Fanny Mallette: Lire pour se réconcilier avec la vie

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Médaillée d'or aux championnats canadiens de judo durant l'adolescence, Fanny Mallette a fréquenté l'école de théâtre Les Mille visages et le cégep Saint-Laurent, concentration art dramatique, avant d'obtenir son diplôme de l'École nationale de théâtre en interprétation. Révélée par des rôles de composition exigeants au cinéma (Les muses orphelines, Une jeune fille à la fenêtre, La femme qui boit), elle doit néanmoins une bonne partie de son renom aux téléséries Scoop, Alys et, surtout, Grande Ourse — qui l'a par ailleurs ramenée au grand écran. C'est une comédienne comblée et débordée, en fin de grossesse et en plein déménagement, qui a accepté de causer lecture avec nous.

«J’ai appris à lire avec la Comtesse de Ségur», m’avoue candidement Fanny Mallette, qui croit que le créneau de la littérature pour les jeunes est plus riche aujourd’hui que du temps de son enfance. La comédienne se rappelle avoir lu des albums publiés par Disney et avoir dévoré les premiers tomes de «La petite maison dans la prairie»* de Laura Ingalls Wilder, offerts par sa mère.

«Ça, c’étaient mes lectures au primaire, précise-t-elle. À l’adolescence, j’ai découvert Agatha Christie, que je relis encore régulièrement. J’aime les polars et je reviens toujours à Agatha Christie, surtout depuis la sortie de ces recueils réunissant plusieurs romans en un seul volume: ils sont tellement beaux!»

Évidemment, Fanny Mallette n’a aucun mérite de pouvoir deviner l’identité du coupable avant Miss Marple ou Hercule Poirot. «C’est en arrivant au dénouement que je me rappelle si j’avais déjà lu le roman. Mais c’est moins pour la révélation finale que pour les détails, l’atmosphère, les descriptions que je relis Agatha Christie. C’est à la fois naïf et beau, cet univers peuplé de personnages mémorables. On y revient comme à un bon vin.»

Si on ne saurait s’étonner de ce que l’interprète de la détective Gastonne Béliveau dans Grande Ourse raffole d’enquêtes et de mystères, il ne faut pas déduire que Fanny Mallette se cantonne dans ce genre. «J’ai découvert l’an dernier Lekhaim!, d’une écrivaine juive hassidique de Montréal, Malka Zipora. C’est un recueil de ses chroniques parues dans des journaux de son quartier; un livre très dérangeant, dans la mesure où l’univers de Juifs hassidiques de Montréal est pour la plupart de nous un monde intrigant, qu’on regarde de loin. Elle, c’est une mère de douze enfants qui nous parle de sa vie quotidienne. Une chronique peut simplement raconter l’heure du dodo ou l’organisation du mariage d’Untel. Finalement, on découvre que ces gens ont les mêmes préoccupations que nous. Je n’ai eu aucune réponse à mes questions, mais j’ai constaté que cette femme était comme n’importe quelle autre Québécoise de souche.»

Amateure de BD, Fanny Mallette ne cache pas son affection pour le travail de Michel Rabagliati, à qui elle succède d’ailleurs en tant que «libraire d’un jour» (l’album Paul à Québec est pré­sentement sur sa liste de lectures incontournables). Mais tant qu’à parler de culture juive, elle tenait à aborder l’œuvre de Rutu Modan, notamment l’album Exit Wounds. «C’est une sorte de chronique réaliste de la vie à Tel Aviv. Ça met en scène une jeune femme dont l’amant, un homme dans la soi­xantaine, a disparu; il est peut-être mort dans un attentat. Alors elle se met en tête de retracer le fils de cet homme, qui a à peu près son âge à elle, avec qui elle va poursuivre son enquête sur le cadavre non identifié, qui pourrait être l’amant de l’une et le père de l’autre. L’album nous trimballe à travers Tel Aviv. L’histoire est intéressante, mais les dessins, surtout, sont magnifiques!»

Dans un tout autre ordre d’idées, Fanny Mallette tient à partager son appréciation de Gilles Archambault, dont elle apprivoise l’œuvre littéraire après avoir aimé les chroniques radiophoniques du week-end: «Le premier livre que j’ai lu de lui, c’est Les rives prochaines. J’aime beaucoup cette manière de faire se
rencontrer des personnages solitaires. Ça m’a fait penser au film Continental. Archambault nous décrit ces trois personnages seuls qui se retrouvent, qui essaient de cohabiter, dont un père et son fils qu’il a négligé toute sa vie. J’aime bien quand les relations entre des personnages de romans ne sont pas évidentes, que l’on doit travailler pour se rapprocher d’eux. C’est un livre très sensible, que j’ai d’ailleurs prêté.» La comédienne en convient avec moi: le fait de prêter un livre est bon signe. «À condition qu’il revienne, ajoute-t-elle, presque à la blague. C’est pour cette raison que je garde mes livres, pour m’assurer qu’ils circulent. J’aime partager avec mes proches ce type de bonheur.»

Autrement, notre libraire d’un jour identifie Dany Laferrière et Stefan Zweig comme ses auteurs fétiches, dont les livres la suivent partout: «C’est ma belle-mère qui m’avait prêté Le charme des après-midi sans fin; après l’avoir lu, j’ai acheté tous les autres bouquins de Laferrière, en particulier ceux qui racontent l’enfance et l’adolescence de Vieux Os en Haïti. Je ne sais plus combien de fois j’ai lu L’odeur du café, je le lis à haute voix à mes enfants même s’il n’y a pas d’images. Ils adorent ça, d’autant plus que je leur ai offert depuis l’album Je suis fou de Vava

Quant à Zweig, c’est d’abord la belle apparence d’une édition du Monde d’hier, vue entre les mains d’une amie, qui a attiré l’attention de Fanny Mallette. «J’avais 20 ans, je n’avais aucune idée de qui était Stefan Zweig, mais je trouvais ce livre tellement beau que, quand mon amie l’a fini, elle me l’a donné! Je l’ai lu et relu tellement souvent! Mais j’en ai lu d’autres aussi, je les ai probablement tous lus, dont un, tout récent, qui n’avait jamais été édité en français et qui a paru en édition bilingue. Ce que je trouve beau chez Zweig, c’est qu’il y a toujours de l’espoir, de la lumière, ce qui est étonnant quand on sait les épreuves qu’il a vécues. Comme ceux de Laferrière, les livres de Sweig me réconcilient avec la vie. C’est pourquoi j’y reviens souvent, ne serait-ce que pour en relire juste des passages.»

Bibliographie :
Œuvres (3 vol.), Sophie de Ségur, Robert Laffont, entre 1096 p. et 1300 p. ch. | 139,95$
Lekhaim!, Malka Zipora, Du passage, 176 p. | 19,95$
Agatha Christie (7 tomes parus à ce jour), Agatha Christie, Du Masque, autour de 1000 p. ch. | 34,95$ ch.
Paul à Québec, Michel Rabagliati, La Pastèque, 184 p. | 27,95$
Exit Wounds, Rutu Modan, Actes Sud, 156 p. | 24,95$
Les rives prochaines, Gilles Archambault, Boréal, 192 p. | 19,95$
Le charme des après-midi sans fin, Dany Laferrière, Lanctôt, 224 p. | 12,95$
L’odeur du café, Dany Laferrière, Typo, 240 p. | 13,95$
Je suis fou de Vava, Dany Laferrière (texte) et Frédéric Normandin (ill.), De la Bagnole, 44 p. | 19,95$
Le monde d’hier, Stefan Zweig, Le Livre de Poche, 510 p. | 12,95$
Le voyage dans le passé, Stefan Zweig, Grasset, 180 p. | 19,95$

* Cette série publiée par Flammarion est aujourd’hui épuisée.

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