L’acteur et dramaturge Fabien Cloutier roule sa bosse au théâtre et à la télévision depuis plus de quinze ans. Ses pièces, que ce soit Scotstown, Pour réussir un poulet — qui lui a d’ailleurs valu le Prix littéraire du Gouverneur général — ou plus récemment Bonne retraite, Jocelyne, ne font certes pas dans la dentelle. C’est pour mieux t’ébranler, mon enfant.

Ébranler : faire bouger, mouvoir, remuer. C’est vers cela que tend Fabien Cloutier, tant lorsqu’il écrit que lorsque c’est lui-même qui lit. Les mots sont pour lui d’importants catalyseurs menant à l’action, rien à voir avec la passivité que certains seraient peut-être tentés d’associer à la lecture. Chaque jour commence par le déchiffrement des journaux pour rester au fait de ce qui se passe. Comme il est amené depuis quelques années à travailler à la télévision, il doit parfois, pendant plusieurs semaines consécutives, apprendre une douzaine de pages de texte par jour. Quand il termine sa journée, il doit prendre une pause des mots. C’est ce qui l’a conduit à privilégier la lecture de formes courtes, comme la poésie qui, ne serait-ce que graphiquement, se présente de manière plus aérée. La poésie laisse aussi les temps de suspension propices à la régénération intérieure, tout comme les livres de référence sur la nature qui le plongent dans un monde d’heureuses découvertes et de contemplation salvatrice.

Les mots ne sont pas que des mots
L’univers évocateur d’un Réjean Ducharme avec L’avalée des avalés et la langue onirique caractéristique de l’auteur ont incrusté d’indélébiles empreintes chez Fabien Cloutier. Même constat pour plusieurs essais qui nichent en grand nombre dans sa bibliothèque — ils en composent certainement la moitié. Notons parmi les plus significatifs : Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières. Son premier souvenir de lecture est en cela précurseur puisque sans savoir comment ce livre est arrivé chez lui — et il l’a encore —, le jeune Fabien d’une dizaine d’années a lu L’histoire de Géronimo par lui-même, le récit d’un chef apache qui a combattu jusqu’au bout pour les droits de son peuple. Avec le recul, ce livre se révèle être la flamme initiale de l’insurrection qui propulse encore aujourd’hui le comédien-dramaturge. Ses rebelles préférés, outre Vallières qui l’a fasciné, sont Noam Chomsky, Gaston Miron, qu’il aimerait ressusciter pour aller à la pêche ou marcher dans le bois avec lui et parler des arbres, et Pierre Falardeau, qui a été un des premiers à le pister vers les autres. Il a voulu saisir toute la période de la crise d’Octobre au Québec, trouvant beaucoup d’intérêt à lire Pour en finir avec Octobre de Francis Simard, ce qui l’a amené vers les patriotes, qui l’ont entraîné ailleurs et ainsi de suite. « Tout ça a été nécessaire. J’ai besoin de comprendre et aussi de me faire remettre en question constamment. C’est peut-être la chose que j’attends le plus de la lecture. J’ai besoin de me questionner sur la société et d’apprendre. » Il n’y a pas que les essais qui le mènent dans le sillage de la connaissance et de la réflexion, les romans graphiques de Guy Delisle par exemple y parviennent très bien aussi. L’humanité de ses personnages et la situation sociale dans laquelle ils évoluent le renseignent autant qu’ils le touchent. S’il n’était pas devenu un auteur et un comédien, Fabien Cloutier se serait fort probablement tourné vers les sciences sociales ou l’anthropologie. Ce qui ne l’empêche pas de satisfaire sa curiosité en ce sens et d’aiguiser sa conscience du monde, ce que lui offre pour une bonne part le spectre étendu de la lecture. Et c’est ce qui le fait également passer de l’autre côté du mur. « J’écris pour aujourd’hui, j’écris pour être dit, j’écris pour être entendu », insiste-t-il. Pour lui, il est primordial de s’inscrire dans son époque parce que l’écriture est avant tout une façon d’agir.

Pour ça, il aime aussi lire ses contemporains, ceux qui entretiennent à leur manière ce « souffle de la résistance et de la colère » qui l’intéresse en littérature. Du Maude Veilleux avec Les choses de l’amour à marde ou Prague, du Marjolaine Beauchamp avec Fourrer le feu, du Véronique Grenier, du François Guerrette, du Erika Soucy, tous poètes de (la) parole. « J’l’es aime, c’t’e gang-là! Comme la majorité sont plus jeunes que moi, j’ai l’impression d’avoir accès à quelque chose d’autre que ce que j’ai vécu, à une autre génération et ça me fait du bien. » C’est comme si à travers eux et elles, il trouvait la matière brute qu’il aime garder intacte pour atteindre une plus grande vérité. C’est pourquoi les premières œuvres ne lui font pas peur, bien au contraire. Les maladresses qu’on pourrait y rencontrer sont rapidement pardonnées si le texte est insufflé d’un élan vital d’uppercut, d’une énergie primitive propre à la jeunesse. « Je préfère l’élan à la maîtrise. Si on peut faire les deux, c’est tant mieux, mais sinon, l’élan d’abord. »

Lire n’importe quand, n’importe où
Pour ne jamais être en manque, Fabien Cloutier s’approvisionne à la librairie Alire à Longueuil, là où il habite. C’est souvent en famille que l’escapade en librairie se fait puisque très tôt, il a été important pour lui d’initier ses enfants à la fréquentation des livres et de leur laisser le choix de ce qu’ils ont envie d’explorer. « Le livre n’est pas sacré, c’est pas grave si les pages deviennent moins belles, c’est pas grave si on lit en mangeant, l’important c’est de lire. Après, les livres ont de l’histoire. » Ils prennent le rôle de compagnons, un kit de survie qu’il fait toujours bon d’avoir avec soi.

Justement, pour inviter les jeunes à trouver dans les livres une source stimulante où ils pourront toute leur vie s’imaginer et se redéfinir, Fabien Cloutier se permet d’être chauvin. « Scotstown et Cranbourne dans une école secondaire ou au cégep, ça brasse des choses. Comme enseignant, tu vas au bat en mettant ces livres-là à l’étude dans une classe… » Mais c’est certain qu’il y aura des discussions, des réactions, du mouvement dans les esprits. Les poètes dont il a parlé plus tôt feraient aussi d’excellents ambassadeurs, avec quelques autres qu’ils n’avaient pas encore nommés, à savoir Alexie Morin et William S. Messier. Le livre qu’il a personnellement fait lire le plus souvent en l’offrant plusieurs fois est Mes jours sont vos heures de Geneviève Robitaille. « Je l’ai lu quand j’étais au Conservatoire, j’ai trouvé ça bouleversant. » C’est tout en délicatesse et avec une perçante lucidité que l’auteure écrit sur la vie avant de mourir en 2015.

En tant que gars de théâtre, Fabien Cloutier a aussi des préférés côté dramaturgie. D’abord tout Shakespeare, qu’il considère comme nécessaire. Outre le barde, il tient pour importants des auteurs comme Jean-Marc Dalpé ou encore Yvan Bienvenue et son invention des contes urbains. Tout Yvon Deschamps est un incontournable.

Mais quand le rideau tombe, quand l’heure est à l’accalmie, Fabien Cloutier revient à ses livres sur la nature. C’est en parcourant Arbres et plantes forestières du Québec et des Maritimes et Plantes de milieux humides et de bord de mer du Québec et des Maritimes qui l’aident à nommer le territoire que son esprit se recentre et s’enracine.

Photo : © Raphaël Ouellet

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