exemple de l’engagement concret que peut prendre l’écriture, pourtant faite de cette matière inconsistante que sont les mots et les idées. La révolte de Camus sert à réhabiliter la justice et la vérité, toujours furieusement empreinte de cet humanisme caractéristique de l’œuvre et de son auteur. Livre posthume, Le premier homme fait des parallèles avec la propre vie de l’écrivain, exhumant « cette ardeur affamée, cette folie de vivre qui l’avait toujours habité ». Dugal se souvient aussi du moment où, jeune adulte, il a découvert L’étranger : « Je n’avais jamais rencontré un personnage comme Meursault, qui, à la mort de sa mère, ne ressent rien et semble dénué d’émotions », déclare-t-il. La littérature lui a alors ouvert tout un pan de conscience qui l’a incité à lire de plus en plus.

Les petites histoires font la grande
C’est donc animé par la fascination ainsi que par une avidité obstinée qu’il a poursuivi son parcours de lecteur avec Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline. Bien que Matthieu Dugal spécifie ne pas du tout endosser les opinions de l’écrivain (dont l’antisémitisme est notoire), il a été subjugué par ce roman, qui non seulement marque un tournant dans la littérature française contemporaine par son style reproduisant la sonorité de la langue orale, mais qui tient aussi un propos pacifiste et anticolonialiste sous-tendant l’œuvre. Ferdinand Bardamu, le personnage principal, perd peu à peu toute candeur lorsqu’il participe comme soldat à la Première Guerre mondiale, qu’il voit en Afrique le traitement que réserve l’humain à ses semblables et qu’il côtoie, en Amérique et en France, la souffrance causée par les inégalités.

La puissance narrative de Céline – qui dénonce et prend parti contre les injustices – se distingue nettement dans le parcours littéraire de notre lecteur, à l’instar de l’univers particulier d’Eugène Ionesco dans Le solitaire, seul roman qu’aura pondu le célèbre dramaturge de l’absurde. Quand le protagoniste apprend qu’il est l’héritier d’une fortune léguée par un oncle inconnu, il démissionne de son poste de commis de bureau et se retire de la vie sociale. Il continue cependant d’observer les autres en regardant par la fenêtre d’un restaurant, d’où il peut voir déambuler les gens du quartier. D’un côté, le personnage contemple l’invraisemblance du manège où tous s’évertuent à donner un certain sens à leur existence. De l’autre, l’absence de liens semble le faire sombrer peu à peu dans un délire où la frontière entre le réel et le fantasmé est abolie. Ces réflexions menées par le solitaire ont happé Matthieu Dugal, qui se rappelle avoir acheté ce livre à la librairie Les Bouquinistes, à Chicoutimi, charmé par l’idée qu’un exemplaire de ce livre devait un jour ou l’autre se retrouver entre ses mains.

Notre invité a aussi beaucoup aimé lire la trilogie 1984 d’Éric Plamondon, qui révèle les hasards et les circonstances faisant que certaines personnes sont entrées dans la légende. « J’aime apprendre les détails qui se cachent derrière la grande Histoire », dit-il. Tandis que Hongrie-Hollywood Express, le premier tome, met l’accent sur Johnny Weissmuller (alias Tarzan), Mayonnaise prend le pari de raconter la vie de l’écrivain Richard Brautigan, dit le dernier des beatniks. Pomme S, qui clôt le cycle, se concentre quant à lui sur Steve Jobs, cofondateur d’Apple. Ces histoires sont toutes entremêlées par celle de Gabriel Rivages, alter ego de l’auteur, qui remet en question son destin à l’aune de ses personnages plus grands que nature.

Matthieu Dugal porte un même intérêt pour Le roman noir de l’Histoire, un recueil de soixante-seize nouvelles de Didier Daeninckx qui tirent toutes leur origine de faits documentés. Pour approcher le sujet de la technologie, il conseille la lecture de l’ouvrage Le mythe de la Singularité, de Jean-Gabriel Ganascia, qui résume bien les questions engendrées par l’avènement de l’intelligence artificielle et qui tente d’y répondre honnêtement en évitant les écueils de la dramatisation. Pour Dugal, les avancées technologiques rendant accessibles des données en un quart de seconde n’évincent pas la richesse qui se déploie chaque fois que l’on ouvre les pages d’un livre et qu’on se laisse aller à explorer cet autre temps.

L’exemple du récit Le consentement, de Vanessa Springora – qui, après des années de mutisme, raconte comment elle a été manipulée par un écrivain quinquagénaire alors qu’elle était mineure –, vient confirmer l’importance de l’espace de parole que permet le livre. « Elle a utilisé ce moyen pour elle-même enfermer son agresseur dans un livre. En même temps qu’elle s’est offert une libération, elle a pu restituer la vérité en la publiant au grand jour », explique Matthieu Dugal. C’est aussi ça, la littérature. Utiliser les mots comme on prendrait les armes avec, au bout, l’espoir d’un armistice.

Photo : © Radio-Canada

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