Liza Frulla possède une feuille de route pour le moins impressionnante. Directrice du marketing et des communications à la Brasserie Labatt, députée libérale, puis ministre de la Culture et des Communications, ministre du Patrimoine canadien et ministre responsable de la Condition féminine, elle a entre-temps été animatrice à la télévision de Radio-Canada où elle a réalisé plus de 2 500 entrevues pour ensuite être analyste politique à la même chaîne. En 2015, elle est nommée directrice générale de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), et son mandat vient d’être reconduit pour cinq autres années. Cette saison, elle fait paraître Liza Frulla : La passionaria, une biographie écrite par Judith Lussier qui refait le chemin parcouru de la femme de carrière en même temps qu’elle revient sur plusieurs faits saillants de la société québécoise.

Bien avant le cours classique qui l’amène à lire les philosophes et les écrivains français, Liza Frulla prend un immense plaisir à se plonger dans Les malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur et les autres livres de la dame, considérant même que ceux-ci ont façonné sa jeunesse. Il faut se souvenir que dans les années 50, l’éventail des propositions littéraires québécoises pour la jeunesse était pour ainsi dire inexistant. Toutes « Les aventures de Tintin », comme autant de péripéties palpitantes, ont également accompagné son enfance où les livres étaient une récompense. Ses parents lui en achetaient un à condition qu’elle ait une moyenne d’au moins 85 %!

L’âge adulte lui fait découvrir la beauté de l’œuvre d’Anne Hébert. « Je me vois encore en Philo 1, le professeur parle à l’avant pendant que je suis en train de lire Les chambres de bois, le livre sur les genoux, se rappelle notre invitée. Chaque mot a sa place avec Anne Hébert. Et c’est aussi avec elle que j’ai eu mes premières initiations à la poésie. » Plus tard, elle entre dans l’univers de Marie Laberge avec entre autres la trilogie « Le goût du bonheur », dont elle apprécie particulièrement les aspects historiques, tandis que Quelques adieux l’a fait littéralement pleurer. « Marie, c’est probablement la seule auteure qui est capable d’aller me chercher jusqu’aux larmes », conclut-elle, consciente de la force émotionnelle des mots.

Les livres contre l’ignorance
L’importance que revêt le livre pour Mme Frulla n’est pas à mettre en doute. En 1991, son premier mandat comme ministre de la Culture consiste à exempter les livres de la TVQ. Une chaude bataille qui avait pour slogan « Taxer les livres, c’est imposer l’ignorance », qu’elle mène de front avec les gens du milieu du livre et qu’elle gagne.

C’est ainsi qu’au fil des postes qu’elle occupe, malgré la lecture des dossiers qui entretient notamment sa vie de ministre, elle trouve toujours un moment pour lire autre chose. Lorsqu’elle était en politique, ce sont les biographies qui marquaient ses intérêts, trouvant dans le parcours d’autrui matière à réflexion. Que ce soit celle de M. Bourassa, de M. Parizeau, de M. Landry ou celle de John F. Kennedy, elle en a lu plusieurs. Mais c’est Une vie de Simone Veil qui vient la rejoindre, tant par son aspect politique que par l’humanité qu’elle convoque puisque la femme d’État a vécu la Shoah, y perdant son père, sa mère et son frère. Elle parle aussi avec émotion du récit Ru de Kim Thúy, qui raconte la traversée de l’auteure et de sa famille comme boat people pour finalement atteindre le Canada, leur terre d’accueil.

Notre interviewée ne dédaigne pas non plus les bons polars, ceux de Chrystine Brouillet, par exemple, avec qui elle a coanimé une émission de radio sur la littérature et la nourriture il y a quelques étés de cela. Comme elle vit dans les Cantons-de-l’Est, elle se rend régulièrement à la librairie Lac-Brome de Knowlton, là où Louise Penny, une auteure qu’elle aime aussi lire, organise ses lancements qui sont toujours des événements en soi puisqu’ils attirent un nombre imposant de lecteurs.

Maintenant que Liza Frulla travaille à l’ITHQ, ses lectures sont nécessairement teintées par tout ce qui se rattache à la gastronomie ou à l’agroalimentaire. Le menu quotidien en Nouvelle-France d’Hélène-Andrée Bizier et Robert-Lionel Séguin, livre malheureusement épuisé, occupe en ce moment sa table de chevet. Elle savoure, sans jeu de mots, ce document « formidable », pour reprendre son adjectif, tant en raison des images et de la recherche historique que des plats de chefs contemporains qui, par les influences de cette cuisine, ont inventé des mets nouveaux. Quand elle cherche plutôt une lecture qui n’a pas de référence au travail, Liza Frulla aime être transportée complètement ailleurs. « Quand je lis, je veux qu’on me propulse dans un autre monde », précise-t-elle. C’est ce qui la conduit ces temps-ci à ouvrir les pages du roman Alabama Song de Gilles Leroy, qui a d’ailleurs remporté le prix Goncourt en 2007. L’auteur s’inspire de la relation tumultueuse du couple d’écrivains Zelda Sayre et Francis Scott Fitzgerald qui entraînera l’un dans l’alcoolisme et l’autre en internement. Pendant ses moments d’insomnie, elle aime aussi s’offrir le bonheur du livre audio. « C’est comme quand on était petits et qu’on se faisait raconter des histoires », dit-elle. Elle s’apprête à écouter I’m Your Man : La vie de Leonard Cohen, écrit par Sylvie Simmons, narré de manière particulièrement réussie par Carole Laure et Thomas Hellman, que l’on peut retrouver sur la plateforme OHdio de Radio-Canada.

Il n’est pas rare qu’elle donne un livre en guise de cadeau, comme un symbole significatif qui possède une portée plus grande que l’objet. Pour souligner le retour en France de son adjointe à l’ITHQ et faire foi de son passage à Montréal, quel meilleur ambassadeur que Michel Tremblay pour déposer dans les bagages d’une amie qui retraverse l’Atlantique? « Je voulais qu’elle se souvienne du Québec, alors je lui ai offert Chroniques du Plateau-Mont-Royal », raconte-t-elle. Langue, culture, histoire de chez nous élevées au rang d’art par l’indéniable talent de conteur de Tremblay; ce livre peut en effet incarner facilement le rôle de représentant du Québec. Il arrive aussi que ce soit elle qui soit choyée et à qui l’on donne un livre, comme Zingaro, suite équestre et autres poèmes pour Bartabas d’André Velter, avec de magnifiques dessins d’Ernest Pignon-Ernest, qui vient enrichir sa passion pour les chevaux. Que nous le donnions ou que nous le recevions, un livre est nécessairement un présent d’exception qui, chaque fois que nous l’ouvrons, nous rappelle l’importance d’une amitié.

Une biographie de Liza Frulla paraîtra sous peu sous le titre La passionaria. Celle qui a vécu plusieurs carrières et qui a été témoin et actrice de nombreux événements politiques du pays a accepté l’invitation de l’éditeur sous condition que son livre serve justement de prétexte à relever les avancées et les événements du Québec et non à faire briller la femme publique. C’est ainsi que la journaliste Judith Lussier a refait le parcours de Mme Frulla tout en menant en parallèle des interviews auprès de ses proches et recueillant des informations dans les archives qui sont venues complémenter les propos de son sujet, vaste et fascinant à souhait. Et si l’on en croit les lectures de Liza Frulla qui témoignent d’un appétit pour mille et une choses, la flamme n’est pas près de s’éteindre.

Photo : © Groupe PVP Bernard Fougères

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