François Létourneau: Controverse, politique et solitude

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    Par Isabelle Beaulieu


    Bientôt, nous espérons le voir sur grand écran incarner le sympathique Paul de la bande dessinée Paul à Québec de Michel Rabagliati. Il ne reste qu’une question de financement pour confirmer la réalisation du projet. Il faut dire que François Létourneau a la bouille et le charisme qu’il faut pour endosser pareil personnage. « Je connaissais la BD avant qu’on me propose le rôle, elle m’avait été offerte en cadeau et j’avais été très touché ». Quant à la façon dont il compte appréhender un personnage en deux dimensions, il répond humblement : « Je ne sais pas trop comment je vais faire ça. »

    Comédien, scénariste et dramaturge, François Létourneau est connu pour son interprétation du personnage de Pierre-Antoine Robitaille, dit « P-A », dans la série culte Les Invincibles qu’il a lui-même coécrite avec Jean-François Rivard. Foncièrement narcissique, ce personnage nous a valu bien des grincements de dents, à nous, spectateurs engagés – si bien que je n’ai pas osé lui demander si son personnage avait quelque ressemblance avec lui. Aujourd’hui, on retrouve l’acteur dans la peau de Denis Rondeau, un des deux protagonistes de Série noire, autre antihéros qui ne recule devant rien pour se mettre en situation réelle afin d’offrir une plus grande véracité à ses scénarios. En plus de la télévision, Létourneau a écrit quelques pièces de théâtre, dont Cheech et Stampede.

    Mais que peut bien lire un scénariste/dramaturge? Si l’on remonte aux origines, François Létourneau a grandi dans une maison jonchée de piles de livres; il revoit sa mère faire sa thèse de doctorat et lui parler de Jean-Jacques Rousseau. Maintenant, c’est devant sa propre bibliothèque qu’il me parle au téléphone, à la recherche des nombreux auteurs qui l’ont marqué.

    « Le monde selon Garp de John Irving, que j’ai découvert à 12-13 ans, a vraiment été une révélation pour moi. Je me rappelle l’avoir lu trois fois. » L’humour et l’importance de la sexualité qu’on y retrouve en font un livre significatif pour le jeune Létourneau. Puis à 14 ans, sa mère lui fait découvrir Paul Auster, dont il a lu tous les livres. « Je dirais que celui qui m’a fait le plus d’effets, c’est Mr. Vertigo. Je pense qu’un spécialiste de Paul Auster dirait que ce n’est pas un de ses meilleurs, je ne sais pas, mais moi je me souviens d’avoir lu ce livre-là et d’avoir été transporté par sa finale ».

    Retournant un peu en arrière avec Garp, livre qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique, je lui demande ce qu’il pense de ces films issus de la littérature. « Dans le cas de Garp, je n’ai pas vu le film. J’ai l’impression que la plupart du temps le roman reste supérieur. Mais je pense à Les heures de Michael Cunningham. J’ai lu le roman après avoir vu le film. Le roman est bon, mais le film est très bon aussi. Il y a quand même des exemples où l’œuvre arrive à vivre de façon différente. »

    Ce qui séduit notre liseur, c’est un bon dosage du style, de l’intrigue et des personnages. Pour illustrer ce parfait « mélange », lui vient en tête La carte et le territoire de Michel Houellebecq, un auteur controversé, mais « moi, j’aime bien ça », prend-il la peine de spécifier. « Je me souviens quand j’ai lu American Psycho de Bret Easton Ellis, on ne peut pas penser à un livre plus controversé, j’ai vraiment capoté. Je trouvais que c’était un roman d’une force incroyable. Je réalise que j’aime beaucoup les personnages — et ça revient beaucoup dans mon écriture — qui sont un peu coupés du monde, qui vivent une solitude. » À ce sujet, il fait aussi mention du roman Le bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon où il est question d’un garçon autiste. Il dit s’identifier facilement à ces personnages en marge.

    Des essais pour se détendre
    Ancien étudiant en sciences politiques, il garde un goût marqué pour les essais. Spécialement lorsqu’il est en période d’écriture, il préfère aller de ce côté que vers celui de la fiction qui le ramène trop à son propre travail. Il trouve donc ce qu’il nomme sa « lecture pop corn » dans un livre comme Double Down qui porte sur la réélection d’Obama. « Un de mes préférés, c’est Christopher Hitchens, un journaliste et polémiste. Il a écrit Dieu n’est pas grand, un essai sur la religion. En fait, il a écrit plein de livres formidables. »

    Comme notre lecteur est aussi auteur, je lui demande s’il a des influences. « David Mamet et Harold Pinter sont mes deux idoles. Chaque fois que je lis une bonne pièce de Mamet, j’ai envie de la monter, que j’ai envie de jouer dedans. » Le livre ultime qui a influencé toute sa démarche artistique est Le cryptogramme de Mamet, qu’il a découvert au Conservatoire. « J’y reviens tout le temps », ajoute-t-il.

    Des découvertes récentes? Philip Roth, dont il a lu Exit le fantôme et Le rabaissement, ce qui lui a fait acheter tous ses premiers romans qu’il se promet de lire. « Le dernier roman que j’ai lu est Pourquoi Bologne d’Alain Farah. C’est un univers un peu difficile d’accès, mais une fois qu’on entre dans cette affaire-là, c’est vraiment le fun. C’est un livre que je recommande. Je ne lis pas assez de romans québécois, mais ça me semble être quelque chose qui se distingue. »

    Il adore fréquenter les librairies, dans sa vie quotidienne comme dans ses voyages. « C’est rare que je vais demander des conseils à un libraire. Je suis comme gêné dans la vie », confie-t-il. Il a un attachement à l’objet même du livre dont il aime être entouré. Pas question pour lui de lire en numérique. Il passe déjà beaucoup de temps devant l’ordinateur, alors quand il veut se plonger dans un livre, il choisit le papier.

    Avant de quitter, si nous reluquons sur sa table de chevet, Létourneau lit actuellement Tempête de glace de Rick Moody, dont une adaptation a aussi été faite au cinéma, un de ses films préférés. Le livre est très différent, mais notre lecteur en semble tout aussi ravi. Un lecteur qui, s’il avait à choisir, aimerait bien prendre un verre avec l’ineffable Woody Allen.

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