Fred Pellerin: Parole de conteux

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Fred Pellerin est sans conteste la coqueluche de l'heure dans le domaine du conte, un art qui bénéficie d'un regain d'intérêt qu'il fait bon voir et entendre. Tant sur disque que sur scène, tous apprécient la vivacité de sa parole, l'amour sincère qu'il voue à Saint-Élie-de-Caxton, son petit royaume, de même qu'à la préservation des récits d'antan et à la sauvegarde des trous de mémoire. Bref, Pellerin est un virus contagieux, une bibitte irrésistible qui, entre deux «caxtonneries», s'offre un détour du côté des romans. Fier défenseur d'un esprit de clocher bien à lui, Pellerin est un homme de paroles.

Il était une fois un petit bout de bonhomme, fils de comptable, tombé dans la marmite du conte. Devenu, de son propre aveu, conteux par mégarde après des études en littérature à Trois-Rivières, Fred Pellerin a baigné toute son enfance dans un univers où se confondaient de drôles de menteries, de truculents racontars et l’odeur des petits plats mijotant dans la cuisine. Ce sont ces souvenirs qu’il évoque d’abord lorsqu’on lui demande de revenir là où tout à commencé, alors qu’il était pendu aux lèvres de sa grand-mère Bernadette, source intarissable de récits :  «Mon premier contact avec les histoires a été oral. J’ai grandi avec les vieux, qui venaient raconter des histoires chez nous. L’écoute des histoires à toujours accompagné mon parcours de lecteur», se souvient l’auteur de Comme une odeur de muscles. Puis, Pellerin fait ses premières lectures, dans lesquelles la fée Clochette l’invite à tourner les pages des albums de Walt Disney. Faut-il y voir une prophétie puisque c’est justement grâce au conte, fer de lance des Éditions Planète Rebelle, que le conteux de Saint-Élie-de-Caxton pourra plus tard partager ses histoires ? Peut-être.

La vie coule doucement pour le petit Fred, qui cessera d’être fidèle à Clochette pour aller glaner d’autres émois. L’avenir du conteux se dessinera cette fois dans les pages d’un autre livre, en l’occurrence une bande dessinée d’Astérix : «J’avais tous les albums de la série et je les relisais souvent, se souvient Pellerin. Je dois avoir été influencé par ça dans mon travail sur Saint-Élie, où il y a quelque chose de cette gauloiserie qui résiste à l’envahisseur.» Au nombre des coïncidences, ajoutons son affection pour Les Schtroumfs — encore une histoire de village ! Par la suite, Pellerin découvrira les aventures de Titeuf, de Calvin et Hobbes, des Bidochon. Il appréciera le travail de Gotlib, et craquera pour… Fred. De l’œuvre du poète bédéiste, Fred Pellerin retient L’Histoire du conteur électrique.

Comme plusieurs lecteurs de sa génération, le petit Fred s’abandonnera aux «Livres dont vous êtes le héros», dont il apprécie le caractère ludique. Du reste, Pellerin voit toute lecture d’un bon œil : «Si votre enfant a envie de se passionner à lire les pintes de lait, je ne l’en empêcherai pas !», rigole-t-il. Puis, avec l’adolescence viendra la recherche des émotions fortes, les «histoires à faire peur» de Stephen King.
Pellerin s’inscrira par la suite en études littéraires. C’est à ce moment qu’il tombe tête première dans les livres et apprend à lire différemment, pour le meilleur et pour le pire. Car de ces années où il fréquente les grands auteurs, il garde des impressions partagées entre l’admiration et la déception : «J’y ai fait de belles découvertes. Ça m’a amené à me développer le muscle curieux, mais j’ai aussi fréquenté une scolaritude qui me dérangeait. J’ai parfois oublié qu’il fallait prendre plaisir à lire, et non pas psychanalyser. Je suis davantage un jouissif de la lecture. J’ai d’ailleurs dû oublier cela plus tard pour retrouver mon plaisir et prendre mon temps pour lire. […] On nous faisait lire les grands auteurs, ces grands publiés, mais on oubliait l’importance de la parole, sa grande fragilité aussi», explique-t-il. Néanmoins, l’université lui aura apporté son lot de rencontres marquantes, comme celle de Christian Bobin : «Lui, je ne l’aurais jamais lu autrement. J’aime chez lui la douceur et les tons pastel. Il y a, dans son écriture, un beau mouvement, particulièrement dans L’Inespérée et Une petite robe de fête.» C’est également dans un cours donné par un professeur porté sur la «schizo-analyse» que Fred Pellerin s’initie à la prose inventive de Réjean Ducharme. Plus tard, ce sera au tour de Jacques Ferron de l’émouvoir : «L’Amélanchier est le seul livre de ma vie qui m’a fait pleurer», confie-t-il. Ajoutons à ces découvertes Jean Rivard, défricheur, les écrits d’Honoré-Beaugrand, Louis Fréchette et ses Contes de Jos Violon, qu’il trouve «très vivants et colorés» et, enfin, l’intégrale des romans d’Yves Thériault et des Fridolinades de Gratien Gélinas.

Aujourd’hui, Fred Pellerin lit avec une plus grande liberté, quoiqu’il conserve une certaine fidélité pour ses auteurs favoris qui, dans leur langue bien à eux, posent les bases d’un univers romanesque dont il se révèle un explorateur enthousiaste : «Les microcosmes m’intéressent, ces petits mondes qui évoluent au fil des livres, c’est pourquoi j’aime le clan des Malaussène, de Daniel Pennac. Par exemple, La Petite marchande de prose.» L’auteur de Bois du thé fort, tu vas pisser drette ! a aussi été un inconditionnel des romans d’Amélie Nothomb (Les Catilinaires, Péplum), mais son intérêt s’est récemment émoussé. Du côté de la poésie, Pellerin cite Jacques Prévert, et surtout Paroles : «J’aime chez [Prévert] son jeu matériel sur le langage, sa façon de coller des mots ou de les défaire pour leur donner un nouveau sens.» Châteaux de la colère d’Alessandro Baricco fait aussi partie de ses lectures préférées, tout comme La Vie devant soi de Romain Gary. En terminant, le conteur revient à la littérature de chez nous avec Pierre Billon (L’Enfant du cinquième Nord) : «J’aime son petit côté inspiré de l’oralité. Il trouve beaucoup d’inspiration chez les personnages des contes et jongle avec un merveilleux qui me plaît particulièrement.» Toujours du côté de la littérature québécoise, Pellerin confie son affection pour Betsi Larousse de Louis Hamelin ou Le Souffle de l’harmattan de Sylvain Trudel.

On peut donc dire, en guise de conclusion, que Fred Pellerin est un lecteur omnivore qui a la parole à cœur et le cœur à la parole, pour peu qu’elle soit sincère et donne envie qu’on s’y abandonne comme on arpente les rues d’un village où les révélations nous attendent à chaque coin de rue.

Bibliographie :
L’Inespérée, Christian Bobin, Folio, 116 p., 7,95 $
La Petite Marchande de prose, Daniel Pennac, Folio, 405 p., 15,95 $
Châteaux de la colère, Alessandro Baricco, Folio, 337 p., 13,95 $
L’Histoire du conteur électrique, Fred, Dargaud, 60 p., 23,95 $
L’Amélanchier, Jacques Ferron, Typo, 207 p., 12,95 $
Péplum, Amélie Nothomb, Le Livre de Poche, 154 p., 7,95 $
La Vie devant soi, Romain Gary, Folio, 278 p., 12,95 $
Paroles, Jacques Prévert, Folio, 251 p., 12,95 $
Betsi Larousse, Louis Hamelin, XYZ éditeur, coll. Romanichels Plus, 323 p., 15,95 $
Le Souffle de l’harmattan, Sylvain Trudel, Typo, 242 p., 11,95 $

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