Maka Kotto : le livre comme théâtre de résistance

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    On a fait la connaissance de Maka Kotto comme comédien et comme poète; par la suite, il a accédé à la députation à Ottawa, puis à Québec, se faisant l’un des ardents défenseurs de la culture dans ces enceintes. Depuis le début de l’automne, il occupe la fonction de ministre de la Culture et des Communications du Québec avec rigueur et droiture, dans un contexte pas toujours clément pour les arts et lettres, dont il demeure un passionné.

    L’aventure intellectuelle de Maka Kotto débute alors qu’il fréquente le pensionnat que dirigent des missionnaires jésuites dans son Cameroun natal. « Même si j’ai pu les critiquer ensuite, je leur serai toujours reconnaissant de m’avoir ouvert bon nombre de pistes. Après tout, ce sont eux qui m’ont mis entre les mains le livre qui m’a valu mes premiers émois de lecteur : Nations nègres et culture, de Cheikh Anta Diop, un scientifique touche-à-tout, qui a œuvré autant comme anthropologue et ethnologue que comme philosophe, historien et même astrophysicien. Son livre, c’était une sorte de bréviaire de la réappropriation historique africaine, de l’Égypte préislamique à aujourd’hui. »

    À travers cette œuvre, le jeune Maka a pu briser le conditionnement imposé aux colonisés à qui l’Occident réfutait le droit à une Histoire. « Cheikh Anta Diop a amené les Africains de ma génération à prendre conscience que l’Égypte antique était noire et africaine. Dès lors, je me suis passionné pour cette Égypte, pour ce qu’elle a initié sur les plans de la science, des mathématiques, de l’architecture et de la santé. J’ai appris tout ce que la Grèce, repère culturel de l’Occident, devait à cette Égypte. Vraiment, ce livre a contribué à redresser notre colonne psychique collective. »

    Si d’autres étoiles dénommées Amadou Hampâté Bâ (écrivain et ethnologue malien) et Wole Soyinka (écrivain nigérian, Nobel de littérature 1986) brillent intensément au firmament personnel de Maka Kotto, il insiste encore plus sur l’importance de l’œuvre maîtresse du romancier nigérian Chinua Achebe, Le monde s’effondre (et sa suite, Le malaise) dans la structuration de sa personnalité. « On ne peut surestimer l’impact qu’ont eu tous ces écrivains, mais Achebe en particulier a écrit des choses essentielles sur la dépersonnalisation de l’homme africain causée par la colonisation. »

    Dans un même ordre d’idées, on ne s’étonne pas de constater que le psychiatre et essayiste Frantz Fanon figure lui aussi au panthéon des écrivains qui ont marqué notre « libraire d’un jour ». « Encore ici, je crois que la lecture de Peau noire, masques blancs m’a été fondamentale; je peux même dire qu’elle a été fondatrice de ma conscience militante. Jusqu’alors, je me destinais à la prêtrise; mais mes maîtres jésuites m’ont vite fait comprendre que ce n’était pas le milieu idéal pour exprimer ma pensée revendicatrice. »

    En dépit du statut précaire – voire inexistant – de l’artiste au Cameroun, Maka Kotto fait alors le choix déterminant du théâtre et du cinéma, au désespoir de son père qui rêvait de le voir entrer… en politique! « Je ne pouvais même pas m’imaginer politicien à l’époque, rigole le ministre. J’avais une vision du monde purement manichéenne; il me manquait encore la souplesse d’esprit et le sens de la nuance indispensables dans ce milieu. »

    Culture et politique
    Paradoxalement, c’est un poète doublé d’un homme politique qui deviendra vite l’auteur fétiche du futur comédien. « La poésie de Léopold Sédar Senghor m’a littéralement happé; je la disais en public, lors de nos soirées culturelles auxquelles ma mère assistait… sans mon père, évidemment. » Mais Senghor ne sera pas le seul maître en poésie et en théâtre de Maka Kotto; suivront en vrac Baudelaire, Hugo, Shakespeare, Beaumarchais, Sue… et un écrivain guadeloupéen désormais méconnu du nom d’Alexandre Privat d’Anglemont, qui fut le véritable auteur du Juif errant de Sue!

    On le devine : les responsabilités politiques de Maka Kotto lui laissent peu de temps pour la lecture en dehors des vacances parlementaires : « Quand nous étions dans l’opposition, j’étais constamment accaparé par tous les dossiers. Inutile de vous dire que maintenant que nous sommes au pouvoir, c’est pire. » Il avoue cependant garder en tout temps à portée de main l’œuvre phare d’un de ses plus illustres prédécesseurs au ministère de la Culture, les Cantouques de Gérald Godin, qu’il relit volontiers « pour se détendre ».

    Parmi ses lectures récentes, Maka Kotto cite avec un certain enthousiasme Mainstream de Frédéric Martel, « un pavé sur l’hégémonie de la culture de masse étasunienne, sur les moyens que prennent ses artisans pour lui faire occuper tous les espaces possibles, avec notre complicité passive. Martel s’intéresse notamment aux pays qui résistent, comme le Brésil ou l’Inde, parce que leur production culturelle intérieure le leur permet. » Il évoque aussi La tyrannie de la communication d’Ignacio Ramonet et Conversations avec moi-même de Nelson Mandela, un recueil des carnets tenus en prison, des journaux intimes et des lettres de l’homme d’État sud-africain qui, au même titre que Stephen Biko ou Patrice Lumumba, « a été un modèle de résilience et d’intégrité ».

    Enfin, sur la table de chevet du nouveau ministre de la culture et des communications, on trouve ces jours-ci un roman de la Gaspésienne Carole Bessette, Futur de Renoir, « une œuvre qui fait une place importante à l’art, à la littérature et à l’amour; un ouvrage qui a nécessité sept ans de recherche et qui aborde la question du rôle des artistes et intellectuels (André Breton, Marc Chagall, Max Ernst et quelques autres) sous le régime de Vichy. »

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