Hélène David : Prendre acte

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    Par Isabelle Beaulieu

    Peu importe le parti dans lequel ils évoluent, les politiciens doivent avoir la couenne dure. Les journées sont longues; les défis, de taille, et les faux pas, très peu tolérés. Mais Hélène David, l’actuelle ministre de la Culture et des Communications du Québec, a l’œil avisé et la manière décidée. Et, avec les instabilités que vit le milieu du livre ces temps-ci, mieux vaut être aguerri, car il y a de quoi s’occuper.

    Hélène David a un horaire chargé depuis qu’elle a été nommée au poste de ministre, le 23 avril dernier. Coup du hasard, cette date est aussi celle de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Mais trouve-t-elle seulement le temps de lire? Oui, tous les soirs, même si cela doit s’avérer peu. « En ce moment, je lis Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle. Je trouve ça exceptionnel. Et sous forme de BD, c’est complètement un autre style. » Elle savoure également son incursion dans le monde juif, démystifié grâce à Lekhaïm! Chroniques de la vie hassidique à Montréal de Malka Zipora. Non dénué d’humour, ce récit révèle un quotidien bien rempli par une marmaille de douze enfants. « J’ai l’impression de lire le premier livre de ma propre mère, L’aube de la joie. Avec les six enfants, la famille, la station wagon… »

    Les premiers contacts avec les livres viennent de sa mère, Nellie Maillard, qui était écrivaine. Les enfants David voient leur mère écrire le soir en écoutant Dvořák. « Il y avait une aura incroyable pour la lecture, la culture en général. » La famille se rendait régulièrement à l’orchestre symphonique, était abonnée au TNM et les livres étaient légion. « Ma sœur Françoise était une lectrice qui dévorait les livres! Elle faisait acheter des livres, mais ce n’était pas difficile, ma mère mettait beaucoup d’importance sur la lecture. »

    Madame David a un faible pour les auteurs nationaux, elle déclare donc s’être « payé la traite », le 12 août dernier, lors de la journée « J’achète un livre québécois », spontanément proposée par deux auteurs de livres jeunesse. D’ailleurs, elle en a plutôt acheté cinq, dont La fiancée américaine d’Éric Dupont, qui nous amène à aborder le sujet du livre numérique. « Moins agréable, moins sensuel, moins émotif, moins odorant », il permet cependant de choisir le format des caractères – ce qui n’est pas un luxe avec La fiancée, un pavé de 568 pages à la graphie minuscule.

    Psychologie
    À brûle-pourpoint, nous lui demandons de nous nommer un titre marquant. Tout de go, elle évoque Dostoïevski qui a joué un rôle de premier plan dans l’affirmation de ses champs d’intérêt. « Je devais avoir 15 ans, un été où je ne sais plus quoi faire, c’est les grandes angoisses, est-ce que je vais avoir un chum, etc. Et là, je suis tombée dans Crime et châtiment. Ça a dû rejoindre quelque chose que je ne savais pas, mais qui existait en moi, cette passion pour la tragédie humaine. » Avec le recul, elle se rend compte combien l’œuvre a révélé quelque chose d’elle-même, puisqu’elle se dirigera plus tard vers la psychologie. « À 15 ans, on se cherche, mais on se trouve à partir de ces textes qui nous ont marqués. » Pour poursuivre avec les Russes, elle va vers Tolstoï. « C’est comme passer des Rolling Stones aux Beatles! » L’approche des auteurs est différente. L’un est plus noir, l’autre situe son action au cœur de la grande saga, mais « les deux sont exceptionnels ».

    Son entrée en psycho l’amène à lire sur le sujet. « J’ai toujours aimé Julia Kristeva – une immense philosophe. » Cette dernière a écrit une trilogie sur le génie féminin. « Les biographies féminines, je trouve que c’est important dans nos vies de femmes. » Hannah Arendt, Colette (dont elle a bien dû lire au moins quatre biographies différentes) et Melanie Klein, « une psychanalyste extraordinaire ».

    Politique
    Maintenant qu’Hélène David s’est engagée en politique, elle fait son jogging en écoutant des livres audio : L’audace d’espérer d’Obama, Le temps des décisions d’Hillary Clinton, qu’elle écoute en anglais pour parfaire la langue. Ne l’a pas non plus laissée indifférente La tragédie du pouvoir par Edouard Balladur, le chef de cabinet de Pompidou. « Et là, je ferai le lien avec quelqu’un de beaucoup plus près de chez nous : Robert Bourassa. Quand vous lisez sa biographie écrite par Georges-Hébert Germain… Ça aussi, c’est immensément touchant, de voir un rêve, un engagement social. Et ça ne se trouve pas seulement en politique, des gens qui se donnent jusqu’à la toute fin. »

     Des récits de vie comme ceux-là lui donnent du courage et l’invitent à relativiser sa position de ministre. « Ce sont des postes qui nous sont prêtés, alors on s’engage à fond, et on essaie de laisser notre petit caillou, quoi! »

    Madame David sait que la situation du livre est compliquée. « Cet été, j’ai parlé à Denis Vaugeois et j’ai acheté son livre L’amour du livre, qui est formidable. Ce livre-là m’aide beaucoup. » Oui, tout n’est pas réglé, mais elle a été ravie par l’élan inopiné du 12 août dont, selon elle, il faut prendre acte. « Cette participation positive, amenée avec fierté, cette sorte de happening dont on veut faire partie, ça veut dire quelque chose. »

    On sait que son parti n’est pas pour le prix unique du livre, contrairement à une majorité de gens du milieu. À cela, Madame David répond : « Le prix unique est un aspect proposé qui, pour moi, n’est pas nécessairement la panacée. » Elle dit préférer voir quelqu’un acheter un livre chez un géant du détail plutôt que de ne pas le faire du tout et elle n’est pas convaincue que la clientèle des grandes surfaces se rendrait davantage dans les librairies si le prix unique était adopté. Il faut, à l’instar du 12 août, développer l’envie de se rendre chez son libraire, trouver d’autres « façons de dire : “si vous saviez comment les librairies indépendantes sont intéressantes” »! Par exemple, en exploitant davantage les ressources déjà disponibles. « Moi, maintenant, j’achète beaucoup sur Leslibraires.ca, mais, honnêtement, je ne connaissais pas ça avant. Je pense qu’on pourrait aider à la promotion de toutes les nouvelles façons de – je suis obligée de dire – consommer la littérature, en ayant toujours en tête qu’il faut supporter nos écrivains et toute la chaîne de la production du livre. Je vais profiter de toutes les tribunes pour donner espoir et fierté, non seulement de notre langue, mais de notre langue qui s’écrit aussi. »

     

    Crédit photo : © Ministère de la Culture et des Communications

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